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Un festival générateur de sens

15 août 2020
par  Philippe Manche
( Presse écrite , Le virus de l’art )

Pour Chloé Colpé, directrice et programmatrice de l’Intime, « Il n’a jamais été question d’annuler cette huitième édition » du festival initié par Benoît Poelevoorde (Président d’honneur et directeur artistique -NDLR), pour cause de pandémie. Reste qu’il a fallu faire l’impasse sur le Théâtre beaucoup trop confiné et se replier « naturellement » sur la Cathédrale Saint-Aubain et l’Eglise Saint-Loup.

« Ce sera la seule fois mais c’est aussi un geste d’aller vers la ville et de prendre possession de lieux symboliques » précise Chloé Colpé. « Être au chevet de la parole des autres, construire quelque chose autour des invisibles ». En écho à la résidence de l’auteur et journaliste Robert McLiam Wilson (voir ci-dessous).
Dans ce même soucis d’ « adaptation », il n’y aura pas de rencontres publiques avec les auteurs et autrices ces 28, 29 et 30 août. Les trois débats restent maintenus et le gros de la programmation se concentre sur les lectures lues par des comédiens essentiellement belges. Philippe Jeusette habitera le Papa de Régis Jauffret tandis que Anne-Cécile Vandelem fera résonner l’immense Croire aux fauves de Nastassja Martin. Reda Ketab (Un Prophète, Django, Hors normes, …) prendra le Thalys pour s’emparer à deux reprises de l’autobiographique Entre eux de l’Américain Richard Ford. Vous le voyez, l’ADN de l’Intime ne dévie pas d’une molécule et continue à allier exigence et littérature internationale afin de comprendre ou du moins, essayer de comprendre un monde qui marche de plus en plus sur sa tête. Un monde en quête de sens.

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Philippe Jeusette
© Cinevox

L’Intime Festival, du 28 au 30 août, Namur. Infos et réservations sur le site intime-festival.be.

Un Irlandais à Namur

L’écrivain et journaliste irlandais Robert McLiam Wilson (Ripley Bogle, Eureka Street), parisien depuis 10 ans, présentera à l’Intime Festival -du 28 au 30 août- des témoignages recueillis lors de sa résidence namuroise pendant la crise sanitaire.

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Robert Mc Wilson
@ Mathieu Bourgeois

Un cas à part dans la littérature que celui du kid de Belfast, Robert Mc Liam Wilson. Il est né le 24 février 1964 et a grandi au sein d’une fratrie de sept enfants dans un quartier populaire catholique de la ville. Entre 1989 et 1997, il publie trois romans. Ripley Bogle (collection 10/18) en 1989. La douleur de Manfred (10/18) trois ans plus tard et Eureka Street (10/18), son chef d’œuvre en 1996. Avec sa plume corrosive, caustique, acide, cruelle mais aussi drôle, tendre et touchante, ce fan des Undertones est devenu l’un des écrivains les plus emblématiques de sa génération salué autant par la critique que par le public et couronné d’une kyrielle de prix. Et depuis…. Plus rien. Son prochain roman – le premier depuis 24 ans- devrait sortir dans les douze prochains mois. Reste que Robert McLiam Wilson ne chôme pas. Il est journaliste et collabore régulièrement pour Charlie Hebdo et Libération.

Pour sa résidence namuroise, l’Irlandais est donc parti à la rencontre des habitants de la capitale de la région wallonne en sollicitant des témoignages via une adresse e-mail. Robert McLiam Wilson a également arpenté le pavé pour des discussions spontanées avec de simples citoyens mais aussi des travailleurs sociaux, un employé des pompes funèbres, des responsables de maisons de retraite afin de prendre le pouls de cette période inédite à travers cette ville de plus de 100.000 habitants.

Comment l’écrivain a réagi au fait que cette pandémie a privé les citoyennes et citoyens de culture du jour au lendemain ?

C’était une période compliquée pour pas mal de gens et pas que pour les comédiens qui ont difficile à joindre les deux bouts. Il faut être un peu humble, sur ce coup-là. D’autres métiers souffrent comme le secteur du tourisme, par exemple. Je peux paraître sévère mais on retournera, peut-être pas demain, dans les salles de concerts ou plus facilement au cinéma. Les théâtres subventionnés vont se remettre. Par contre, les restaurants qui ont mis la clé sous la porte resteront fermés définitivement.

