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Seins confinés, seins libérés !

27 octobre 2020
par  Ingrid Otto
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

Par confort, mais aussi parce que le regard des autres n’existait plus, les femmes ont laissé tomber le haut pendant le confinement. Et parfois même, encore après. Explication.

Pommes, poires, abricots voire bananes, les métaphores gourmandes pour évoquer les formes des seins ne manquent pas. Quoi de plus normal, pour un organe nourricier ? Pourtant, le cantonner à cette fonction serait illusoire. La poitrine féminine est aussi atout de séduction, objet de désir, et pas seulement – et surtout pas seulement ! En cette époque où les représentantes du sexe (de moins en moins) dit faible se battent comme des lionnes pour, enfin, être mises sur un pied d’égalité social, économique et politique avec les hommes, les seins vont jusqu’à s’ériger en étendards de leurs revendications. Et si on pense évidemment aux Femen, nombreuses sont celles dont le pourtant même combat sur le fond, se mène tout autrement sur la forme.

#nobra

Ainsi en est-il, notamment, du mouvement #nobra (pas de soutien-gorge) : pour cette communauté, dire non au soutien, c’est se libérer d’un carcan physique mais c’est aussi afficher une partie du corps jusqu’ici jugée intime et permettre de replacer à égalité femmes et hommes – qui eux, peuvent exposer leur torse nu aux quatre vents sans risquer le malaise. Laisser le balconnet dans son tiroir matérialise aussi le souhait de « lutter contre la sexualisation des seins féminins qui impose de les cacher au regard d’autrui ; incapable de dissocier poitrine et séduction, notre société moderne érotise le corps des femmes, malgré elles, et les contraint à faire attention à ce qu’elles portent pour convenir au regard des autres, au détriment de leur propre confort. ».
Décliné sur les réseaux sociaux en #nobrachallenge, le phénomène n’avait pourtant convaincu qu’une minorité de femmes. Mais c’était sans compter sur le… confinement. Qui, au même titre que le « no make-up » (pas de maquillage) a permis à de nombreuses femmes de tester ce retour au naturel dans la sphère privée, donc sans se heurter au regard d’autrui. En outre, la durée assez longue de cette période les a aidées à s’habituer et à apprécier leur corps sans ces artifices. Et à continuer à s’en passer après.

Regards concupiscents
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Car la donne a bel et bien changé, en atteste un sondage Ifop réalisé du 9 au 12 juin 2020 auprès de 3.018 Françaises âgées de 18 ans et plus. Le 3 février, soit avant le confinement, 4% des moins de 25 ans déclaraient ne jamais (ou presque jamais) porter de soutien ; le 12 juin, ce nombre passait à 18%, soit près d’une jeune femme sur cinq. Leurs aînées, elles, étaient 3% à dire non au soutien-gorge avant le confinement, contre 7% après. Effet générationnel, donc ? À n’en pas douter : 69% des 18-25 ans déclarent que le choix de porter un soutien est dicté par la gêne à l’idée que l’on puisse voir leurs tétons, alors que la moitié d’entre elles craignent d’attirer les regards concupiscents sur leur poitrine. C’est que les préjugés ont la vie dure : « L’analyse des représentations associées par les Français à la pratique du ‘no bra’ révèle l’ancrage de la culture du viol et des injonctions à la pudeur pesant sur les poitrines féminines », juge le responsable de l’Ifop. 48% des sondés sont ainsi convaincus qu’« une femme qui ne porte pas de soutien-gorge prend le risque d’être harcelée, voire agressée ». Pire encore : 20% des Français estiment que « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle » ! Et les agressions sexuelles en lien avec les poitrines de ces dames, sont encore monnaie courante : 40 % des femmes de moins de 25 ans interrogées déclarent avoir déjà récolté des remarques gênantes ou des insultes sexistes à propos de leurs seins ; un quart d’entre elles rapporte que leur poitrine a déjà fait l’objet d’attouchements sans leur consentement.
Outre ces motivations féministes, l’abandon du soutien-gorge est aussi et surtout, plus prosaïquement, dicté par des soucis de confort : l’abandon du sentiment d’oppression, des baleines douloureuses ou des bretelles qui glissent sur les épaules a convaincu 53 % des femmes interrogées et 60 % des moins de 25 ans. Elles sont toutefois 65 % à estimer que le soutien procure également du confort et 54% qu’il offre un bon maintien. Est également pointé du doigt, par une femme sur quatre, l’impact négatif qu’un soutien-gorge est susceptible d’avoir sur la poitrine.

Fini, le monokini !

Sur les plages en revanche, c’est l’effet inverse qui se produit : le haut a repris sa place sur le corps des femmes. Le topless ? Un vague souvenir des années 70, 80, voire 90. À l’époque, les seins nus sur la plage étaient tout ce qu’il y a de plus banal : plus de quatre femmes sur dix pratiquaient alors le monokini en toute liberté, sans se poser de questions. Aujourd’hui, elles sont moins de deux sur dix à l’oser. En tout cas pour les moins de 50 ans : au-delà et jusqu’à 69 ans, les Européennes sont plus d’un tiers à se mettre seins nus en bord de mer. La raison principale de ce phénomène est expliquée notamment par la sensibilisation aux risques que présente l’exposition au soleil pour les seins, et la prise de conscience de ses méfaits. Mais d’autres facteurs, moins « scientifiques », n’en seraient-ils pas aussi responsables ? Comme le regard des autres – toujours lui ; le diktat de la beauté et de l’image, renforcé par les réseaux sociaux ; ou encore un certain retour du puritanisme et une dictature de la « bien-pensance »… ?

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