“Un artiste est confiné à la base, le Covid nous a donc encore plus obligés à créer”
Nouvelle coqueluche du R’N’B aux USA, le bruxellois Enesse a d’abord réalisé son rêve américain avant d’entamer aujourd’hui une carrière en Europe. Ou quand le Covid a boosté la vibe de ce chanteur belge (et il n’est pas le seul).
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- Nouvelle icône du R’n’B, le bruxellois Enesse est aujourd’hui suivi par plus de 108.000 abonnés sur Instagram.
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“Je suis parti aux USA quand j’avais 18 ans, en 2010, directement après mes secondaires. C’était un rêve d’enfant, nous confie Enesse, un kid de Molenbeek qui habite depuis des années à Los Angeles. Plus jeune, j’étudiais même les artistes américains déjà connus. Puis, dès que j’ai eu l’opportunité de partir, j’ai pris le premier avion. » Par sa voix douce, Enesse nous raconte son parcours qui a ensorcelé (à l’instar de son single pop éponyme) ses fans. « A la base, je suis parti pour une école de langue pendant 2 ans sur Miami. Une excuse pour les parents, car il me fallait une raison de partir loin. Si c’était pour la musique, jamais ils ne m’auraient laissé partir. Grâce au mannequinat aussi, j’ai pu rester sur le territoire US car, là-bas, si tu n’as pas de visa ou de green card, c’est compliqué.”
Sa route croise ensuite celle de J.U.S.T.I.C.E League, l’équipe de production des Grammy Awards ou encore de Mary J. Blidge, avec lesquels il collabore sur des projets prestigieux. Notamment sur le single « Thug Cry » de Rick Ross en featuring avec Lil Wayne (“un mec aussi étrange que fascinant mais également très humain et super créatif”) sur lequel Enesse signe le refrain. “Ils m’ont signé comme artiste et parolier, explique celui qui les as rencontré par hasard lorsqu’il était en session studio à Los Angeles. “Je devais bosser avec un autre producteur qui n’avait rien à voir avec eux mais ils étaient dans une autre pièce de l’établissement et on s’est rencontré dans… les cuisines. Après, en soirée, on s’est tous rejoint dans un seul studio et on a passé la soirée à écouter des chansons des uns et des autres. C’est comme ça que tout a commencé. Par hasard et un peu au culot. J’avais faim (sourire) !”
Quel est le secret pour réussir outre-atlantique ?
“Je pense que c’est la persistance… On reçoit beaucoup plus de non que de oui. Mais je n’ai jamais lâché. Si ce n’était pas avec un tel, c’était avec un autre. C’est peut-être la jeunesse qui fait cela aussi. J’avais une force de lion, on ne pouvait pas me dire non. Je savais ce que je voulais, même si on me disait non. Je m’en foutais, je continuais. La persistance et les bons choix des gens avec qui tu t’entoures -que ce soit en business ou dans la vie- sont les secrets.”
Être belge est-il un atout là-bas ?
“Quand t’es Belge et que tu arrives là-bas, tu encaisses beaucoup de claques. Parce qu’en Belgique, on est très gentil, doux et des gens bien. Là-bas, ce n’est pas que ce ne sont pas des gens bien, mais c’est un monde de requins. C’est très vif et plus dans le tac ô tac. Ça m’a pris du temps à m’adapter. On te dit la vérité en face, il n’y a pas de demi-mesure. Donc, pour un Belge, ça peut être dur de s’adapter. Mais l’humain s’adapte à tout avec le temps.”
Ce syndrome de l’expatrié et de l’identité, vous le chantez, justement, dans vos chansons…
“Ben oui car je l’ai mal vécu… quand je suis revu en Belgique. J’avais tellement changé, j’étais sur une autre planète. Mes valeurs ont changé, comme plein de choses. Comme je suis parti jeune, j’ai encore grandi là-bas et j’ai donc pris beaucoup de l’Amérique en moi. Quand je suis revenu, j’avais donc du mal à m’adapter aux gens que j’avais laissés derrière moi. J’ai tellement changé mais, eux, sont restés les mêmes. Sans les dénigrer pour autant. C’était donc plus un choc culturel. Tu te tapes un choc culturel en partant et tu t’en retapes un autre quand tu rentres dans ton propre pays. Lequel peut même être plus fort… Tu vois les choses différemment car tout un tas de perspectives changent. Ça été dur pour moi.”
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Pourquoi revenir au pays, en plein Covid (il vient de tourner, il y a un moi, le clip « Encore une fois » au cœur d’un Bruxelles après le couvre-feu) et à la langue française après une carrière bien lancée aux USA et des millions de streams sur vos titres en anglais ?
“Car, avec le temps, tu recherches de plus en plus tes racines, tes origines et d’où tu viens… Et je m’y attache de plus en plus car ça reste qui tu es. Tu peux aller où tu veux dans le monde, il y a toujours un ADN spécifique avec des choses en toi qui ne changeront jamais. Mais aussi, en musique, j’avais commencé à écrire en français, ça m’a passionné. Sans oublier la vague après Stromae qui m’a beaucoup inspiré. Avant lui, jamais je n’avais pensé chanter en français et pourtant, cela m’est venu facilement et naturellement.”
Un télécrochet comme The Voice ne vous a-t-il jamais tenté pour vous faire connaître ?
