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Les psychologues proches du burnout !

9 juillet 2021
par  Sophie Lagesse
( Presse écrite , Le virus des héros comme des gens ordinaires )

Les spécialistes de la santé mentale sont eux aussi les victimes de la pandémie actuelle

Extrêmement sollicités depuis le premier confinement, les psychologues ont vu leurs consultations augmentées considérablement. Confrontés à la détresse quotidienne de nombreuses personnes, certains d’entre eux sont eux-mêmes au bout du rouleau. Conscient de cette problématique, Dimitri Haikin, psychologue clinicien et directeur du site psy.be, a organisé avec certains de ses confrères une séance « Et si nous prenions soin de nous aussi ». Le constat est interpellant, nombreux psychologues n’arrivent plus à gérer l’afflux de nouveaux patients et les horaires chargés qui en découlent.

Tout au long de leur carrière, les psychologues sont confrontés à la souffrance de leurs patients. En quoi cette période du Covid diffère pour eux ?

Nous avons eu un afflux de patients très angoissés ces derniers mois. Les personnes arrivaient avec une relative urgence dans nos consultations. Ils devaient aller mieux pour reprendre leur travail ou gérer des crises d’angoisse. Cet afflux est lié à la deuxième vague et à l’hiver qui était assez sombre. Cette augmentation de patients a également été due au système de première ligne mis en place par l’INAMI. Les médecins généralistes de nos régions nous envoient des patients en détresse pour quatre à huit séances maximum. Il faut donc soulager le patient assez rapidement.

De quoi souffrent ces patients supplémentaires ?

Ils sont souvent atteints d’hyper anxiété, ils souffrent de crises d’angoisse, il y a aussi des addictions à l’alcool. Il y a également des situations de dépression. Ces patients se sont greffés à ceux que nous traitions déjà. On nous appelait un peu comme quand on appelle les pompiers.

Avez-vous été témoin de la détresse émotionnelle des psychologues eux-mêmes ?

Oui, et dans de ce cadre-là j’ai organisé il y a quelques semaines une réunion avec mes collègues du réseau psy.be. Je désirais prendre la température avec eux. Cette réunion s’intitulait « Et si nous prenions soin de nous aussi ». Plusieurs des participants ont expliqué que le rythme était très compliqué à suivre et que le respect des règles sanitaires, comme travailler avec le masque, était aussi difficile. Toutes ces conditions, comme celle d’aérer la pièce, désinfecter, rajoute du stress dans une situation qui l’est déjà extrêmement. Cela dépend également de l’agacement du cabinet. Il y a toujours eu des risques de burnout chez les psys, mais on en parle peu. Mais ils font partie de tout ce groupe de soignants de première ligne. Il y a beaucoup de médecins actuellement en burnout. Les psys étaient contents que ce genre de réunion soit organisé et que l’on se soucie de leur santé psychologique. Le fait de pouvoir échanger sur le sujet et d’en parler leur a fait du bien. Toutes les études le prouvent, quand on fait un travail psychosocial, nous avons moins de risque de basculer dans le burnout si on a l’occasion de parler, de communiquer.

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© Dimitri Haikin

Comment se traduit cet épuisement des psychologues ? Sont-ils eux-mêmes sujet à des crises d’angoisse ?

Evidemment, c’est compliqué de cerner leur mal-être total car ce n’est pas toujours facile de se dévoiler lorsque vous êtes en groupe, connecté à trente personnes. On sent une tension plus élevée. Ils se plaignent tous d’un état de fatigue plus conséquent. Ils ont besoin de souffler. Certains sont complets jusque mi-juin, d’autres ont leur carnet de rendez-vous rempli jusqu’à la rentrée de septembre. Je leur ai expliqué que ce qui me sauvait personnellement de cette intensité de consultation, c’était d’organiser certaines de mes consultations dans les bois. Je rencontre un patient et je fais une promenade avec lui. Le fait d’avoir ces moments en pleine air permette d’apporter un regain d’énergie.

En tant normal, est-il préconisé que les psychologues soient eux-mêmes suivis ? Ils sont souvent le réceptacle de la détresse des gens. Eux-mêmes sont-ils amenés à suivre des thérapies ?

Absolument. C’est presque une des normes de notre métier, d’avoir une certaine supervision individuelle. Ce n’est pas une obligation légale donc chacun fait un peu comme il veut. Mais le fait d’aller parler ailleurs de ce que l’on peut ressentir ne peut être que bénéfique, cela permet de ne pas rester avec trop de charge émotionnelle à l’intérieur de soi. C’est un psy pour psy ! L’approche avec patient lambda est différente. Il s’agit vraiment d’écoute ou de l’aiguiller dans certaines thérapies dans lesquelles il a l’impression de tourner en rond. L’écoute reste la base de toutes ces méthodes pour aller mieux. C’est quelque chose d’assez accessible pour tous les psychologues. Lors du premier confinement, nous avions mis en place une ligne d’écoute pour le personnel soignant via psy.be. Nous avions beaucoup de personnes via téléphone, ils nous disaient que ces appels tombaient à point nommé car ils nous racontaient des situations très traumatiques, d’images fortes, de confrontation à d’images très pénibles. En tant que psy, nous ne sommes pas confrontés directement à toute cette horreur là mais nous écoutons la douleur de ceux qui le sont.

Les consultations se font avec des masques, via des rendez-vous internet. Ces mesures déshumanisent-elles vos échanges avec les patients ?

Nous avons eu l’opportunité en tant que psychologue clinicien de rester ouvert tout le temps. Nous n’avons pas dû suspendre nos consultations. Certains ont fermé car ils avaient eux-mêmes des sensibilités de santé. Durant une période, nous avons aussi travaillé sans masque, quand il n’était pas encore obligatoire. Travailler avec un masque, ce n’est pas top, ne pas pouvoir donner une bonne poignée de main à un patient, ce n’est pas top mais on s’adapte, on fait avec la réalité. Quand aux consultations par Internet, heureusement que nous avons eu cet outil, cela nous a permis de travailler avec des gens qui étaient incapables de se déplacer tant leurs angoissés étaient fortes.

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