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Quand le sport sape la santé…

16 mars 2020
par  Quentin Volvert
( Presse écrite , Le virus du sport )

Depuis le mois de mars, le coronavirus a pris possession de nos vies. La maladie a dicté nos faits et gestes. Semaines après semaines. Mois après mois. A-t-on été suffisamment prévoyants ? Les dysfonctionnements ont été nombreux et mis à jour au fil des mois. Les états ont réagi trop lentement avec parfois des politiques antagonistes. Désormais, on sait à quel point ce virus est dangereux mais à l’époque, l’insouciance était reine. Coup d’œil introspectif et rétrospectif sur ce qu’était la vie aux prémices du covid au travers d’une soirée passée dans ce qui est devenu l’un des foyers épidémiques en Italie.

Retour le 19 février 2020. Ce matin-là, mes collègues et moi nous rendons à Milan dans le cadre d’un match de Ligue des Champions entre l’Atalanta Bergame et Valence.
L’équipe italienne joue dans le stade milanais de San Siro. Son enceinte étant en travaux pour se conformer aux standards de la fédération européenne de football.
En Belgique, le premier cas avéré de contamination a été signalé quelques jours plus tôt. Le 4 février précisément. Nous sommes donc deux semaines plus tard et aucunes mesures ne sont mises en place à l’aéroport de Zaventem. Personne ne s’en soucie à vrai dire. Le covid est très loin d’être le sujet de conversation numéro 1. La menace est encore loin et les esprits, sans doute par mécanisme d’autoprotection, préfèrent ignorer ce virus.

Nous embarquons pour Milan où nous allons être rattrapé par cette crise en devenir. En Italie, pas encore de cas avéré le 19 février. Le premier contaminé sera recensé le 21. Deux jours plus tard (Ndlr, même si certaines enquêtes récentes font état de premiers cas bien avant cela dans la botte). Pourtant, les autorités italiennes ont été un peu plus prévoyantes qu’en Belgique. A la sortie de notre avion et avant l’arrivée sur le territoire italien, des agents de la Croce Rossa, la Croix-Rouge italienne, nous attendent armés de thermomètres. Personne n’y échappe. Prise de température pour tout le monde. Ce passage obligé surprend de prime abord. Et le premier sentiment qui nous anime est de la stupéfaction. « Les Italiens ne font pas dans la demi-mesure », lance un de mes compagnons de voyage. Nous franchissons le contrôle. Tous rassurés de ne pas être refoulés. La suite de notre parcours vers l’hôtel est classique. Rien ne nous rappelle qu’un virus inconnu rôde. Nous sommes d’ailleurs logé au même endroit que l’équipe espagnole de Valence. Chose impensable en cette fin d’année 2020 où les formations sportives sont cloitrées dans leurs appartements et doivent éviter au maximum les contacts avec l’extérieur.

17h, heure de départ vers le stade San Siro de Milan. Plus de 80 000 places de capacité. Ce soir-là, ce sont près de 45 000 supporters lombards et valenciens qui seront réunis dans les tribunes. Mais surtout sur l’immense esplanade qui jouxte le stade.
Ambiance festive, les chants sont au rendez-vous. Les accolades, les embrassades fusent. Les goblets s’entrechoquent pour trinquer à la santé de l’équipe bergamasque, surprise de cette édition 2019-2020 de la Ligue des Champions.
Rien ne préfigure les mesures sanitaires drastiques qui seront en place quelques semaines plus tard. Rien ne laisse penser encore qu’un véritable désastre se prépare en Lombardie et que cette rencontre sera pointée comme une des responsables de la propagation du virus dans la région.

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© Quentin Volvert

Sur le terrain, c’est un festival de la part de l’équipe italienne qui l’emporte 4-1. Durant le match, les tribunes sont chaudes, animées. L’ambiance est folle. La soirée sera longue dans les rues de Milan et dans ses bars. Le réveil sans doute douloureux mais pas autant que celui qui interviendra quelques semaines plus tard.

Le lendemain, nous faisons notre retour en Belgique. Contrairement à la veille, pas de contrôle de la température au retour à Zaventem. Pas la moindre trace d’une inquiétude latente par rapport au virus.
Pourtant, une semaine plus tard, les infos venant d’Espagne et d’Italie sont plus qu’inquiétantes. L’Espagne recense déjà plus de 150 cas alors qu’en Italie, on approche la vingtaine de morts. La presse espagnole annonce alors qu’un journaliste présent lors de ce match a été diagnostiqué positif. Un supporter ayant participé au match avait été hospitalisé quelques jours plus tôt.
Pour notre petit groupe de journalistes, cette information d’un confrère contaminé engendre bien des questions. Premier réflexe, l’appel au médecin traitant pour lui expliquer la situation. Nous avons été dans une salle de presse bondée sans même savoir si nous avons été confrontés physiquement à notre confrère espagnol. Nous avons pris le même ascenseur de deux mètres carré pour rejoindre la tribune de presse. Nous nous sommes certainement servis aux mêmes endroits pour prendre nos boissons. A l’époque, point de « tracing », point de protocole bien ficelés à suivre. Mon médecin traitant me colle alors en quarantaine temporairement. Le temps de prendre ses renseignements auprès du ministère de la Santé sur la procédure précise à suivre et surtout pour savoir si je suis potentiellement dangereux.
Quelques minutes passent, le téléphone vibre. « Pas de souci. Si vous n’avez pas été en contact direct et si vous n’avez pas parlé avec lui à proximité immédiate, vous ne risquez rien. » Voilà ce qu’étaient les consignes aux premiers frémissements chez nous.

Tous ces faits transposés aujourd’hui nous sembleraient incroyables. Couvre-feu, confinement, fermetures des certains pans de l’économie, nous étions loin d’imaginer tout cela en février dernier. Pourtant, cette nécessaire prospective aurait peut-être ralenti l’expansion de l’épidémie. Peut-être. Nous ne le saurons jamais. La seule chose certaine est que dans cet océan d’inconnues en début de crise, bien des décisions et bien des hésitations ont couté cher à l’échelle continentale. A commencer par le fait de poursuivre ces compétitions sportives internationales qui ont contribuées d’une manière ou d’une autre à la circulation du virus. « Avec le temps, on se rend compte que jouer ce match avec des supporters a été une folie », disait au Corriere dello Sport le docteur Francesco le Foche, médecin et immunologue à la clinique Umberto I de Rome. « A l’époque, nous n’étions pas conscients de l’énorme diffusion du virus. » Ce match a été considéré par certains spécialistes comme une bombe biologique. Amplifiée par une manque de cohésion au niveau européen et un manque de centralisation des informations fortement pointés du doigt depuis lors.

Le constat d’un manque de prise de conscience est malgré tout indéniable et la longue liste des victimes du virus en Lombardie doit nous inciter à nous interroger sur les décisions prises et sur leur arrivée tardive.

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