Musées, chronique d’une année comme vide
Secoués par la pandémie, le confinement et les règles drastiques, nos musées ont vécu l’enfer en 2020. Sans pour autant décrocher. Déterminés à maintenir le contact avec leurs publics et limiter la casse économique en adaptant espaces d’exposition et programmations. Retour sur le vécu, entre résilience et résistance, de quelques acteurs.
Subitement, tout a été COVID. Et tout est devenu comme vide. Plus de visiteurs, plus de touristes, plus d’équipes au travail en présentiel. Seulement le silence et des salles peuplées d’œuvres plongées dans la solitude du confinement. Du Mudia de Redu aux Musées des Beaux-Arts de Bruxelles, en passant par le Musée de La Boverie à Liège, le Musée L ou le Wiel’s, tous les écrins artistiques du Royaume, subsidiés ou pas, se souviendront longtemps et douloureusement de cette cruelle année 2020 déglinguée par la crise sanitaire. Avec pour toutes les structures, à l’équilibre souvent fragile, les mêmes impacts : chute de fréquentation, finances dans le rouge, programmation chamboulée, obligations sanitaires strictes,… fermetures. Et, en permanence, au gré du yo-yo des décisions gouvernementales et des courbes de contaminations du virus, le sentiment de se mouvoir dans un épais brouillard en ignorant quand celui-ci se lèvera. Mais tous les musées ont navigué à vue en adoptant des réflexes de survie et de relance, avec un optimisme pragmatique chevillé aux cimaises et espaces d’exposition.
Virtuel antivirus
Après fermeture de leurs portes dès la mi-mars et mise de leurs équipes en télétravail, la plupart des structures muséales n’ont eu qu’une priorité : maintenir à tout prix le contact avec leurs publics via réseaux sociaux et internet. « Très vite nous avons mis en ligne des contenus, des coups de cœurs, des films proposés pendant nos visites, des ateliers créatifs… On a cultivé ce distanciel numérique avec nos publics pendant le confinement, témoigne Anne Quérinjean, directrice du Musée L sur le campus de Louvain-La-Neuve. Au ADAM- Design Museum Brussels, même tropisme. « On a été présents quotidiennement sur tous les supports virtuels, se souvient son directeur Arnaud Bozzini. En particulier, avec des contenus pour les jeunes. On a transformé en tutos tous nos ateliers bricolages filmés homemade et postés sur youtube. » De son côté, le Wiel’s, musée d’art contemporain bruxellois, a réactivé sur internet ses archives et réunis des contenus inventifs, créatifs et hors normes destinés aux publics jeunes. Partout dans le monde, une pléiade de musées se sont eux engouffrés avec succès dans la mise en ligne de visites virtuelles de leurs collections, ainsi offertes aux publics confinés en quête de distractions à domicile.
Pourtant, certains acteurs, même les plus « connectés », n’ont que peu ou pas cédé à la « visite artificielle ». Tel le PASS de Frameries, à la fois parc de loisirs scientifiques, musée et site touristique. « Comme lieu ludique interactif basé essentiellement sur l’immersion et la démonstration vécues, proposer un parcours virtuel de notre lieu, n’avait aucun sens, estime Chris Viceroy la directrice. Par contre, vu notre ADN scientifique nous avons créé et diffusé des tutos et contenus pour vulgariser et expliquer la pandémie, l’importance des gestes barrières, la différence entre microbe et virus… »
Le MUDIA de Redu n’a pas non plus recouru à la visite virtuelle pour valoriser ses 300 œuvres. Par principe. « Nous sommes pourtant très multimédia, souligne Tanguy Henrard, manager du lieu, mais le Mudia a surtout été créé pour redonner goût aux gens de visiter les musées en live. Je pense que tous ceux qui ont proposé des visites virtuelles sont dans l’erreur. On ne visite pas un musée par écran interposé. Cela brise le lien magique entre le spectateur et l’œuvre, c’est comme se contenter d’une reproduction ».
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- Mudia
- © Fernand Letist
Le KBR Museum, écrin de la Bibliothèque des Ducs de Bourgogne installé au Mont des Arts bruxellois, n’a pas eu à se poser ces questions. Son inauguration de la mi-mai a carrément été différée de cinq mois. Enfin lancé en septembre, sa somptueuse collections de manuscrits médiévaux vient déjà de replonger dans la solitude sous le coup du nouveau lockdown bruxellois.
Reprise en douceur et douleurs
Tout en cultivant des contacts divers avec leurs publics, les musées en activité ont surtout mis à profit les trois mois de lockdown pour penser leurs relances dès la mi-mai dans un écosystème totalement chamboulé. Afin de coller aux impératifs de la sécurité sanitaire, beaucoup ont du revoir les scénographies, agencements d’espaces et pour certains comme le PASS, le rapport aux écrans tactiles. Rares sont ceux comme le Mudia à s’être réjoui de choix posés antérieurement. « Dès notre création il y a deux ans, nous avions opté pour un parcours chronologique. Nous n’avons pas eu à repenser tout un itinéraire, il a suffi de le flécher ».
