Un autre enfermement
Franck (nom d’emprunt) est sorti de prison la veille du 1er confinement. Il nous raconte comment, se croyant libre, il s’est de nouveau retrouvé enfermé.
Franck raconte ses années de misère : « Tu deviens fou en prison ! C’est sale, c’est surpeuplé, c’est violent, c’est déprimant… On est trois, des fois quatre en cellule. Tu penses que tu vas t’habituer, que tu vas supporter, que t’es un dur, mais au final, des fois, tu chiales comme tout le monde. »
Il parle de ses addictions : « Au début tu te défonces pour faire passer le temps, et comme tu n’as que ça à faire : passer le temps, et bien tu ne fais que te défoncer ! Du coup, tu fais des conneries. Tu tires ta peine jusqu’au bout et quand tu sors, t’es toujours autant dans la merde ! ».
Avec son air jovial, son regard dur mais malicieux, il décrit les désillusions de la réinsertion : « Je me retrouvais dehors et j’avais rien. Les seuls contacts qui me restaient c’étaient mes camarades de misère, mes anciens complices. T’as vite fait de retomber dans l’illégalité, car tu n’as pas vraiment le choix. Aucun patron ne va embaucher un ancien voleur, un ancien dealer. Même si je trouve de l’argent, pour louer un appart, il me faut des fiches de paies, des gens qui se portent garants, et ça, c’est impossible pour moi. En gros, soit je finis à la rue, soit je refais des conneries pour faire de l’argent. En fait, j’ai le choix entre la misère ou la galère, entre la peste et le choléra ! ».
Lors de sa dernière sortie du centre de détention, Franck était bel et bien décidé à ne pas replonger :
« J’en avais marre de la prison, même si au bout de plusieurs peines, tu sais comment ça marche, tu connais les détenus, tu connais les matons… C’est plus facile qu’au début mais ça reste quand même la merde ! … Là j’étais décidé, je m’étais convaincu de ne plus y retourner, de ne plus flirter avec le Sheitan ! (rires) »
Frank est enfin libéré le 16 mars 2020, la veille du premier confinement en France.
Covid ? Franck en a entendu parler à la télé, du fond de sa cellule. Il en a même discuté avec ses codétenus : « Ça se passe à l’étranger, en Chine, en Italie. Il n’y a rien en France ! Pas de pandémie ! On ne sait même pas si il y a des cas de covid dans la prison ».
Il sort au bout de quarante-huit mois, d’une prison française qu’il connait bien, pour y avoir déjà été incarcéré trois fois. C’est sa cinquième libération en trente-cinq années de vie.
Franck sort en homme libre, sans conditions, plein de bonnes résolutions mais Franck est confiné. « J’ai pas vraiment réalisé au début ce que ça voulait dire, ce que t’avais le droit de faire ou de ne pas faire. J’étais logé chez un pote, je dormais sur le canapé du salon. »
Avec le confinement, la femme et les deux enfants de son ami sont cloitrés dans les trois pièces de l’appartement : « Ils étaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre à la maison. Je me suis vite rendu compte que ça n’allait pas le faire ! ». Franck sort le plus souvent possible « histoire de ne pas trop déranger, de ne pas abuser... ». Mais il se heurte au non-respect des règles du confinement. « Les flics me demandaient une attestation que je n’avais pas, je leur expliquais ma situation... La première fois, c’est passé ; la deuxième fois, j’ai pris cent trente-cinq euros d’amende ; la troisième fois, j’en ai pris pour deux-cents euros, et le même jour, un peu plus tard, c’était plus de trois-milles billets ! Là, j’ai pété un plomb, j’ai gueulé que je sortais de prison, que j’avais pas une thune, que j’avais pas de chez moi… et les flics m’ont dit : Calme-toi, sinon on va t’y remettre, en prison ! » .
Le visage de Franck se ferme : « Je me suis demandé si ce serait pas plus simple d’y retourner. Ça m’a vraiment traversé l’esprit, pour ne plus être emmerdé… Puis j’ai très vite repensé à la cellule surchargée, à la violence, aux beaux jours qui arrivaient... J’ai pris sur moi, j’ai ravalé ma haine, j’ai mis de côté ma fierté... J’ai fermé ma gueule . ».
Au bout d’une semaine de cohabitation tendue, Franck décide de partir, en remerciant son ami et sa famille : « Ils ont fait ce qu’ils ont pu pour moi, c’était vraiment gentil de leur part mais, avec ce délire de confinement, ça tombait mal. J’aurais pu rester un peu plus longtemps, mais je ne voulais pas abuser. Ma présence devenait insupportable. J’étais de trop ! »
Franck parcourt tous les foyers d’accueil pour sans abris en espérant y trouver refuge : « Ils étaient saturés, au 115, ça ne répondait jamais ! De temps en temps, je trouvais une place pour une nuit ou deux, mais la plupart du temps, ils étaient pleins. J’ai dormi dehors quelques fois, parfois dans des squats, quelques fois chez des connaissances. Mais je devais bouger régulièrement, en essayant d’éviter les contrôles de police, alors que pour une fois, mis à part le non-respect du confinement, je n’avais rien à me reprocher ! (rires) »
Pour le dépanner, une de ses connaissances lui confie les clefs d’un petit local, à l’entresol d’un vieil immeuble : « c’était une sorte de cave de douze mètres carrés, à peine plus grande qu’une cellule. J’y ai mis un matelas, une chaise, une petite table. Je me suis dit qu’au moins là j’étais tranquille, que je n’avais plus à partager mon espace avec deux autres gars ! ».
Franck ironise sur sa situation : « En prison, de la fenêtre, je pouvais apercevoir un bout de ciel. Ici, de ma cave, je ne vois que le trottoir… Il y avait des douches en prison, ici, je vais remplir des bidons… Encore heureux que c’est un vieil immeuble et qu’il y a des chiottes sur les paliers, sinon j’étais bon pour chier dans un seau ! (rires) »
Franck s’adapte aux nouvelles règlementations du confinement, c’est-à-dire des autorisations de sorties d’une heure, dans un périmètre d’un kilomètre autour de son habitation. « J’écrivais mes attestations à la main. C’était une drôle de sensation, ce n’était pas vraiment comme ça que j’imaginais ma libération. C’était comme si la cour de la prison s’était agrandie mais que je devais quand même rentrer dans ma cellule, après la promenade. Je ne me sentais pas vraiment libre ! ».
Franck savoure amèrement sa liberté. Il reste lucide : « De toute façon, quoi qu’il arrive, je ne serai jamais vraiment libre ».