“Franchement, non. Car les gens y vont pour se faire connaître et avoir des contacts pour avancer. Comme j’ai déjà fait mes preuves aux USA, les gens sont venus à moi. J’y ai fait mon carnet d’adresses et je sais me démerder en production. The Voice est une bonne plateforme pour se faire connaître mais, après, t’es signé dans une maison et c’est ton âme qui est signée. Les contrats y sont très merdiques, je ne vois donc pas l’intérêt. Puis, t’es catégorisé dans le milieu et il est difficile d’en sortir.”
Vous vivez maintenant entre L.A. et Bruxelles depuis quelque temps, comment avez-vous vécu cette folle année Covid ?
“C’était un peu le chaos avec la période des présidentielles entre Trump et Biden, je sentais cette ambiance anxiogène cumulée au Covid et au mouvement Black Lives Matter. Le coronavirus a tout chamboulé. Même et surtout pour moi. Je suis un artiste donc je suis confiné à la base (sourire) ! Non mais c’est vrai, on est fort isolé. Le Covid nous a encore plus obligés à créer. Je ne suis pas encore un artiste qui tourne mais je commence a bien me faire connaître aussi dans mon pays. Le Covid y a aidé, on a l’impression que les médias se sont un peu plus ouverts à nous, je suis notamment passé au RTL Info.”
Nul n’est prophète en son pays, comme dit l’adage… il faut aller à l’étranger pour être reconnu chez soi.
“Malheureusement, oui et non. Non car certains y parviennent quand même. Mais oui, car j’ai l’impression que beaucoup de gens sont des suiveurs. Si tu as pu prouver qui tu es ailleurs, cela donne envie aux autres personnes de vouloir te suivre. Réussir aux USA est ce qui fait vendre. Tu as beau être talentueux, que l’on aime ce que tu fais, ce qui fait vendre est la conscience collective. Je ne peux malheureusement pas changer les choses, je ne suis pas Dieu (sourire) !”
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Ces autres artistes belges qui ont éclos “grâce” au Covid
Se lancer en pleine période pandémique où la culture était complètement à l’arrêt, des Belges ont osé tenter le pari. Tel un acte de résistance. Outre le succès d’Enesse, plusieurs groupes ou artistes du plat pays sont arrivés à se faire une place au soleil dans le cœur des Belges en ces temps sanitaires difficiles. Si les plus emblématiques restent la chanteuse Charles, Lous and the Yakusa (écoutée jusqu’aux USA), le rappeur Frenetik ou la nouvelle sensation Doria D., notre belle-gique a aussi révélé d’autres pépites issues du confinement.
À commencer par EnaïD (Diane à l’envers), avec son single « Paroles en l’air », prélude à un album qui sortira en ce mois de juin. Avec sa pop mystique, légère, symbolique et teintée d’électro, elle est déjà surnommée la “Julien Doré au féminin.” Ou celle qui “prend son bien en urgence”, la sensuelle EJ Eyre, avec son album « Prove Them Wrong" qui, en six chapitres, fait écho à cette crise. Laquelle l’a aussi totalement remise en question. Mais aussi Ann, comédienne et chroniqueuse sur Vivacité et La Première, qui est revenue à ses premiers amours et a donné naissance à un deuxième EP, Boomerang (comme cette crise qui nous revient de plein fouet au visage), et qui sortira le premier octobre 2021 au sein d’Abyssin production (en attendant, elle vient de sortir son single « Raconte-moi »). Ou encore ce message de Koorage, un collectif de musique pop-urbaine qui fait sensation en proposant de danser la “Cotesia” pour “ne jamais oublier d’être vigilant”. En effet, il aborde sous la forme d’une danse de l’été -la Cotesia- la protection de nos données privées, la toute puissance des firmes pharmaceutiques, la mondialisation et la violence psychique que certaines décisions exercent sur nous. La “Cotesia Congregata” étant une famille de guêpes qui utilisent le corps des chenilles pour arriver à leurs fins de reproduction au détriment de celles-ci. “Fais gaffe à la guêpe” est donc le premier extrait de leur EP qui sortira à l’automne. Enfin, on pense aussi à Louis Mortel, talent découvert dans The Voice 5 par Mika qui vient de sortir son premier single intitulé « Mes yeux dans ton regard ». Et pour finir à un musicien de l’ombre. A savoir Thom Dewatt, le multi-instrumentiste belge des stars de la chanson française (Hugues Aufray, Hélène Segara, Alec Mansion, etc.) qui a sorti son projet solo en plein confinement. Après le single « Paris », voilà qu’il sort une petite bombe funky intitulée « Éteins le noir ». Ce titre à la Prince est disponible sur son EP 20 000 lieues sous les vers.
Bref, une période Covid étonnamment utile et bénéfique dans le sens où elle a boosté la créativité et n’a pas empêché ces musiciens ou chanteurs de sortir un disque en pleine crise sanitaire. “On a réussi à prendre le positif dans toute cette merde, nous résume Renaud Godart d’Ykons, groupe liégeois auteur du tube « Sequoia Trees » et du premier concert test de la Fédération Wallonie-Bruxelles (lequel s’est soldé par une réussite fracassante). On a su trouver des parades pour continuer à exister. Se plaindre, c’est bien mais ce n’est pas constructif. On voulait essayer de mettre des choses en place et n’en vouloir qu’à nous-mêmes au final.”
Pierre-Yves Paque