Nos sentiers trop battus
Nos forêts aussi ont souffert du Covid-19. Depuis un an, elles ont vu passer quatre à cinq fois plus de monde que d’habitude. De nouveaux usages pas toujours respectueux de la biodiversité.
Les cicatrices laissées par la pandémie de Covid-19 sont visibles à l’oeil nu. En Forêt de Soignes, à bien des endroits, le vert n’est plus la couleur principale. Elle a été remplacée par le brun terre. Une terre compactée, piétinée ou traînent ça et là un vieux masque usagé... Les sentiers officiels ont été élargis, des dizaines d’autres se sont créés à travers la flore. Ici, plus rien ne pousse.
Depuis un an et le premier confinement, le passage dans nos forêts a été multiplié par quatre ou cinq. Comme à chaque crise à laquelle l’humanité a dû faire face, les bois ont servi de refuge. Lors de cette année Covid, c’était le seul endroit où on pouvait encore circuler, sans masque, sans surveillance policière, cachés par les arbres. Conséquence de cette soudaine popularité : nos forêts souffrent. Mais pourquoi s’en inquiéter ? Dans le fond, à quoi ça sert, une forêt ?
« La forêt, c’est le poumon de la terre, dit Willy Van de Velde, garde-forestier en Forêt de Soignes. Elle produit de l’oxygène et consomme des gaz carboniques. Elle régule aussi le cycle de l’eau. Là où on rase des arbres, les sols sont lessivés par l’érosion, les zones sont inondables ». En résumé, « la forêt est notre meilleure alliée face au changement climatique », selon les mots du botaniste et biologiste Francis Hallé à Sciences et Avenir.
En prime, la forêt recèle une biodiversité insoupçonnée... Qui est aujourd’hui menacée : « On ne s’en rend pas compte, mais la faune et la flore qu’on trouve chez nous, c’est exceptionnel, s’enthousiasme Willy Van de Velde. Prenons l’exemple des chauve-souris : vingt-trois espèces ont été recensées en Belgique et rien qu’en forêt de Soignes, on en trouve dix-sept ! » Les chauves-souris... Ne s’agit-il pas de ces bêtes qui transportent toutes sortes de virus ? Sérieusement, ne serait-on pas mieux sans ? « Sans chauves-souris, on aurait un gros problème de moustiques... » Ainsi va la nature : un écosystème à l’équilibre fragile où chacun joue son rôle.
L’humain est déconnecté de la nature
Derrière cet exemple se cache une vérité plus large. Il y a aujourd’hui une réelle déconnexion entre nous, humains, et la nature. Habitués à vivre en ville (même à la campagne) nous ne connaissons plus notre habitat naturel. C’est une des choses que la pandémie nous a apprises : ce lien a été sinon brisé, du moins oublié de longue date. Et pour ceux qui cherchent à le recréer, cela ne se fait pas sans maladresse. « Récemment, j’ai interpellé un jeune homme qui s’était installé avec sa serviette hors des chemins. Je lui ai demandé ce qu’il faisait et il m’a dit qu’il voulait se reconnecter à la nature. Le problème, c’est qu’il était en train d’écraser un plan de jacinthes des bois... »
Depuis un an, Willy a vu beaucoup de nouveaux venus en forêt. Certains sont plein de bonnes intentions, mais ne comprennent pas forcément où ils se trouvent. D’autres ont fait de la forêt leur nouveau terrain de jeu : jogging avec casque sur les oreilles ou cyclisme en groupes, apéros et soirées où la musique résonne à fond dans les baffles, sans parler des chiens sans laisse qui s’en donnent à coeur joie... Pour beaucoup de nouveaux usagers, la forêt est une simple extension des parcs urbains. Or, il s’agit d’un territoire avec ses codes, ses habitants et sa réalité qu’il serait bon de conserver tel quel.
