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Paysan-meunier-boulanger, une vie au levain

29 juin 2021
par  Pascal Belpaire
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

De la scène et de la musique, Simon Menot est passé au champ et à la boulange. Dans le village de Tournay, il cultive les céréales et il les moud. Puis il cuit les pains qu’il vend en Centre-Ardenne. Portrait du paysan-meunier-boulanger de la Ferme de l’Abreuvoir.

Au premier confinement, cela a été la frénésie dans les épiceries locales qui vendent les pains de Simon Menot. « Je ne savais plus où donner de la tête. » Effet Covid, en un rien de temps, une hausse de 20% de la demande et, même si cela s’est estompé un peu à l’été, il en reste un mouvement de fond. Comment se passer du pain de la Ferme de l’Abreuvoir quand on y a goûté ? Façonné avec de la farine artisanale, du levain naturel, dans une préparation lente et avec la cuisson au feu de bois, il naît des mains et de la patience du paysan-meunier-boulanger de Tournay, village de Neufchâteau.

Avec une mère enseignante et un père commercial, le jeune Simon s’était demandé s’il allait suivre le sillon d’un de ses parents. Ado, il a songé être basketteur, lui qui était mordu absolu de ce sport. Il aurait pu devenir éducateur, ayant multiplié les formations d’animateur dans les mouvements de jeunesse. Il aurait pu être instit’ car il a en poche son diplôme de l’École normale, obtenu à 20 ans dans un parcours scolaire sans faute. « Mais à 20 ans, j’avais encore beaucoup de choses à apprendre. » Il aurait pu être prof, avec une candi en psychologie puis un master en sciences de l’éducation décrochés tout en assouvissant ses passions du moment : dans son kot à projet sur le conte, il s’est frotté au milieu du spectacle et il a appris la jonglerie et la guitare. Il aurait donc également pu être artiste. Il le fut d’ailleurs un temps, au saxo et à la clarinette dans le groupe KermesZ à l’Est qui sert un cocktail festif de musique traditionnelle klezmer, balkanique et rock.

Une alchimie ancestrale

Devenir paysan ? En stage d’instituteur, il participe à des classes vertes dans une ferme pédagogique. Il comprend qu’il ne pourra pas s’inscrire dans un schéma classique, enseignant entre les murs de sa classe. « Cette fois-là, la ferme commence à me parler. Je me suis retrouvé davantage dans le concret, dans la vie extérieure. » Premier déclic.

Le sentiment reviendra, plus intense, quand il s’installera à Buissonville dans un habitat groupé dont la petite communauté atteindra l’autosuffisance en viandes, en fromages et en légumes, avec ses élevages et son potager. Et pas en pain ? « Non, mais c’est à cette période que j’ai découvert le pain au levain grâce à une boulangère de Wépion, dans le Namurois. » Tout en s’investissant dans la musique et dans KermesZ à l’Est, il s’intéresse de plus en plus à la boulange et à la magie du levain. A priori, quoi de plus banal qu’un mélange eau-farine. Pourtant, quel émerveillement quand on ouvre le four pour retirer le résultat de l’alchimie ancestrale et naturelle.

Ses premiers pains, Simon les cuira dans un four chez des copains. Un premier four, pour confectionner 12 pains à la fois et nourrir les cohabitants de Buissonville. Et bientôt, un deuxième, plus grand, pour une fournée de 50 kilos de pain qui s’écoulent chez les amis, et les amis des amis. « La cabane en paille dans laquelle j’avais habité est devenue mon premier atelier de boulangerie d’où j’ai sorti 60 pains par semaine. »

Pour Simon, sonne l’heure du choix. Jongler avec la vie de famille, la préparation et la cuisson des pains le mercredi, et les prestations musicales avec KermesZ à l’Est, des concerts et après-concerts joyeux, de plus en plus de dates à l’étranger, des résidences artistiques. Ou alors se poser, s’investir à 100% dans le métier exigeant de paysan-boulanger. Avec son épouse Manoëlle, ce sera l’option retenue. « Nous avons repris la ferme de mes beaux-parents. » Dans la balance, deux arguments de poids : l’expertise du beau-père de Simon et le matériel agricole à disposition. Et une évidence : « En sillonnant partout en Famenne-Ardenne, nous n’avons pas trouvé une ferme avec un environnement tel que celui que nous avons à Tournay. »