De juillet à novembre, dans le cadre de l’Intime Festival, vous avez sillonné et sillonnerez Namur à la rencontre de ses habitants dans le cadre de ce qui est décrit comme un « récit littéraire et collectif autour de la disparition ». Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ? Emu ?

Namur est une ville très étrange. Les gens ne râlaient pas. Les Namurois étaient beaucoup moins branchés sur Twitter ou Facebook et ne semblaient pas corrompus par la panique et la paranoïa des réseaux sociaux.
L’architecture de la ville est assez dingue. C’est du grand n’importe quoi. Il n’y a pas deux bâtiments qui se ressemblent. Un joli bâtiment du 17ème siècle côtoie une maison du 20ème à côté de laquelle se trouve une habitation du 18ème. Mon sentiment au regard de l’architecture de Namur, c’est que la ville n’a jamais vraiment décidé.

Concrètement, qui avez-vous rencontré ? Du personnel soignant ? Des assistants sociaux ?

Un peu tout ça oui. Un assistant social m’a raconté qu’il s’attendait une vague de violences domestiques sur les enfants. C’est le contraire qui s’est produit parce que les familles précarisées se sont débrouillées, ont fait preuve de solidarité. Un flic m’a dit aussi que ses collègues et lui se préparaient à un pic de violence conjugale et finalement, la police a eu plus de conflits de voisinage à gérer que d’autres. C’est inédit. Et humain. C’est ce qui m’a vraiment surpris.
Votre lecture dans le cadre de L’Intime Festival Namur donnera un premier aperçu de votre résidence avant son point d’orgue, le 12 décembre prochain, à l’initiative de la ville pour ses habitants. Vous allez scénariser vos témoignages ?

Bien sûr. Ça doit rester ludique. Les Namurois aiment quand on les charrie. J’aimerai inviter aussi des gens rencontrés à parler en public même si ce n’est pas toujours évident. J’ai fait la même genre de démarche à Paris qu’à Namur où je racontais la ville via le prisme des éboueurs. J’en me souviens de l’un d’eux. Un vrai cabotin. Il était imbattable. Lorsqu’il est monté sur scène, il a massacré tout le monde. Les gens étaient hypnotisés. Le public comme les intellectuels présents.

Cette résidence namuroise a-t-elle été propice à l’introspection ?

C’est ma troisième résidence et c’est à chaque fois comme un échafaudage de ma pensée articulée autour de mon travail. Mon premier mois, je regardais une ville que je ne connaissais pas avec des yeux de bébé. J’ai rarement rencontré des gens avec lesquels c’est aussi facile de parler. Les gens sont chaleureux et aimables. Je me souviens d’un sans-abri que j’ai mentionné dans un article de Charlie-Hebdo (29 juillet 2020-NDLR) parce qu’il a évoqué l’économie de la drogue pendant le confinement. A savoir que les prix ont augmenté pour baisser ensuite.

Quels seraient les parallèles entre cette résidence namuroise et votre radiographie d’une Angleterre à l’agonie après les années Thatcher publiée sous le titre Les Dépossédés, (réédité aux éditions Le Point) en collaboration avec le photographe Donovan Wylie ?

A l’inverse de Namur, qui est en bonne santé, L’Angleterre de la fin des années 80 était en train de crever.

« L’Irlande du Nord, c’était quasi une expérimentation de la violence politique qui reste, j’insiste, un sport de minorité ».

Votre roman Eureka Street est une chronique assez autobiographique du Belfast où vous avez grandi jusqu’aux accords de paix (le 10 avril 1998 -NDLR). Quel regard portez-vous sur ces années d’apprentissage et de jeune adulte dans une ville traumatisée par le terrorisme ?

L’IRA (Irish Republican Army) a libéré les catholiques prolétaires en tuant d’autres catholiques prolétaires. Comme Le Sentier Lumineux au Pérou. On libère les pauvres en les massacrant. Les attentats de Charlie Hebdo m’ont ramené au Belfast de Eureka Street. J’avais écrit un article dans Libération à l’époque où j’exprimais ma rage face à ces sales cons à la kalashnikov. L’Irlande du Nord, c’était quasi une expérimentation de la violence politique qui reste, j’insiste, un sport de minorité. L’IRA, ce n’était jamais plus que 400 mecs…

Dans le Irish Times peu après les attentats parisiens, vous écrivez qu’en janvier 2015 « Des gens pas marrants ont tué des gens rigolos. En novembre 2016, des personnes moches ont tué des personnes jolies. Le message était clair et sanglant » …

La nuit du Bataclan, c’était l’enfer. Des jeunes s’amusent aux concerts de rock. Au stade de France, au foot, il y a beaucoup de jeunes aussi. Ces mecs tuent des personnes, bien sûr, mais plus globalement, ils suppriment la vie et c’est insupportable. C’est comme un concours d’horreur débile entre les différentes fractions. J’ai rencontré des terroristes en Irlande ou en Amérique latine et bien, croyez-moi, ils sont tous complètement barrés. Le Colombien des FARC est aussi crétin que l’Irlandais de l’IRA ou que l’Arabe de Daesh. Ils n’ont rien dans la tête. Ils sont aussi lobotomisés.

