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Visioconférences : tous stars du petit écran ?

25 novembre 2020
par  Christian Du Brulle
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

« 88 % des entreprises en Belgique utilisent aujourd’hui la vidéoconférence de manière routinière, c’est-à-dire plusieurs fois par semaine. Avant la pandémie, et le confinement du printemps 2020, elles n’étaient que 33 % dans ce cas ». Le psychologue Jean-Luc Megali, plante le décor. Les chiffres qu’il cite le montrent : nos habitudes de travail ont profondément évolué avec le COVID. Le télétravail s’est imposé dans toutes les strates professionnelles. Et avec lui, le recours à la visioconférence.

« Avant la pandémie, 17 % des travailleurs bénéficiaient d’une possibilité de télétravail deux jours par semaine », rappelle-t-il. « Il y avait une espèce de méfiance vis-à-vis de cette pratique. Avec le COVID et l’impossibilité de se déplacer, plus de 80 % des travailleurs ont expérimenté pour la première fois ce mode de travail à distance. Cela a affolé les responsables des ressources humaines dans les entreprises. Les collaborateurs qui en bénéficiaient travaillaient-ils réellement quand ils étaient chez eux ? Au fil des mois, les entreprises ont cependant constaté qu’avec le télétravail, le taux d’absentéisme avait chuté de l’ordre de 20 %. Tandis que la productivité était restée égale, voire avait progressé ».

Désormais, le télétravail n’est plus l’apanage de quelques collaborateurs privilégiés. Les contacts « en présentiel » ont fondu. Les visioconférences ont pris le relais. Et tout le monde a dû s’y plier… sans être pour autant réellement formé à utiliser massivement et correctement ce genre d’outils.

Maîtriser l’outil et ménager ses interlocuteurs

« On a tous vu des séquences amusantes sur les réseaux sociaux où des participants à des téléconférences oubliaient de couper leur caméra lorsqu’ils quittaient une rencontre virtuelle. Cela a parfois donné des situations amusantes, voire embarrassantes », pointe Jean-Luc Megali. « À mes yeux, ce genre d’incidents relève plutôt de l’anecdote », souligne de son côté Stéphanie Demoulin, professeure Laboratoire de psychologie sociale à l’Université catholique de Louvain, spécialiste de la négociation. « Quand les gens négocient par écrans interposés, ils savent qu’ils sont dans une démarche sérieuse. Ils veillent à tout mettre en œuvre pour que ce type de problèmes domestiques ne se produise pas. Mais c’est vrai qu’il a fallu s’adapter. Et prendre de nouvelles habitudes ».

A l’initiative de Wallonie-Bruxelles International et de l’Agence wallonne à l’exportation, Jean-Luc Megali distille ses conseils sur l’usage optimal de la visioconférence lors d’évènements de réseautage virtuels. Son public : divers représentants d’entreprises wallonnes soucieuses de participer, toujours virtuellement, à des conférences internationales, désormais organisées en ligne. « Si les aspects techniques nous apparaissent simples, force est de constater que ce média a ses propres contraintes en termes d’efficience communicationnelle », indique-t-il.

« Pour bien utiliser la visioconférence, il faut pouvoir donner une bonne image de soi et de son entreprise », explique Stéphanie Demoulin (UCLouvain) « Tout comme c’est le cas lors d’une réunion ou d’une négociation en présentiel ».

Une autre clé d’une visioconférence réussie concerne la maîtrise de l’outil. « Il faut aussi s’assurer que son interlocuteur est également à l’aise avec celui-ci. Si je veux établir de bonnes relations avec cette personne, il faut que nous traitions d’égal à égal. Elle doit donc être aussi à l’aise avec l’outil et ses fonctionnalités : partage d’écrans, de document, de présentation PowerPoint… », précise M. Megali. « Et si on n’utilise pas ces possibilités, il vaut peut-être mieux passer par un autre mode de communication, comme le simple téléphone ». Sur les aspects purement cognitifs, il rappelle aussi quelques règles de base à respecter pour réussir sa visioconférence. L’articulation est importante, le débit verbal également. « Face à un interlocuteur, notre débit de parole est de l’ordre de 130 à 160 mots à la minute. Au téléphone, comme en visioconférence, mieux vaut le réduire d’un tiers si on veut être compris ».

Les mêmes règles que celles qui sont recommandées pour une réunion en présentiel s’appliquent également : distribution de la parole, animation, etc. « Et il faut également faire attention à la hauteur des yeux, précise le psychologue. C’est une question de rapport d’égalité, même en vidéoconférence. Cela va favoriser la bonne relation ».