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Simon Menot
© Pascal Belpaire

Moudre à la meule de pierre

C’était fin 2014. Six mois plus tard, l’atelier de boulangerie était aménagé à la ferme et l’activité démarrait avec un succès immédiat. « Dès le début, j’ai eu un ambassadeur du produit : l’Epicerie du Centre à Neufchâteau a vendu directement mes pains et elle m’a fait connaître auprès d’un public exigeant. » S’y sont ajoutés rapidement les marchés du terroir, hebdomadaires ou événementiels, et de plus en plus de dépôts pour la vente.

A ses activités de paysan et de boulanger, Simon joint ensuite celle de meunier. Pour boucler la boucle, des semailles jusqu’au pain. Premiers tours du moulin en 2017 et début de la mouture à la meule de pierre, la méthode millénaire qui offre une farine de qualité nutritionnelle supérieure, riche, digeste et savoureuse. La prochaine étape est pour cet été : compléter la meunerie, installer des silos pour le stockage des céréales et des machines pour le tri et le décorticage de l’épeautre.

Avec ses cuissons du mardi et du vendredi, Simon produit environ 650 kilos de pains par semaine. Il lui faut deux longues journées, depuis la préparation lente du levain, celle des pâtes, le stockage du bois, jusqu’à la cuisson, la répartition des commandes et finalement la tournée des pains. Chaque pain cuit est pré-commandé, ce qui évite les invendus et le gaspillage alimentaire.

« Je fais quelque chose qui a un sens, en prise avec le vivant. » Le pain nourrit, il réunit pour le repas. Ses clients, il en connaît beaucoup personnellement. Comme une petite communauté, qui l’a même aidé par un crowdfunding quand il a investi dans un nouveau four et qui achète les pains de Simon parce que « un pain comme ça, on n’en trouve pas ailleurs ». On le prend pour son goût, pour son esthétique, et aussi pour la philosophie qui sous-tend le projet avec la culture bio, la mouture sur pierre, la cuisson au bois. Si ce n’est le pétrissage qui est actionné en vitesse minimale pour reproduire au mieux les mouvements de la main du boulanger, du grain au pain, tout est fait main.

Respecter le sol

Ainsi va la vie à la Ferme de l’Abreuvoir, faite du travail du sol sans labour, de culture de céréales anciennes, de panification au levain naturel, d’accueil de la biodiversité… « C’est une attention et une recherche permanente, afin d’ajuster nos pratiques aux besoins du sol, des plantes, des animaux, et aux contraintes climatiques. » Le travail se fait avec peu d’intrants et peu de mécanique. « Je laisse travailler la terre », explique Simon Menot. Volontairement, il ne pousse pas la production à fond, privilégiant une pratique douce, lente, respectueuse du sol.

Des farines et des pains

Au niveau du goût, l’utilisation de levain pour le pain offre une richesse aromatique intense, qui se développe lentement tout au long de la fermentation. Par ailleurs, le pain se conserve plus longtemps et du coup, on n’en jette pas une miette ! Il est aussi meilleur pour la santé : index glycémique plus bas, pré-digestion des glutens, meilleure assimilation des minéraux.
Simon propose sept pains différents. Quant à la farine, il la vend sous différentes compositions (froment, épeautre, seigle) et différentes contenances, de 1 à 5 kilos.

Une yourte pour l’écotourisme

Le duo que forment Simon et Manoëlle a d’autres projets, notamment celui, déjà concret, de s’ouvrir l’an prochain à l’écotourisme. Manoëlle, qui a été animatrice nature au CRIE du Fourneau Saint-Michel pendant dix ans, prépare l’arrivée d’une yourte qui permettra aux vacanciers d’expérimenter cet habitat hors normes et de vivre la ferme autrement.

Sur le web

On peut suivre les échos et les activités de La Ferme de l’Abreuvoir sur sa page Facebook. On pourra aussi bientôt découvrir son site internet, www.lafermedelabreuvoir.be, qui est en cours de finalisation.

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