« Le défi, immense, était évidemment de regagner la confiance des visiteurs et de les faire revenir en nombre », épingle Anne Quérinjean la directrice du Musée L. Et sur ce terrain, bien des acteurs font grise mine. « Depuis la reprise et jusqu’à présent, nous sommes à 70% de fréquentation en moins », indique la directrice du musée néo-louvaniste. Au BPS22, musée d’Art de la province du Hainaut, son directeur Pierre-Olivier Rollin table au mieux sur 12.000 visiteurs en 2020 contre 20.000 les années passées. Arnaud Bozzini estime que son ADAM- Design Museum Brussels, affichera moins 40% de fréquentation par rapport à 2019 et ses 126.000 visiteurs. Du côté du PASS, Chris Viceroy résume : « fin de l’été, on était à 55.000 visiteurs au lieu de 109.000 en 2019 sur la même période. »
Une mesure, levée fin septembre, a fait l’unanimité du monde muséal contre elle : l’interdiction des visites extra-muros frappant les élèves de l’enseignement secondaire. « C’était incompréhensible et scandaleux », tonne Tanguy Henrard du Mudia dont un paquet de visiteurs, avant la crise Corona, provenait des écoles et… des maisons de retraites. « Cette mesure a fort handicapé notre reprise depuis mai. En plus, pour certains ados défavorisés, c’est souvent l’unique occasion d’aller au Musée. Ne voulant pas lâcher ce public, le Mudia a depuis septembre entrepris d’aller à l’école via une guide-conférencière. « Elle y propose un court film d’animation didactique intégré à notre expo permanente, et quelques pièces du musée pour illustrer son exposé. On a aussi boosté notre fabrication de fiches pédagogiques thématiques, retravaillées par niveaux scolaires et offertes à l’école lors de notre visite. » Cet extériorisation en milieu scolaire a aussi été entreprise par le Musée L. « Ce public ado est essentiel à notre relance d’autant que « Stage Bodies » notre audacieuse expo lancée mi-octobre est vraiment faite pour lui ».
Transformer les désavantages en avantages : un art
Parmi nos interlocuteurs, deux structures relativisent la baisse de fréquentation. A la tête du Wiel’s, Dirk Snauwaert table sur une fréquentation in fine « pas trop désastreuse. Bien que le Corona a cassé la dynamique de notre expo-phare Wolfgang Tillmans et qu’en mai on a redémarré avec 600 visiteurs par semaine contre 2000 habituellement. Mi-septembre on était à 30.000. Sauf nouveau couac, on peut encore espérer approcher les 50.000 d’ici fin 2020. De son côté, Tanguy Henrard, manager du Mudia, tempère : « avec globalement moins 15% de visiteurs depuis la reprise, notre saison aura été moyenne ».
Ce qui est sûr, c’est qu’au terme de 2020, toutes les structures,- publiques ou privées, subsidiées ou pas - , seront dans le rouge. Limiter les frais et la casse est devenu une priorité. Beaucoup ont revu leur programmation « à l’économie ». Mais non sans inventivité. « Nous avons lancé « Risquons tout », une très ambitieuse expo sur l’imprévisible et sur le risque de toute création. Né pendant le confinement, ce projet a permis à mon équipe du Wiel’s d’être vaccinée contre tout désespoir, d’avoir une boussole pour se mobiliser, bosser, trouver un sens à ce qu’on fait autour d’un thème en résonance avec l’obsession du moment. La pandémie a généré cette opportunité artistique… C’est typiquement bruxellois, on est passé maître dans l’art de transformer des désavantages en avantages. », sourit Dirk Snauwaert.
Le (ADAM) Design Museum Brussels a aussi fait sa rentrée de septembre avec une expo née de la crise sanitaire : « (dé)confinés ». « C’est une expo temporaire non prévue qu’on a décidé de monter au départ de nos collections. En particulier des pièces que l’on ne montrait jamais, car plus fragiles ou en restauration. Sur base de ces trésors confinés dans les réserves, des métiers du musée et de l’épisode vécu par tous, nous avons monté cette expo baptisée « (dé)confinés ». Inaugurée simultanément avec notre nouvelle expo permanente sur le Design belge et son histoire ».
Le BPS22 carolo a aussi revu son programme. « On a supprimé les deux expos prévues en juin, prolongé celle initiée en mars, et avancé à septembre « La Colère de Ludd » d’abord planifiée pour 2021. Cette expo sur le thème de la dépossession est le fruit d’un choix prudent. Celui de piocher dans notre collection existante plutôt que de commander de nouvelles œuvres à des artistes pour qui toute annulation d’expo liée à l’évolution de la pandémie serait désastreux. On s’est concentré sur une septantaine d’œuvres acquises récemment mais quasi pas montrées », explique Pierre-Olivier Rollin.
Doser et continuer d’oser
Au Musée L néo-louvaniste, Anne Quérijean évoque pour « s’économiser » la piste de « délaisser l’événementiel, qui pompe énormément de ressources, pour se reconcentrer sur du permanent car on a beaucoup de collections. J’aspire à une frugalité heureuse, une simplicité qui a du sens. Il va falloir doser tout en continuant d’oser. »
Finalement, quels mots inspirés par cette annus horribilis resteront tagués dans la mémoire de nos musées ? « Résilience ! », lâche instantanément Chris Viceroy du PASS, cette obligation de se réinventer, rebondir face aux interdits qui ont plu sur le secteur. « Abstraction bureaucratique » dit Dirk Snauwaert du Wiel’s pointant les pouvoirs publics au soutien lointain, artificiel et rarement à la hauteur. « L’art et son public », célèbre Tanguy Henrard du Mudia. « Un duo fusionnel connecté par la sensibilité du monde et des émotions à partager en présentiel dans les musées, conclut-il avec « l’optimisme de la volonté » défiant les méchants nuages plombant le ciel du tableau muséal fort exposé. Et déjà reconfiné depuis ce 24 octobre à Bruxelles (avant d’autres villes ?), sous l’effet de la deuxième vague Corona…
(article publié dans le supplément « Regards sur les Musées » encarté dans « Le Soir » du 24 octobre 2020)