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« Me raser la tête, c’était une prise de pouvoir »

12 juillet 2021
par  Lucie Tesniere
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Serafina a 29 ans. En 2017, elle perd ses cheveux avant de se découvrir le syndrome de Sharp, une maladie auto-immune. Elle est étudiante à ce moment-là et se prépare à rentrer dans la vie active. Elle partage l’impact de cette maladie, sa vie d’après et les leçons tirées de cette expérience.

« J’avais 25 ans. C’était pendant la fête de la bière à Munich. J’avais passé la soirée à boire. Le lendemain, je rentre chez mes parents. Mon beau-père me regarde et lance : “qu’est-ce que tu as fait hier ? On a l’impression que quelqu’un a essayé de te raser la tête.” À ce moment-là, je pense qu’il se moque de moi, parce que j’ai la gueule de bois. Deux semaines plus tard, avant de partir étudier et faire mon master à Berlin, j’organise une soirée d’adieu. Une de mes meilleures copines vient me voir et me dit “Tu t’es rasé les tifs ? » Je ne comprends pas de quoi elle parle. Alors elle prend en photo l’arrière de mon crâne. Je découvre un énorme trou, une tache chauve. Le lendemain, je vais voir le docteur. ‘C’est de l’alopécie. C’est peut-être dû au stress, à la thyroïde ou à un déséquilibre hormonal’. À ce stade, je pense que ce n’est pas grave. C’est derrière la tête, je ne vois rien. Je suis persuadée que ça va s’arrêter. Sauf qu’un jour, alors que je suis en cours, j’aperçois mon reflet dans la fenêtre. Il y a une tache chauve au-dessus de mon front. À partir de là c’est la course aux docteurs. Dermatologue, endocrinologue, homéopathe, immunologue. Je fais des traitements bizarres qui ne marchent pas.

C’est finalement au bout de quelques mois qu’on diagnostique une maladie auto-immune : le syndrome de Sharp. A ce moment-là, je passe ma vie à essayer de cacher les taches chauves. Je cours régulièrement aux toilettes pour déplacer des mèches devant les taches. Je fixe le tout avec du spray. Je mets des bonnets, des petits chapeaux. Ça me préoccupe continuellement et me prend énormément de temps. Entre septembre et décembre, je perds presque tous mes cheveux.

Juste avant Noël je décide de me raser la tête. Je demande à une amie de le faire pour moi. Je pense que ça va être un moment triste, émotionnel. En fait, c’est l’inverse. Je suis hyper contente de reprendre la main, d’être à nouveau dans l’action. Me raser la tête, c’est une prise de pouvoir. Mon amie utilise d’abord la tondeuse puis le ‘lady shaver’ et on vide ensemble une bouteille de très mauvais champagne ! Pour mon amie, c’était un moment spécial. Pour moi c’était important d’être accompagnée dans ce moment de révolte. Après avoir tout rasé, je mets du maquillage, des boucles d’oreilles, je prends des photos et je les envoie à des amis. Je suis surprise de voir que ces photos sont belles. Pas moches. Pas étranges. Juste belles. Ma copine s’exclame : ‘franchement, tu mets de grandes boucles d’oreilles, du rouge à lèvres et c’est bon ! Tu rentres dans TOUTES les boîtes de Berlin !’ Je suis rassurée. Ça me va bien d’être chauve. Ce n’est pas le cas de tout le monde.

Le lendemain, je reviens voir ma famille pour Noël. Je ne leur ai pas dit que je me suis rasé la tête. J’arrive chauve à la maison. Ma nièce de quatre ans ouvre la porte. Elle me regarde intriguée. Fait un bond en arrière. Me donne un câlin et puis s’enfuit. Ma famille se comporte comme si tout était complètement normal. En même temps, tout le monde me caresse le crâne. C’est exactement ce dont j’ai besoin. Une heure plus tard, ma nièce me demande de s’asseoir sur le canapé avec elle. Elle dit :

‘Tu es une fille, non ?’

‘Oui.’

‘Et t’as plus de cheveux ?’

‘C’est ça.’

‘Et ton beau-père, c’est un garçon ?’

‘Oui’.

‘Et il n’a pas de cheveux non plus ?’

‘Non, il n’a pas de cheveux non plus’.

‘Alors, les filles aussi peuvent ne pas avoir de cheveux, c’est pas que les garçons ?’

C’était ma 1ère leçon de féminisme (bien involontaire !) à ma nièce.

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En février, je commence un stage. Mes parents et ma sœur m’offrent une perruque bien chère parce que je n’ai pas un sou. Je la porte tout le temps au travail. J’ai peur que mon patron fasse le lien entre mon état de santé et ma capacité professionnelle, qu’il ne me prenne pas au sérieux parce que je suis malade. Porter ça, c’est désagréable, ça gratte, je transpire. Et je me retrouve dans la même situation qu’avant : je cours constamment aux toilettes pour vérifier que tout est en place. Je fais attention pendant un mois. Et puis, un jour, il fait chaud. Je suis dans mon bureau. J’ai fermé la porte et posé la perruque à côté de mon ordinateur. Mon chef entre sans frapper. On se regarde tous les deux avec une expression de choc total sur le visage, comme des lapins pris dans les phares d’une voiture. Il s’arrête et me fixe, complètement interloqué. Je rougis jusqu’aux oreilles.

‘… tu t’es coupé les cheveux pendant le déjeuner ?’

‘Euh non… je ne t’ai pas dit : j’ai de l’alopécie’.

‘Ah bon. D’accord.’ Et il sort.

Quelques minutes plus tard, il revient me demander si je veux prendre un café. On discute longuement de ça et d’autres choses. C’est un très bon moment. Après ça, je n’ai plus jamais porté la perruque. En rétrospective, ce moment était assez drôle : j’avais fait tellement attention le mois d’avant pour qu’on ne me voit pas sans perruque : tous mes efforts avaient été détruits en trois mini secondes !

Puis, je suis partie faire un stage à Paris. A Berlin, beaucoup de gens voyaient le fait de se raser la tête comme une expression de mon style. À Paris, personne ne le voit comme ça. C’est un peu l’angoisse. Je ne sais pas comment je vais être accueillie. Très vite, je rencontre des gens. Je vais leur raconter mon histoire. Eux s’ouvrent alors de manière incroyable. Je partage une faiblesse et eux aussi. Ça devient des amitiés très profondes, même si on se connaît depuis peu de temps.

Aujourd’hui, autour de moi, beaucoup des femmes ont de l’alopécie. J’ai sans doute une attention particulière pour ça. Dans le métro par exemple, je vois des femmes qui ont des taches chauves : on échange un regard, un sourire, et on se comprend.

Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus à l’aise sans cheveux. Bien sûr, pour une femme c’est difficile. Avec une coupe particulière, on exprime un style, une façon d’être. Les cheveux sont liés à la beauté. Quand on va dans à un mariage, il y a toujours de jolies coiffures, des fleurs dans les cheveux. Pour moi ce n’est pas possible. Mais je sais que je peux vivre comme ça. Je suis sortie de cette expérience plus forte qu’avant. Je me suis rendu compte que les aspects esthétiques ne font pas qui je suis. Ça ne fait pas une personnalité. Être acceptée ou prise au sérieux dépend avant tout de la façon dont je perçois ma propre situation : si je l’accepte, les autres l’accepteront aussi.

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