« C’est une très bonne chose que les gens redécouvrent la forêt, poursuit le garde-forestier, mais il faut qu’ils viennent pour la redécouvrir, pas pour la considérer comme un parc, mettre sa serviette et son baffle à fond, sinon on dit adieu à la salamandre, aux chevreuils, à la bécasse des bois, à l’orvet, au lézard vivipare, à la jacinthe des bois... Bref, à toute une biodiversité. Sous la terre, il y a de la vie. On peut se poser la question du bienfait de ces activités. S’agit-il vraiment d’un retour à la nature ou d’une autre forme d’exploitation de la nature ? »
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- © Didier Zacharie
Gestes barrière
Comment concilier retour à la nature et respect de celle-ci (soit les objectifs écologiques et récréatifs liés à la gestion de la forêt) ? C’est toute la question. Déjà, il y a des gestes à avoir, « être le plus neutre possible, c’est-à-dire ne rien amener qui n’appartienne pas à la forêt (qu’il s’agisse de déchets, de musique...). C’est la base. Cela signifie aussi avoir des comportements adéquats envers les autres usagers. Et puis, ne pas quitter les chemins officiels. Ils sont là pour une bonne raison, c’est pour permettre aux usagers de profiter de l’environnement sans risquer de le perturber. En se promenant dans le coin des chevreuils, par exemple, on les gêne et les empêche de se nourrir et de nourrir leurs petits ».
Mais pour suivre ces règles simples, il faut les comprendre : « Un terme qui est terriblement à la mode, c’est celui de pleine conscience. Il faut prendre conscience de l’impact de nos activités et notamment des impacts d’échelle. C’est-à-dire que si je quitte un chemin et que je vais dans le sous-bois, j’ai un impact manifeste que j’ai tendance à minimiser parce que je l’appréhende à l’échelle individuelle. Quand on est cinq, l’impact est déjà plus important. Et quand on est 9.000 par hectare par an à suivre les mêmes chemins (un chiffre qui est aujourd’hui totalement dépassé), l’impact est manifeste et durable ».
Pour prendre conscience de cela, selon Willy, « il faut que quelque chose passe par l’éducation, l’enseignement C’est la seule manière de mieux comprendre la forêt et sa fragilité. C’est un philosophe qui disait cela : ’Aujourd’hui, on sort de l’université avec des diplômes à foison, mais on ne sait pas reconnaître la feuille d’un chêne. C’est la preuve que l’enseignement est passé à travers’. Quelque chose s’est perdu ».
Si la forêt devient si populaire, une solution ne serait-il pas de l’agrandir ? « Avec la pression immobilière, c’est peu probable ». Et si on laissait simplement faire la nature ? « La forêt trouvera toujours son chemin, elle mangerait les routes et le paysage urbain. Elle n’a pas attendu les humains pour se développer. Mais dans ce cas, nous n’y trouverions pas notre compte... »
Profession, garde-forestier
En quoi consiste le métier de garde-forestier ? C’est un travail à plusieurs casquettes. Il y a d’abord le travail de gestion d’une parcelle de forêt (un triage). Dans cette gestion, il y a des objectifs (définis par la Région) de plusieurs ordres : écologiques, patrimoniaux, récréatifs et économiques. Il s’agit donc de faire en sorte que l’environnement forestier profite à tous tout en protégeant la biodiversité et le patrimoine. De temps à autre, du bois est coupé et vendu.
Le garde-forestier est aussi un officier de police, chargé de surveiller la forêt. Un flic des bois, en somme. « En cas d’accident, ma responsabilité civile et pénale est engagée », dit Willy Van de Velde. Enfin, il y a aussi un aspect administratif qu’il ne faut pas sous-estimer. « Quand on met en place des plantations, ce ne sont pas nous qui en récolterons les fruits, mais plusieurs générations de forestiers après nous ». D’où l’importance d’archives complètes et détaillées. Le premier code forestier date du XIIIe siècle. Quant aux premiers plans de gestion de la forêt de Soignes, ils remontent à l’époque de Charles Quint.
Bain de forêt
La sylvothérapie vient du Japon. Plus connue là-bas sous le nom de shinrin-yoku, elle est reconnue comme médecine préventive depuis 1982. Depuis quelques années, elle fait des émules chez nous. Les bienfaits d’un bain de forêt ? Renforcement du système immunitaire grâce aux phytoncides, des molécules rejetées par les arbres ; une réduction de la pression artérielle ; une baisse du taux de glycémie ; une amélioration de la concentration et de la mémoire, ainsi que de la santé cardio-vasculaire et métabolique. Bref, la forêt détend. Pour les adeptes du shinrin-yoku, il faut marcher au moins deux heures dans les bois pour que ceux-ci aient un effet bénéfique sur notre santé.