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Un autre management culturel est-il possible ? Les musées à la traîne

5 mai 2021
par  Charline Cauchie
( Presse écrite , Le virus de l’art )

Le secteur muséal à Bruxelles ne semble pas le plus enclin à mettre en place de nouvelles manières de gérer ses institutions. Petit à petit, néanmoins, comme à Bozar, le contexte évolue. Mot d’ordre : ouvrons les musées, et à tous les étages.

Nous ne sommes qu’en avril et 2021, avec ou sans covid, est déjà une année tumultueuse pour Bozar. D’abord, le 18 janvier, un incendie ravageait une partie du toit du Palais des Beaux-Arts et les eaux pour l’éteindre laissaient l’orgue monumental de la salle Henry Le Boeuf gravement endommagé. Puis, autre genre de conflagration : le 5 février, le conseil d’administration (CA) mettait son CEO Paul Dujardin sur la touche après 19 années à ce poste prestigieux, dont les dernières marquées par la défiance des syndicats. Défiance à laquelle s’est rangé le président du CA, Etienne Davignon, longtemps allié du directeur, qui reconnaissait fin 2020 un “problème Dujardin” et qui est lui-même l’objet de vigoureuses critiques exprimées à travers la campagne Decolonize Bozar coordonnée pour le mouvement de solidarité internationale Intal.

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© Ephameron

Dans ce contexte, l’appel à candidatures pour le renouvellement du CA lancé en février par la Ministre Sophie Wilmès en charge des institutions culturelles fédérales a été salvateur, même si critiqué : “Un délai de deux semaines, c’est trop court pour permettre à un cercle plus large que ceux déjà informés d’y répondre et on ne sait pas à qui il a été transmis. A-t-il été envoyé aux associations du secteur au sens large ?”, déplore Isabelle Minnon d’Intal. Quant au remplacement de Dujardin, l’appel vient d’être publié au Moniteur (code 2021041211, pour celles et ceux qui veulent tenter leur chance). En prévision, une pétition signée par plus de 200 personnes dont 120 (ex-)membres du personnel, avait été adressée à la Ministre insistant sur le caractère “impératif d’ouvrir le mode de gestion hiérarchique de BOZAR à une plus grande démocratie et consultation du personnel, des partenaires culturels mais aussi des citoyen·nes.” L’annonce n’est pas rédigée dans cet esprit, précisant par exemple que les candidatures collégiales ne sont pas autorisées. “Est-ce que cela exclut une évolution vers un leadership partagé dans l’avenir ? Je peux comprendre que le budget et la politique de gestion actuels ne le permettent pas, mais la personne nommée aura-t-elle la liberté de repenser la structure ?”, se demande Gladys Vercammen-Grandjean de Brussels museums, le réseau bruxellois des musées, qui rassemble 120 lieux.

Le P de Pouvoir

À Bozar (comme à Kanal où la future direction artistique est en cours de recrutement), l’opportunité de changement est là. Les occasions de la manquer aussi. Gladys Vercammen-Grandjean n’a pas envie de s’étendre sur Bozar avec qui elle fait du “bon boulot”. Elle est responsable d’Open Museum qui a pour mission de faire du musée un “espace positif” où “chacun·e se sent la ou le bienvenu·e, quel que soit son genre, sa couleur de peau, son ethnie, son handicap, son orientation sexuelle, sa religion, son statut économique, son niveau d’études ou son âge.” Et pas uniquement un musée pour chacun·e, mais par chacun·e. Comment ? “La question qui se pose en leadership se résume en 5 P.” Programmation et partenariats (à diversifier), publics et espaces (de l’anglais “place” pour penser l’accessibilité dans toutes ses composantes), personnel (“comment appliquer les efforts tournés vers l’extérieur au sein de son propre staff”, par exemple via la rémunération des stages, une part importante du problème de l’uniformité actuelle des profils dans le secteur, selon elle) auxquels elle ajoute un sixième, le plus important : le p de pouvoir.

Car la motivation, elle la voit, au sein du secteur avec des projets menés “à gauche à droite”. “Mais tous les efforts seront vains si, au top de la structure, des “gatekeepers” décident de ce qui pourra ou non changer. Mais, de manière générale, il s’agit d’interroger les fondations et les structures des institutions plutôt que les individus à leur tête. Les musées sont construits sur des bases non neutres et biaisées, parfois historiquement discriminatoires et c’est cette hiérarchie structurelle qu’il faut disséquer. Je sens aussi une pression de la part du politique à l’inclusivité, ce que je trouve positif, mais on est encore au début de la bataille”.

Pour mener ces changements d’échelle, dans un contexte international de tensions autour de la (re)définition du rôle des musées entre camps conservateur (pour ultra résumer : “musée comme lieu de patrimoine”) et progressiste (“musée comme lieu polyphonique”), il faudra ouvrir le tiroir-caisse de l’institution (“La transparence, l’horizontalité, c’est beaucoup de travail, et on oublie souvent de le budgéter”), s’entourer (“oser avouer qu’on ne sait pas, qu’il faut aller chercher des expertises nouvelles”, raison pour laquelle Open museum a ouvert ses propres instances et mis sur pied un think tank et travaille avec Actiris), penser long-terme (“les initiatives sont souvent de l’ordre de l’événementiel, pas du trajet”) et aller voir comment font d’autres dans le secteur culturel, notamment dans le théâtre. On en parle demain.

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