Loukachenko, un dictateur bien parti pour rester
En raison du Covid-19, bien des pays sont sortis des radars, ont disparu de la carte. C’est le cas du Bélarus. Bien sûr, il ne faisait pas la une de nos quotidiens auparavant, et c’était déjà bizarre.
Car il s’agit tout de même de la dernière dictature d’Europe ! Excusez du peu ! Le pays vit sous la férule d’Alexandre Loukachenko depuis 1994. Cinq mandats présidentiels musclés, dont on pourrait en tout cas dire qu’ils ont constitué un témoignage vivant du passé. Répression comprise, on n’est pas loin de la relique - voire de la momie du système soviétique. Vladimir Poutine n’« existe » vraiment que depuis 1999. Recep Tayyip Erdogan que depuis 2003. Viktor Orban que depuis 2010. Chacun est assurément différent, mais à tous, depuis Minsk, Loukachenko a donné l’exemple de la manière forte…
Avec le Bélarus, on ne parle, du reste, pas d’un petit pays perdu. Avec ses 207.600 kilomètres carrés, presque autant que le Royaume-Uni, sept fois plus que la Belgique, le Bélarus est un grand pays, enclavé entre le Russie, l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Ce n’est pas la Transnistrie, cette micro-province orientale de la Moldavie que nul ne saurait situer sur une carte, et qui s’est installée à son compte et a résolument opté pour la perpétuation de l’URSS, mais en miniature. Bref, le Bélarus, ce n’est pas du folklore.
Le pays a été très durement touché par le Covid-19, les autorités n’ayant pas jugé nécessaire d’instaurer le moindre confinement. Le 9 mai, « Jour de la Victoire », des milliers de soldats ont même défilé à Minsk, aux côtés de… vétérans ! Inutile, bien sûr, de prendre des mesures de précaution, puisque Loukachenko l’a assuré : la vodka vient à bout du virus.
Aujourd’hui, c’est la démocratie qui se prépare, une nouvelle fois, à trinquer. Le 9 août, le Bélarus va en effet retourner aux urnes, pour un scrutin présidentiel. On rappellera au passage qu’aucune des précédentes élections présidentielles qu’a subies le pays n’a été déclarée conforme aux exigences démocratiques. Le mal est cependant structurel : l’année dernière, le Parlement a été renouvelé, sans qu’aucun opposant n’y soit élu.
Loukachenko est évidemment candidat à sa propre succession. Et il fait campagne à sa manière. Des centaines de personnes, proches des opposants, activistes issus d’une société civile qui s’ébroue, influenceurs de réseaux sociaux, journalistes indépendants, etc., sont donc déjà sous les verrous. Une farce démocratique, qui ne fait hélas ! rire que le despote et ses affidés.
Fin juin, Amnesty International résumait : « Les candidat·e·s de l’opposition et leurs partisans sont calomniés, ciblés et incarcérés pour des accusations forgées de toutes pièces, particulièrement les femmes. Une opposante a été menacée de voir ses enfants placés par les services sociaux. Une autre a été menacée de viol collectif dans un poste de police ».
Valery Tsepkalo était un candidat dangereux. Venu du cénacle, n’ignorant rien de ses turpitudes, cet ancien ambassadeur du Bélarus aux Etats-Unis constituait à l’évidence une menace. Il a été éliminé de la course. Certes, il avait rassemblé 160.000 signatures de soutien – il en fallait au minimum 100.000 -, mais seules 75.249 ont été déclarées recevables.
Sergei Tikhanovsky était un candidat dangereux. Charismatique, ce Youtubeur à 235.000 abonnés haranguait trop bien les foules. Il avait lancé une campagne « Arrêtez le cafard », et un grand nombre de citoyens avaient brandi leurs pantoufles pour signifier qu’ils étaient prêts à le suivre et à frapper. Loukachenko l’a fait embastiller pour « atteinte grave à l’ordre public ». Tikhanovsky risque une peine de trois ans de prison. D’ores et déjà, il ne peut plus être candidat. Sa femme, Svetlana, a recueilli plus de 100.000 signatures pour poursuivre son combat.
Viktor Babariko était un candidat dangereux. Crédible, cet ancien banquier libéral aurait pu largement séduire dans un pays totalement verrouillé. Il a été arrêté, et nul ne sait quelles charges ont été retenues contre lui. On parle de fraude, de détournement de fonds, de blanchiment. On dit aussi que Babariko était un agent russe. Belgazbrombank, la banque où il travaillait, dont les locaux ont été perquisitionnés, est une filiale de la russe Gazprombank. Babariko figure toujours sur la liste des candidats officiels, mais rares sont ceux qui estiment qu’il y restera encore longtemps.
Dix candidats en tout ayant été recalés, cette liste compte encore, au 5 juillet, six noms, celui du président sortant compris. « Mais ne vous en faites pas : il n’y aura pas de révolution au Bélarus ». C’est Loukachenko qui l’a affirmé à ses proches. Il sait de quoi il parle. Et il sait y faire.