Vous concédez avoir toujours été attiré par l’héroïsme parce que pour vous, il est synonyme d’endurance. « Ce sont ceux et celles qui ont enduré la pauvreté et la marginalisation qui sont les héros » dites-vous. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ce sont des qualités qui me manquent. Je ne suis pas spécialement fort, patient, digne. Avoir un boulot merdique et mal payé ou subir l’arrogance de son patron dans une usine ou d’un client dans un restaurant ou un taxi, c’est de l’héroïsme. De l’héroïsme au quotidien et ça retombe souvent sur les femmes.
Je viens d’une famille très compliquée. Ma mère, que je n’ai jamais aimée, vient de décéder mais bref, elle s’est occupée de ses sept enfants et nous sommes en vie malgré une histoire incroyable. Mon père travaillait peu, parfois à l’usine. Il était principalement au chômage, a eu de gros problèmes d’alcool et a fait des bêtises comme toute ma famille. Mais vraiment des bêtises.

Des bêtises de quelles ordres ?
Parmi mes frères et mes sœurs, l’une s’est mariée avec un terroriste. J’ai un autre frère terroriste, un criminel, un terroriste, encore un criminel et mon frère et moi. Le médecin et l’écrivain. Les deux Juifs de la famille. C’est n’importe quoi.

Quelles sont les leçons de cette enfance si particulière ?

Je pense que si je peux être émerveillé par bien peu de choses, c’est à mon enfance que je le dois. Je me suis rendu Dijon après le règlement de compte entre Arabes et Tchétchènes (le 15 juin 2020-NDLR) dans le quartier des Grésilles et j’ai trouvé le quartier super joli, presque aussi beau qu’un village olympique.

Vous assumez et revendiquez l’influence de Dickens dans votre travail mais l’un de vos livres phares, et c’est plus surprenant, est Le Monde de Narnia de C.S. Lewis. Expliquez-nous pourquoi l’écrivain de ce classique de la littérature anglo-saxonne pour enfants ne pouvait qu’être né à Belfast ?

Parce que la ville est entourée de collines, de petites montagnes. L’avenir n’est pas à Belfast, il est ailleurs. Les habitants sont connus pour leur arrogance parce qu’ils friment en disant qu’ils viennent de la grande ville mais ils sont isolés. On ne voit même pas la mer tellement elle est coincée.
J’ai vu le centre-ville de Belfast à l’âge de 11 ans, le quartier protestant à l’âge de 12 ans. La garde-robe de C.S. Lewis, c’est Belfast. Tu as l’impression d’être dans un cabinet d’aisance coincé entre le dieu protestant et le dieu catholique qui se détestent. Lorsque les enfants pénètrent dans la garde-robe et poussent les vêtements pour se retrouver dans la forêt, c’est le sentiment qu’on éprouve lorsqu’on quitte Belfast. On se retrouve comme Van Gogh lorsqu’il peint le ciel de Arles à travers La nuit étoilée. Il a peint ce que ses yeux ont vu. Dans la littérature francophone, je ne trouve qu’un équivalent au Monde de Narnia : La débâcle de Zola.

Une dernière pour la route. Quid de votre nouveau roman et surtout pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Il y a deux raisons. La première, c’est la honte. La honte de tout. De la réussite. Des compliments. Qui me procurent des émotions pas chouettes.
La deuxième raison, c’est que la construction du roman a été ébranlée par les attentats parisiens. J’ai finalement ajouté un personnage impliqué dans un acte de violence à Paris pour libérer le récit. Paris est très présent. Et je n’y vais pas de main morte. Mais c’est vrai, non ? Paris se prend pour qui ? Si on aime bien voir les gens faire caca dans la rue, alors oui, Paris, c’est la ville lumière….

Robert Mc Liam Wilson, Autour de la résidence littéraire Les Disparus, samedi 29 août de 11h à 12h, dans la cour de l’Athénée. C’est gratuit !

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