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Port du masque et problèmes de peau : l’autre grande épidémie

22 septembre 2020
par  Matthias Bertrand
( Presse écrite , Le virus des héros comme des gens ordinaires )

On espérait un peu naïvement y échapper et profiter pleinement du soleil estival, mais elle a fini par nous rattraper. Alors que beaucoup d’entre nous laissaient leur vigilance se relâcher, notre pays se retrouve frappé de plein fouet par une seconde vague de propagation du Covid-19. De l’échelon fédéral à la plus petite des communes, on ressert la vis et on répète sans cesse la nécessité de se plier aux règles de distanciation sociale en général, et au port du masque en particulier. Celui-ci est dorénavant imposé beaucoup plus strictement dans les magasins, les salles de sport, ou encore dans le secteur Horeca. Et plus seulement dans les espaces confinés : depuis fin juillet, certaines villes ont rendu le port du masque obligatoire dans les grandes artères commerçantes, les piétonniers, ou sur les marchés. Avec à la clef des amendes à la fois plus salées et plus systématiques.

Ce durcissement des précautions est évidemment nécessaire pour limiter le nombre de victimes d’un virus qui, rappelons-le, n’a rien de bénin. Mais pour un nombre important de nos concitoyens, le port prolongé du masque est plus qu’une contrainte, mais un lot quotidien de désagréments, voire de souffrances : dans beaucoup de pharmacies, on constate une hausse très importante de clients souffrant de problèmes dermatologiques, d’autant plus depuis que les températures sont à la hausse. La plupart du temps, rien de bien grave : quelques irritations, des boutons, voire la résurgence d’un peu d’eczéma. Mais dans certains cas, cela se complique, avec le développement de mycoses, voire d’une véritable infection. Une mésaventure dont Geralt, un Bruxellois de 28 ans, se serait bien passée : « J’ai remarqué un gonflement suspect à la jonction du lobe de l’oreille et de la gorge, juste là où passe l’élastique de la plupart des masques. Un premier médecin a trouvé ça bénin et m’avait conseillé une simple pommade. Mais trois jours plus tard c’était devenu un très gros abcès, très douloureux, à ne plus savoir dormir. En voyant ça un second médecin m’a directement envoyé aux urgences, où on m’a fait passer un scanner et un examen complet du sang avant de me prescrire une dose massive d’antibiotiques, en transfusion et en gélules. Et encore, si on ne m’a pas gardé pour le week-end en observation, c’est uniquement parce que le confinement entrait en vigueur le soir-même à minuit ! » Les soignants soupçonnaient un staphylocoque sur le point de se répandre dans le système sanguin mais, heureusement, il s’agissait d’une « simple » bactérie présente naturellement sur la peau, mais qui peut devenir maligne si elle trouve une lésion confortable pour y faire son nid. Difficile de ne pas y voir un lien avec les masques.

« Le port prolongé d’un masque provoque une plus grande concentration de CO2 autour de la bouche et du nez, et donc une chaleur plus élevée et un taux d’humidité en hausse », confirme le professeur Arjen Nikkels, en charge du service de dermatologie au Centre hospitalier universitaire de Liège. « Cela provoque un changement dans l’écosystème, et le micro-biote, l’ensemble des micro-organismes présents naturellement sur notre peau, devient plus abondant, ce qui peut provoquer des irritations. On peut voir apparaître des Milia, des petits boutons causés par l’inflammation de glandes sudoripares. Et des personnes souffrant déjà de dermatite ou d’eczéma peuvent voir leurs problèmes de peau s’aggraver, de même pour les lésions de type acné chez les plus jeunes, mais ça reste plus rare. »

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Si mariner dans sa propre haleine pendant des heures peut entraîner des désagréments, certains masques peuvent eux-même blesser leur porteur, poursuit le dermatologue : « S’il est mal déplié, la partie métallique des modèles chirurgicaux peut causer des blessures sous les yeux, et les élastiques peuvent provoquer des lésions autour des oreilles, mais il s’agit-là de phénomènes purement mécaniques. Les cas de véritable allergie aux composants des masques chirurgicaux restent extrêmement rares ! De même, il faut encore et toujours rappeler que manquer d’oxygène à cause du port du masque est un mythe complet. Des études ont prouvé qu’on respire sans la moindre difficulté, sauf peut-être lors d’un exercice sportif intensif. Le taux d’oxygène dans le sang ne diminue pas. »

Au lieu de céder aux sirènes qui voient dans le port du masque la source de tous les maux, il convient en effet de ne pas utiliser n’importe quoi, ni n’importe comment. Or, en Belgique, les consignes peu claires des autorités en début de la crise ont fait écho à une gestion des stocks qui tenait du vaudeville, entre pénurie et livraisons de modèles ne satisfaisant pas aux normes en vigueur dans notre pays. Les citoyens ont donc dû faire appel à leur sens de la débrouille et se fabriquer leurs propres masques, plus ou moins confortables et plus ou moins efficaces, malgré de nombreux tutoriels trouvables en ligne. Certaines de ces protections artisanales peuvent se révéler plus irritantes que d’autres. « Un tissu plus rugueux peut devenir un facteur d’irritation », convient M. Nikkels. « Mais il ne faut pas négliger la question de l’hygiène : les fameux masques N95 sont censés être jetés après usage, mais en consultation, je vois parfois des patients qui en portent un qui n’a plus ses couleurs d’origine, ce n’est pas très frais ! Quant aux masques en tissu, il vaut mieux en changer au moins deux fois par jour, en partant du principe qu’on ne les a pas sur le visage toute la sainte journée, et il ne faut pas non plus négliger leur hygiène. Les lavages à 30 ou 40°C permettent d’éliminer la crasse, mais n’ont aucun effet contre les micro-organismes. Il faut au moins monter à 60°C pour éliminer les bactéries et les virus, et plus chaud encore ne fera pas de mal. »

Pas de remède miracle, donc : si vous souffrez de problèmes de peau récurrents, il vous est juste possible de limiter les risques en choisissant des masques qui vous conviennent et en les utilisant au mieux. Beaucoup, dont d’ailleurs Geralt, ont vite opté pour des modèles se nouant derrière la tête, afin d’au moins limiter les douloureux frottements. Pourtant, certains proposent déjà la panacée aux gens à la peau sensible ou, plutôt, sont prêts à leur vendre le remède miracle, et là aussi ce sont les pharmaciens qui l’ont remarqué. Les officines ont vu les grandes marques de produits cosmétiques et pharmaceutiques sauter sur la pandémie pour vanter les bienfaits de leurs soins pour la peau. « Les frottements et frictions constants du masque buccal affectent la barrière cutanée, entraînant une sécheresse de la peau, parfois des ecchymoses et des abrasions [...] Quelles que soient vos activités, voici nos meilleurs conseils pour garder votre peau en bonne santé et éviter les infections tout en portant un masque buccal », peut-on lire sur le site du laboratoire Laroche-Posay, suivi d’une liste de conseils faisant la part belle aux crèmes hydratantes et aux adoucissants de la marque. Une stratégie de marketing qui fait sourire le professeur Nikkels : « Le malheur des uns fait le bonheur des autres... » Mais c’est aussi un signe de plus que, tous, nous prenons l’habitude de vivre avec le virus et nous y adaptons nos besoins et notre consommation.

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