Policiers : ces héros mal-aimés
Travailleurs de première ligne, comme le personnel soignant et tant d’autres, les policiers vivent la crise du coronavirus sur le terrain. Exposés au risque, et confrontés à des missions inédites dans leur carrière, beaucoup sont épuisés par le « police bashing » dont ils disent faire l’objet.
C’est un rendez-vous incontournable que de nombreux Belges se sont donnés, quotidiennement, pendant les longues semaines du premier confinement. Au quatre coins du pays, tous les soirs à 20h, la population a ouvert ses fenêtres pour applaudir à tout rompre le personnel soignant. Un élan de solidarité nationale envers ces travailleurs de première ligne, qui ont pris tous les risques pour sauver des vies durant cette crise. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui ont été contaminés, eux-mêmes, par le virus, en faisant leur travail.
Des travailleurs de première ligne, il y en a eu d’autres pendant cette pandémie. Alors que l’ensemble du pays est à nouveau relégué à la maison pour freiner la propagation de l’épidémie, une série de métiers qualifiés d’« essentiels » continuent à travailler dehors au contact de la population. C’est le cas, par exemple, des caissiers de supermarché, des éboueurs, pharmaciens, journalistes, pompiers et tant d’autres… C’est aussi le cas des 45.000 policiers du Royaume. Au niveau fédéral et dans les 185 zones de police locale, la plupart exercent leur mission sur le terrain, s’exposant quotidiennement au virus et sans aucun matériel de protection, dans les premières semaines du premier confinement.
Manque de masque
« Dès les premiers jours de la crise, je me suis tout de suite rendu compte que nous avions besoin de milliers de masques FFP2 pour assurer la sécurité du personnel policier sur le terrain » explique Vincent Gilles, président du syndicat SLFP Police. A ce moment là, début mars donc, la Police fédérale dispose de quelques 10.000 masques dans ses stocks, utilisés essentiellement dans le cadre de procédures judiciaires particulières, pour des descentes sur certaines scènes de crimes par exemple. Dix milles masques ? A peine de quoi tenir quelques jours !
Alors que le pays tout entier entre en confinement, les policiers de terrain doivent donc effectuer leurs missions sans précaution particulière. Beaucoup craignent alors pour leur santé, et celles de leurs familles, en allant travailler. « Il y a d’éminents scientifiques qui sont venus nous dire, droit dans les yeux, que policier ne faisait pas partie des professions à risque » s’insurge Thierry Belin, du syndicat SNPS. « Certains collègues ont même été sanctionnés parce qu’ils s’étaient procuré des masques par eux-mêmes. »
Les données disponibles démontrent que les policiers n’ont pas été aussi touchés par le Covid 19, que le personnel médical de première ligne lors de la première vague de l’épidémie. D’après un décompte effectué au sein du personnel de la Police fédérale, et d’une cinquantaine de zones locales à travers le pays, il y a même eu moins de contaminations, en moyenne, que dans le reste de la population. « Je ne m’explique pas cette situation, mais c’est forcément une bonne nouvelle » indique Vincent Gilles. D’autant que depuis lors les policiers ont reçu des masques en suffisance pour effectuer leurs missions sur le terrain.
Ce faible taux de contamination n’est toutefois plus d’actualité. Fin octobre, et alors que les hôpitaux encaissaient le choc de la deuxième vague, la police affichait un taux d’absentéisme moyen de près de 20% à travers le pays. Dans certaines zones, le taux d’absentéisme a été tellement élevé, qu’il a fallu fermer certains commissariats pendant plusieurs jours. Certaines missions de base n’ont pas pu être assurées comme elles auraient dû l’être.
Missions inédites
La plupart des zones de police ont pris des mesures, dès le début du premier confinement, en mars, pour protéger leur personnel. La majorité du cadre logistique (personnel civil administratif) a été mis en télé-travail. Dans certaines zones de police, on divise les équipes d’intervention en groupes homogènes qui ne se croisent jamais sur le lieu de travail, afin de limiter les risques de propagation du virus au sein d’une même unité. Les masques sont désormais de rigueur pour tout le personnel de terrain, en contact permanent avec la population et donc, potentiellement, avec des personnes infectées. Des locaux « Covid », spécifiquement équipés pour effectuer des auditions de suspects, ou de témoins, porteurs du virus, ont également été installés dans certains commissariats.
Mais en cette époque si particulière, le métier de policier n’a rien d’une sinécure ! Et cette situation, inédite pour tous, génère des missions qu’aucun d’inspecteur n’avait eu à effectuer auparavant au cours de sa carrière. Veiller au respect des mesures « Covid », c’est empêcher les gens de se rassembler, mettre fin à des fêtes clandestines… C’est infliger des amendes de 250 euros à des personnes qui n’ont parfois pas les moyens de les payer. C’était aussi, au mois d’avril, empêcher les gens de s’asseoir sur un banc, ou dans des parcs, alors que le soleil brillait et que beaucoup souffrait de stress, de solitude et d’enfermement.
Ces missions inédites ne sont pas toujours facile à assurer, sur le plan humain. D’autant qu’elles sont souvent assortie d’un certain flou juridique et peuvent être sujettes à interprétation ce qui génère d’énormes frustrations chez une partie de la population, et pas mal de ressentiment à l’égard de celles et ceux chargés de les faire appliquer. « On est revenu à un climat qui rappelle celui de l’évasion du Dutroux » ose Vincent Gilles ». « Il y a un climat de police-bashing qui est devenu totalement insupportable » ajoute Thierry Belin. Début juin, la manifestation « Black lives matter », et les débordements qui l’ont suivi, ont contribué à mettre de l’huile sur le feu, dans un climat déjà tendu.
Épuisés, et en sous-effectif structurel, les 45.000 policiers belges continuent pourtant d’assurer leurs missions au quotidien, dans une situation exceptionnelle et difficile. Le week-end du 14-15 novembre, à Bruxelles, plusieurs agressions de policiers ont eu lieu dans la zone nord, et dans la zone Bruxelles-Capitale/Ixelles, lors de contrôles visant à faire appliquer les mesures « Covid ». De par le risque auquel ils s’exposent, les policiers font désormais partie des professions pouvant prétendre à une reconnaissance du Covid 19 comme maladie professionnelle.