Prolongation du nucléaire : après la crise du Covid, celle du climat
En pleine crise du coronavirus, Engie a opportunément réitéré son souhait de visibilité sur la question du prolongement des sept réacteurs belges qui doivent être arrêtés d’ici 2025. Au-delà des débats purement juridique – c’est prévu par la loi – et politique – la N-VA met tout son poids dans la prolongation – le secteur joue à fond la carte climatique pour justifier le bien-fondé du nucléaire. Alors pourquoi ne fait-il pas partie des mesures de « relance verte » prônée par l’Europe ?
Aujourd’hui, le nucléaire fournit la moitié de l’électricité « faible en carbone » en Europe et emploie 1,1 million de personnes. « Non seulement elle est faible en carbone, mais elle est flexible, dispatchable et économiquement viable », ajoute Yves Desbazeille, Directeur général de Foratom, l’association européenne de l’industrie nucléaire, dans sa réponse à la stratégie industrielle européenne publiée le 11 mars dernier. Pour lui, le nucléaire mérite, à l’instar des batteries et de l’hydrogène, sa propre « alliance » entre investisseurs, décideurs politiques et industrie pour exprimer tout son potentiel.
L’industrie nucléaire veut que l’Union européenne reconnaisse que c’est un secteur stratégique indispensable à la réussite de son Pacte vert. Pourtant, celle-ci ne prévoit qu’environ 15% de nucléaire (c’est-à-dire la même puissance installée qu’aujourd’hui) dans le mix électrique européen en 2050, le reste provenant pour la plupart des sources d’énergie renouvelables.
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- Doel sous la pluie.
- © George Monet, CC BY 2.0.
Le nucléaire n’a pas été mentionné dans la nouvelle stratégie industrielle européenne, et pour l’heure est exclu d’une future « taxonomie » européenne sur les technologies vertes, qui encadrera les investissements dans la « finance durable ». Le nucléaire est également absent du fonds de « transition juste » pour aider les travailleurs dans la transition vers des industries faibles en carbone. Dans les faits, le nucléaire en est plutôt rendu à un combat pour sa survie en Europe et dans le monde.
Une industrie en déclin
Maintenir une capacité de production de 120 GW en Europe va demander de construire de nouveaux réacteurs. « Mais personne ne peut construire une nouvelle centrale nucléaire aux conditions du marché », avertit Mycle Schneider, expert international (et sceptique) sur le nucléaire. Il a fondé le Rapport mondial sur le statut du nucléaire (World Nuclear Industry Status Report - WNISR) qui compile les données sur tout ce qui concerne le nucléaire civil dans le monde.
Le rapport montre une industrie en déclin. « On peut débattre des chiffres, mais pas des tendances », explique M. Schneider : « l’industrie est en crise depuis les années ‘80 ». L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) montre la même chose dans son premier rapport sur le nucléaire depuis presque 20 ans publié en mai 2019.
A l’instar du rapport WNISR, l’AIE étaye l’explosion des coûts et des délais pour les nouvelles constructions de centrales. Par exemple, Flamanville 3 en France et Olkiluoto 3 en Finlande, ont maintenant plus de dix ans de retard et sont à 3 à 4 fois le budget initial. Deux grosses entreprises du secteur nucléaire, Westinghouse et Areva, ont été poussées à la faillite ces dernières années.
Le nucléaire trop cher
Pour les auteurs du WNISR, le nucléaire ne fait pas le poids face aux énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Alors que le prix des énergies vertes diminue, celui du nucléaire augmente. Le résultat : les sources renouvelables sont en tête des investissements et en nouvelles capacités de production d’énergie. Même la Chine, qui a le programme nucléaire le plus ambitieux au monde, a produit en 2018 plus d’électricité éolienne que de nucléaire.
Nonobstant, l’industrie du nucléaire – et l’AIE – martèlent que le nucléaire est indispensable pour la lutte contre le changement climatique. Pour l’AIE, la prolongation des centrales existantes est indispensable en Europe. A 50$/MWh, c’est rentable, même si le solaire et l’éolien sont encore meilleur marché. Les opposants au nucléaire ne sont pas d’accord : l’AIE surestimerait le coût des renouvelables en leur appliquant les conditions de financement du nucléaire.
S’il semble que la Chine soit le pays qui décidera du sort mondial du nucléaire, c’est la France qui est le pays-clé en Europe. Elle produit encore presque trois-quarts de son électricité avec sa flotte nucléaire. Cette part devrait chuter à 50% en 2035, via la fermeture de 14 réacteurs. En parallèle, le gouvernement français veut prolonger la durée de vie du reste de la flotte à 50 ans d’ici 2025. Un plan évalué entre 50 et 100 milliards d’euros.
Incertitudes
De nombreuses incertitudes, toutefois, émaillent les perspectives de construction de nouvelles centrales en France. Selon le quotidien français Le Monde, le gouvernement français a demandé à l’opérateur public EDF de lui préparer des projets pour six nouveaux réacteurs, citant un peu plus tard un document confidentiel d’EDF pour révéler un coût unitaire de 7 à 8 milliards d’euros. Pas de commentaire officiel. Selon EDF, le nucléaire est complémentaire des renouvelables car il fournit la stabilité au système électrique.
Les pays de l’est de l’Europe ont les yeux rivés sur la France pour deviner les perspectives – et un soutien européen potentiel ? – du nucléaire en Europe. En décembre dernier, les dirigeants de la Tchéquie, la Hongrie et la Pologne se sont joints à la France pour faire reconnaître le nucléaire comme une des options possibles pour atteindre la « neutralité climatique » en Europe d’ici 2050, l’objectif ultime du Pacte vert européen.
Il reste pourtant un point d’achoppement que l’industrie ne peut décemment pas ignorer : les déchets nucléaires. Jusqu’ici, aucun pays dans le monde n’a d’installation de stockage géologique à long terme pour les déchets hautement radioactifs. La Finlande est le pays le plus avancé, avec une installation en construction qui devrait entrer en exploitation en 2023. Nonobstant, fin 2019, la Commission européenne tirait la sonnette d’alarme : il n’y a « pas de progrès significatifs » dans la plupart des Etats membres de l’UE. Pour les opposants au nucléaire, on est à des décennies du stockage géologique.
L’avenir du nucléaire dépend en fin de compte de décisions politiques. Les nouveaux réacteurs sont tellement chers qu’ils ont besoin du soutien de grosses entreprises, voire idéalement, des gouvernements. En même temps, il faut bien reconnaître que le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres : ses liens avec le domaine militaire font que les décisions l’entourant seront toujours dictées par des intérêts stratégiques, quels que soient les arguments climatiques, scientifiques, juridiques ou techniques. Le nucléaire belge, propriété d’un opérateur public français n’échappera pas à la règle, qu’on le veuille ou non.