« Les études récentes montrent que l’on n’observe actuellement plus de différence entre une négociation en présentiel par rapport à une négociation virtuelle », souligne de son côté Stéphanie Demoulin (UCLouvain). « Et plus les participants à ce genre de réunion sont satisfaits, plus cela augmente les chances que les termes de l’accord seront respectés ».

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Les réunions en présentiel n’ont plus la cote. Les entreprises misent désormais sur les visioconférences.
© Christian Du Brulle
Décoder les signaux non verbaux

« La négociation prend aussi moins de temps parce que l’on peut échanger des documents, des fichiers, parce qu’il y a davantage de communication en visioconférence que par téléphone », pointe la scientifique de l’UCLouvain. « Lors de réunions en face à face, les participants doivent aussi apprendre à se présenter », rappelle-t-elle encore. « En visioconférence, c’est la même chose. Dans les deux cas, la gestion de l’image n’est pas très différente ».

« En lors de rencontres par écrans interposés, un des grands avantages dans le contexte actuel, c’est que le port du masque n’est pas obligatoire », reprend Jean-Luc Megali, qui insiste sur l’importance du non-verbal.

Il y a la gestuelle qui doit permettre de renforcer les messages. Une gestuelle réservée et la plus expressive possible est à recommander. « Attention aussi à la première impression. Soignons les premiers gestes, les premiers mots. C’est au cours des premiers moments que notre interlocuteur se forge une opinion de nous, une opinion dont il lui sera ensuite difficile de sortir », explique M. Megali. « On arrive ensuite très vite dans ce qui est connu comme étant le phénomène de dissonance cognitive de Festinger, du nom d’un psychologue américain. La première impression, lors d’un entretien, est fondamentale. C’est au début de la rencontre que les choses se jouent. Dans le cas d’un recrutement, c’est à ce moment-là qu’on est engagé, ou pas. La suite de l’entretien ne sert qu’à confirmer cette impression initiale. En visioconférence, c’est la même chose ».

« Afin de mettre toutes les chances de son côté dans ce genre de rencontres virtuelles, il faut aussi observer son interlocuteur, comprendre comment il réagit », souligne le psychologue. Pourquoi ne pas avoir recours à une technologie wallonne dans ce cadre ? Une start-up de Nivelles, MoodMe, travaille actuellement à la mise au point d’un logiciel d’analyse de visage et d’identification des émotions en temps réel.

« Depuis l’an dernier, grâce à un algorithme nourri à l’intelligence artificielle, nous proposons une application qui tourne en arrière-plan d’une visioconférence », explique Chandra De Keyzer, le patron de l’entreprise. « Il permet de déterminer si les messages envoyés vers ces interlocuteurs passent bien, si le groupe est engagé. Cela permet de prendre la température de l’état émotionnel des personnes auxquelles on s’adresse, et le cas échéant d’adapter notre discours ».

Fatigue cognitive et erreurs de jugement

« Cette dimension de la visioconférence n’est pas à prendre à la légère », estime la Pre Stéphanie Demoulin. « La communication virtuelle est une démarche plus coûteuse d’un point de vue cognitif que les négociations en face à face. Il y a donc un risque de fatigue plus important chez les négociateurs ».

« Cette fatigue cognitive implique toute une série de risques. Notamment l’utilisation plus rapide d’heuristiques de jugement, de raccourcis de pensées. Par exemple l’utilisation plus rapide de stéréotypes pour juger le comportement d’un interlocuteur. S’énerver à cause du « sale caractère » d’une personne, alors qu’en réalité on est simplement contrarié par une proposition qui ne nous convient pas et qui ne concerne en rien la personnalité de l’interlocuteur, n’est pas la meilleure des réactions à avoir ».

« Nous risquons de commettre ce genre d’erreurs de jugement quand nous sommes stressés ou sous fatigue cognitive. Cette situation est susceptible de se produire lorsqu’on est au cœur d’une négociation très complexe, lorsque plusieurs personnes négocient ensemble et que cela prend du temps. En démultipliant les lignes de communication, nous démultiplions également les informations que nous avons à traiter. Ce qui est positif. Mais cela augmente d’autant la fatigue cognitive et le risque de commettre des erreurs de jugement. Autant y être attentif. »

La scientifique constate aussi une évolution positive en ce qui concerne les négociations à distance. « Il y a 15 ans, elles étaient beaucoup plus agressives et moins coopératives qu’actuellement », dit-elle, avant de conclure : « elles étaient aussi moins fructueuses. Aujourd’hui, avec la richesse des médias disponibles, la communication est devenue plus riche et plus intéressante. Pourquoi dès lors s’en priver… si on connaît et maîtrise ses codes ?

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