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Produits locaux, que reste-t-il du boom ?

30 novembre 2020
par  Catherine Vandenbroucke
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

Au plus fort de la crise sanitaire, on a vu les consommateurs se précipiter chez les producteurs et dans les commerces de proximité. On a vu les rayons de farine sauvés par les moulins locaux. Le ‘fait maison’ (re)prendre place sur les tables familiales… En cette période que l’on aurait voulu appeler « Post-Covid » -mais qui remet sur la table le sujet brûlant de la défense du petit commerce-, que reste-t-il de ces bonnes habitudes ? La conso de proximité est-elle toujours tendance ? Coup de sonde dans la vallée de la Meuse transfrontalière, entre Namur (B) et Charleville-Mézières (F).

Les observateurs sont unanimes : l’engouement est retombé et le retour au supermarché a été rapide. Mais il reste des traces de cette ruée vers les produits locaux.

Marc Dehareng (conseiller circuit court au BEP, Namur) : « Si l’engouement que l’on a connu est un peu retombé, il me semble que les acteurs du circuits courts maintiennent un bon niveau d’activité, hormis quelques filières qui dépendent fortement du secteur Horeca et évènementiel (ex. microbrasseries, traiteurs…). Le business modèle du circuits court semble donc particulièrement résilient. En effet, il est relativement modulaire et autonome, alors que les circuits de distribution conventionnels sont moins résilients car la chaîne de valeur comprend de nombreux maillons qui dépendent les uns des autres. Dans le cadre du plan Covid Bep, nous avons lancé deux actions d’accompagnement des producteurs. Les dossiers rentrés montrent une volonté des producteurs d’investir pour renforcer leur capacité de production et pour se diversifier. »

Patrick Fostier, conseiller municipal de Charleville-Mézières, en charge du commerce et des marchés, confirme cet engouement, retombé mais toujours bien présent : « Les livraisons et les drive ont multiplié leurs chiffres de commandes par trois pendant le confinement. Aujourd’hui, c’est redescendu, mais les commandes restent 20 à 25 % au-dessus du chiffre de départ. Plus que jamais, l’objectif d’un marché par jour est poursuivi pour notre commune : marchés classiques, marchés couverts et marchés de producteurs de pays (objectif : un chaque vendredi). »
Une liste des systèmes de vente de produits locaux a été établie durant le confinement, pour créer le lien consommateurs / producteurs, toujours accessible sur la page Facebook de la municipalité. Elle montre la diversité d’accès aux produits locaux : en commande web et drive pour les pressés, en mode boutique ou grande surface pour ceux qui aiment voir avant d’acheter, en distributeur automatique pour les pressés qui aiment voir… Il est vraiment possible de consommer local facilement aujourd’hui. »

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La multiplication des marchés et, plus particulièrement des marchés de producteurs, est une des conséquences positives de cette période Covid. Ici, devant l’hôtel de ville de Mézières, mais aussi un peu partout dans la vallée. Moment privilégié de rencontre producteur/consommateur, pour appréhender son alimentation dans toute sa réalité.
© Ville de Charleville-Mézières

Même constat à Waulsort (Hastière), à l’épicerie de la Villa 1900, pour Diane Olivier. Des raisons très diverses ont amené de nouveaux clients : pour soutenir le projet et l’économie locale, pour la mise en valeur d’un mode de vie et d’alimentation plus tenable, mais aussi parce qu’il n’était pas possible de rejoindre les grandes surfaces des villes voisines, en Belgique et en France. « De nos commandes aux producteurs locaux, 50 % sont utilisés pour le restaurant. Vu qu’il était fermé, ces produits ont permis de répondre à la demande des clients, qui avait doublé. »
Et après ? « C’est très vite revenu au niveau d’avant. La situation n’a pas duré assez longtemps pour susciter un changement pérenne. Mais cela a amorcé une meilleure visibilité pour le secteur. Des marchés de producteurs locaux ont été relancés, le premier a eu lieu à Hastière en septembre, porté par les citoyens avec l’aide du centre culturel, les prochains auront lieu en novembre et en mars. C’est une façon de rappeler régulièrement que les producteurs locaux existent. »

Focus en direct du terrain

A la ferme ou en ligne, choisir sa consommation

Florine et Bertrand sont impliqués dans le circuit court. Bertrand Delvaux est co-coordinateur de la coopérative Paysans-Artisans, basée à Floreffe. Florine Marot est active dans la ferme familiale et le magasin créé il y a un an et demi à Malonne (Namur) et a travaillé cinq ans à la FUGEA. Quel est leur regard sur cette période qui secoue les habitudes de consommation ?

