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Un grain de sable dans le dérailleur

10 mai 2021
par  Eric Clovio
( Presse écrite , Le virus du sport )

Une des conséquences inattendues de la pandémie est la pénurie de métal permettant de fabriquer les vélos. Même les équipes professionnelles de cyclisme sont dans l’embarras !

Ancien coureur pro diplômé en marketing, il a appris son nouveau job managérial dans les pas du Mouscronnois Yves Vanassche avant de prendre les rênes du projet dès 2016. Dans le peloton, sa cote monte comme le relevé topographique du Rosier, de La Redoute ou des Forges, les ascensions mythiques de Liège-Bastogne-Liège, doyenne des classiques cyclistes tracée « dans son jardin ». Il se sait exigeant mais place toujours l’humain au cœur de la réussite d’un projet. « On n’est pas old school parce qu’on réaffirme cette évidence » sourit-il. Patron liégeois d’une équipe Bingoal Wallonie-Bruxelles à l’identité de plus en plus affirmée, Christophe Brandt (44 ans) vient de réussir une gageure : dénicher deux nouveaux partenaires commerciaux, en pleine période de pandémie !

Mais ce combat sans concession pour faire vivre un projet sportif professionnel cohérent, porteur de valeurs et de perspectives, réserve évidemment aussi des moments compliqués, inattendus, générés par ces moments anxiogènes que nous venons de traverser. Alors que le vélo est plus « tendance » que jamais, que ce moyen de locomotion a (re)pris une place importante dans les habitudes familiales de mobilité, il devient aussi une denrée rare, qui se fait attendre et désirer de longs mois durant. En cause, essentiellement, la raréfaction de l’acier sur le marché mondial, qui incite les vélocistes à calibrer au plus juste leurs volumes de production.
« L’industrie du vélo est florissante mais elle est confrontée à une pénurie de matière première, le métal » résume ainsi Christophe Brandt. « Pour l’instant, au sein de notre équipe Bingoal Wallonie-Bruxelles, nous comptons par exemple plusieurs vélos de contre-la-montre destinés aux coureurs qui ne peuvent être utilisés, parce qu’ils sont incomplets ! Les pièces manquantes, en provenance d’Asie, ne sont pas annoncées avant six à neuf mois, sans certitude aucune. Les livraisons des fournisseurs sont problématiques. Nous en sommes réduits à passer au crible le commerce de pièces détachées sur internet, pour essayer de trouver la solution mais là aussi, les possibilités sont devenues rarissimes. » Et souvent hors de prix.
Pour la première fois, par ailleurs, les vélocistes habituellement présents sur le marché du cyclisme professionnel se font tirer l’oreille pour prêter leur matériel aux équipes, ce qui grève évidemment le budget de fonctionnement de ces dernières. Ces superbes « machines » de haute technologie, qui valent plusieurs milliers d’euros chacune, doivent ainsi parfois être acquises par les teams, là où elles étaient jusqu’ici cédées afin d’être valorisées au niveau pub/marketing.

La base de la pyramide se fragilise

Il y a un an, au plus fort de la première vague, on craignait le pire pour le modèle économique du cyclisme, dont la fragilité est endémique. En ce printemps 2021, force est de constater que la discipline s’est plutôt bien tirée d’affaire au niveau sportif, comme si toutes les composantes de la famille du vélo avaient pris conscience qu’il fallait impérativement continuer à pédaler pour ne pas chuter, sans possibilité de se relever…

Christophe Brandt acquiesce mais nuance le propos. « Le monde du cyclisme a rapidement planché sur un programme de reprise, articulé autour du Tour de France bien sûr, on a en effet pu s’y tenir, dans les grandes lignes, sur base de protocoles sanitaires efficaces. Le produit fini, celui qu’on diffuse à la télé et sur des canaux de communication de plus en plus diversifiés, est d’ailleurs de plus en plus séduisant, attrayant. Tirant parti d’une concurrence télévisuelle moins féroce, notre sport a profité d’heures d’antenne exceptionnellement longues et réussi des cartons d’audience. Songeons que plus de 2 millions de personnes -1 Belge sur 5- ont suivi le Tour des Flandres, lors du week-end de Pâques ! Ce sont évidemment des parts de marché, des chiffres très significatifs. Ça, c’est positif. Mais je suis plus réservé sur d’autres aspects de la crise… »

Le Liégeois salue les efforts qui ont été consentis pour que la vitrine brille mais nourrit bien plus d’inquiétude pour tout ce qui est moins visible. « Le cyclisme pro a poursuivi sa route, certes, mais ne nous laissons pas aveugler. La base de la pyramide est fragilisée par la crise sanitaire et son cortège d’interdictions, d’annulations, de limitations, et cela m’inquiète.

L’an dernier, une équipe de D2 comme la nôtre a recensé une centaine de jours de course, soit la moitié du volume habituel. Le début de campagne 2021 est lui aussi allégé, par la force des choses. L’impact parmi les classes de jeunes est encore plus rude ! Les juniors actuels en sont à leur 2e saison presque blanche, c’est quasi une génération sacrifiée sur l’autel de la crise épidémiologique. Le risque de décrochage est évident, le vivier sera moins profond, avec toutes les conséquences résiduelles que l’on peut craindre à moyen terme… »

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© Eric Clovio
Créativité et force de persuasion

Dans ce contexte sportif et économique surréaliste, l’équipe Wallonie-Bruxelles tire cependant son épingle du jeu et a réussi, en pleine pandémie, à convaincre deux nouveaux partenaires financiers (dans les secteurs du tourisme et de l’alimentation). Une gageure ! « Nous avons profité des périodes de confinement pour réfléchir à nos stratégies, avec plus de recul ou de hauteur, en ajoutant des expertises aussi. Autrefois, j’entrais en contact avec des sponsors sur base de mon diplôme de marketing et de mon vécu de sportif pro, je leur racontais mon histoire, les axes forts du projet, avec un maximum de conviction. Désormais, on a « upgradé » notre image, étayé notre dossier avec des chiffres de visibilité, des études… Cela renforce la démarche. »

Deux types d’entreprises peuvent potentiellement être intéressés par un partenariat cycliste. « Les boîtes dont le patron est passionné de sport et décide de prendre notre sillage. Ou les sociétés qui reposent sur un conseil d’administration plus complet, qui veulent entendre d’autres arguments. Moins affectifs, plus rationnels. Mais dans tous les cas de figure, j’essaie de trouver un lien entre notre équipe et un sponsor intéressé. Il faut de la cohérence. « Bingoal-Wallonie Bruxelles », ce n’est pas seulement une équipe pro, cela intègre aussi un groupe de formation/développement et une équipe féminine. Cette approche sociétale assez complète, créative, est un atout dont nous nous servons. Nous avons trouvé notre vraie place, il faut la défendre, la consolider. Nous sommes des ambassadeurs de la Wallonie, le projet cycliste est un support marketing sur lequel l’économie, le tourisme, le sens de l’accueil ou de l’innovation des Wallons devraient bien plus s’appuyer. »

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