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Un médecin de campagne face à la pandémie

8 juillet 2021
par  Laurence D Hondt
( Presse écrite , Le virus des héros comme des gens ordinaires )

Le Dr Gaetan Houillon exerce dans la région de Libramont. Depuis la pandémie, ses patients hésitent à venir le voir et les maladies habituelles régressent. Sa morale généreuse est mise à l’épreuve d’une réalité contrastée et d’une hiérarchie peu réceptive

La route principale qui traverse Libramont est mouillée et mal éclairée. Les derniers passants qui regagnent leur domicile font résonner le bruit mat de leurs pas dans la nuit à peine avancée. Il est 20h et l’obscurité recouvre déjà la petite ville ardennaise depuis deux bonnes heures. Au poste de garde, petit local sans grâce ni histoire, le Dr Houillon veille. Il a commandé son plat préparé qu’il met au micro onde et s’apprête à manger devant la télévision, en attendant qu’un patient se présente. Dans cette ville de la province du Luxembourg où les médecins se comptent sur les doigts d’une main, il devra veiller toute la nuit. Un passage obligé dans le parcours de ce médecin généraliste : les gardes. Environ une dizaine par mois entre veille et urgences. D’innombrables heures passées à attendre qu’un homme, une femme, un enfant entre ses parents, vienne à lui pour lui demander de l’aide. Un apostolat. Une vocation. Un sacrifice qui n’attire plus les jeunes générations mais qui n’a pas rebuté le Dr Houillon qui dans la trentaine.

La science à l’épreuve de la pratique

Le Dr Gaetan Houillon n’a pas vraiment l’allure conventionnelle du médecin : cheveux longs, démarche de copain plus que d’homme revêtant l’habit neutre de la science, franc parler sans jargon. Pourquoi a-t-il décidé de devenir médecin ? « C’était ingénieur ou médecin », hausse-t-il les épaules avec nonchalance, « un matin, j’ai décidé que je serais médecin. Mais un médecin de campagne, car je ne voulais pas me limiter à faire des ordonnances à des gens que je ne connais pas ». Il est né dans la région. Il connait ses fermes isolées, ses villages oubliés, ses longues routes se perdant dans la brume matinale entre champs et bois. Il circule avec sa voiture de maison de village en maison de retraite et d’hôpital en poste de garde. C’est en parcourant ces vallées et ses petites villes ardennaises qu’il enrichit sa science et la met à l’épreuve du terrain. Il sait qui sont les membres d’une même famille, des petits enfants aux grands parents. Il peut tracer leur généalogie comme il peut retrouver l’ascendance d’une pathologie, les faiblesses chroniques, les difficultés de vie qui engendrent des besoins de santé spécifiques. « Chaque médecin se donne ses règles de vie, mais d’abord il faut être joignable, présent, disponible », explique-t-il. Cette disponibilité rassurante, assortie d’une écoute même quand il ne s’agit que d’une maladie imaginaire est essentielle dans le métier du médecin. Un mélange d’humilité et de science qui fait toujours son prestige dans les campagnes. Mais ce soir, nuit de février en pleine pandémie, le Dr Houillon tapote de ses doigts sur la table en formica. Il s’ennuie. « Depuis la pandémie, il n’y a presque personne. Le gens ne sortent pas. Il n’y a donc pas d’accidents liés au sport, pas de blessures. Il n’y a pas non plus de grippes, ni de gastro, toutes les maladies habituelles de saison qui se transmettent par le contact humain ». Durant ce qu’il appelle dans le vocabulaire des gardes, la « nuit noire », soit la période de 23 à 8h, il dort souvent sans interruption.

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© Laurence D’Hondt

Face aux réactions autoritaires de ses collègues

Cette nuit de février 2021, le Dr Houillon aura eu 2 visites et 3 appels en 12 heures, dont deux appels au sujet de symptômes semblables à ceux du covid-19. « Je ne sais pas si c’est une bonne chose », fait-il soudain, « la souffrance mentale a souvent remplacé les maladies. Je dirais que 50 % des patients sont en détresse psychologique ». A moins d’être un amoureux de la solitude et de la nature, la campagne en hiver est habituellement une longue période d’isolement mais la pandémie a fermé les derniers refuges de sociabilité : cafés, restaurants, parc à jeux et animations pour les enfants, repas partagé pour les plus âgés. Il ne reste que les commerces de bouches ou les supermarchés pour se rencontrer. « Ce sont les jeunes qui m’ont semblé le plus en difficultés », confie encore le Dr Houillon, « certains viennent jusque chez moi, rien que pour me parler ». Loin des plateaux médiatiques où l’on débat des courbes de la pandémie et des mesures restrictives qui en découlent, le Dr Houillon a parfois du mal, lui aussi, à ne pas se sentir isolé et incompris. Son franc parler ne passe pas toujours bien auprès de ses collègues et désormais s’il a des réticences sur la politique sanitaire menée, il ne la communique plus. « J’ai été très surpris de certaines réactions autoritaires et orgueilleuses dans ma profession », lâche-t-il, prudent au point de ne vouloir en dire plus. Il respecte trop son métier pour le perdre dans un débat qu’il n’infléchira pas et s’efforce de se concentrer sur son rôle de médecin de 1e ligne : délivrer les 1e soins à chacun qui souffre. Une vieille dame atteinte de diabète, un homme qui se plaint de maux de tête récurrents, un enfant asthmatique, une jeune fille prise de panique parce qu’elle est enceinte.

Le médecin aussi peut souffrir

Pour toutes ces personnes, le médecin généraliste ne peut disparaitre comme certains commerces ont fermé leurs portes. Selon leurs témoignages, il est souvent la première personne de confiance extérieure à la famille, les curés ayant souvent perdu leur rôle dans la vie des habitants. Or si en région wallonne, il n’y a de pénurie sévère que dans la province du Hainaut, selon une étude récente de l’Inami, elle pourrait revenir avec la vague attendue des médecins généralistes qui partiront à la retraite dans les années à venir. Pour anticiper cette baisse de médecins, la politique de la santé a développé plusieurs initiatives attractives. Ainsi le Fonds Impulseo qui incite financièrement les jeunes médecins généralistes à s’installer à la campagne. Des jeunes diplômés viennent ainsi se former auprès des médecins plus âgés qui leur révèlent sur le terrain les secrets médicaux de leurs patients tout en établissant une relation de confiance. Pour rompre le sentiment de solitude qui étreint les médecins de campagne, des initiatives collectives telles les maisons médicales où se croisent les spécialistes, voient le jour. Car le médecin aussi souffre, lorsque sa morale généreuse est confrontée aux sacrifices pratiques exigés par son métier. Ainsi, le Dr Houillon ne s’est jamais bien remis du suicide d’un collègue à Laroche qu’il évoque à demi mots. Mais il sait que trop d’isolement peut être mortel...

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