Entre pic et chute, où en est la fréquentation aujourd’hui dans vos points de vente ?
« Chez Paysans-Artisans, nous étions à 450 commandes en ligne par semaine, on est rapidement passés à plus de 1000 pour atteindre un pic à 1400 et redescendre à 1000 jusqu’au début juin », explique Bertrand. Aujourd’hui, avec une base de 850 clients, la coopérative dénombre 650 commandes en ligne par semaine. Et le panier moyen a augmenté.

Les trois magasins n’ont pas connu longtemps une augmentation, mais sont aujourd’hui 10 à 15 % au-dessus du chiffre d’avant Covid. Deux nouveaux magasins ont ouvert en juillet et tournent bien.

« Notre plateforme logistique pour les magasins à la ferme, les épiceries et les collectivités a aussi connu une augmentation en raison de la pénurie dans la grande distribution. »

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Bertrand. Assurer la logistique pour amener les produits locaux au plus près des consommateurs, une des missions de Paysans-Artisans.

Même constat au magasin à la ferme ?
Au magasin de la ferme de Reumont, ouvert en mai 2019 par la famille Marot, les ventes ont explosé. « On n’a pas de chiffres, mais il y avait beaucoup plus de monde, une file jusqu’au bout du parking », se souvient Florine. « Cela a d’ailleurs fait fuir certains fidèles, qui ne retrouvaient plus l’ambiance habituelle. On a travaillé comme des fous, et les producteurs aussi. Assurer un assortiment de produits frais, pour rencontrer tous les besoins des clients, c’est un vrai défi. Peu de gens se rendent compte de tout le travail qu’il y a derrière. Deux semaines après la fin du confinement, c’est retombé d’un coup. Quelques nouveaux clients sont restés, heureux d’avoir découvert les produits. Et constaté que leur budget n’avait pas gonflé, leurs courses correspondant mieux à leurs besoins. Les fidèles sont revenus. La fréquentation est redescendue, mais reste supérieure malgré tout.

Florine a travaillé plusieurs années à la FUGEA et se réjouit que cette crise, malgré tous ses aspects négatifs, mette en évidence les dysfonctionnements du système mondial de consommation qu’elle dénonce depuis longtemps : « Les pénuries que l’on a connues sont la démonstration que la meilleure solution est de revenir au local. Cela doit forcer les gens à se réveiller, à poser des choix de consommation en ce sens ».

Elle pointe la résilience du circuit court : « Contrairement à la longue chaîne de la grande distribution, les acteurs du circuit court se connaissent, ont l’habitude de collaborer et sont prêts à travailler énormément. Ils ont démontré leur réactivité. »

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Florine et son frère à la caisse. Depuis mai 2019, le magasin à la ferme de Reumont, à Malonne, met en vente ses produits et ceux d’autres producteurs. Un projet familial qui a tout de suite trouvé son public.
Un maillage du territoire

Par son action de plateforme logistique, Paysans-Artisans veut créer un réseau de petits magasins de producteurs locaux. En ajoutant à la vente en ligne et aux points de ralliement ses magasins, les magasins à la ferme, les magasins de village et les marchés paysans. « Animer le territoire ensemble, avec les mêmes objectifs, un même projet de société. C’est cela qui peut donner du sens et une meilleure connaissance du travail de la terre chez le consommateur. Et stimuler l’arrivée de nouveaux producteurs. La preuve, chez Paysans-Artisans, ils étaient 15 en 2013, ils sont plus de 100 aujourd’hui. »

« Depuis deux ans, ajoute Florine, il y a un peu moins de fermes qui disparaissent, et des néo-producteurs qui s’installent. Ce n’est pas négligeable. C’est un bon signe ».

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