Les footballeurs oublient qu’ils sont en CDD
Ancien joueur, le Belgo-Béninois a parfaitement géré son après-carrière. Aujourd’hui à la tête de BPVision, il accompagne les footballeurs dans la gestion financière de leur carrière et après-carrière.
La vie de footballeur professionnel fait toujours rêver beaucoup de gamins et d’adolescents. Parce que le foot est le sport-roi sous nos contrées, parce qu’il génère beaucoup d’argent et déchaine les passions, parfois à l’extrême. Faire de cette passion son métier, jouer dans des stades remplis et faire se lever les foules – quand elles peuvent être présentes… - tout en gagnant des sommes indécentes : le résumé est un peu facile, le cliché à portée de main. Pourtant, derrière ce miroir aux alouettes qui ne dure qu’un temps, entre 6 et 8 ans en moyenne, le retour à la réalité, à une certaine forme de « normalité » pourrait-on rajouter, se fait souvent de manière assez brutale. Financièrement, nombreux sont les footballeurs qui déchantent après leur carrière, parce qu’ils n’ont pas su anticiper la diminution drastique de leurs revenus et, donc, de leurs moyens. Socialement, ne plus être mis comme avant sur un piédestal qui, tout bien réfléchi, n’a pas lieu d’être peut aussi causer des dépressions ou, plus prosaïquement, un mal-être plus ou moins latent.
« Une étude récente a par exemple montré que malgré les sommes souvent faramineuses qu’ils amassent durant leur carrière, pas moins de 6 footballeurs sur 10 ayant évolué au sein de la prestigieuse Premier League anglaise, le championnat le plus riche et le plus attrayant du monde, font faillite endéans les 5 ans, nous précise Frédéric Gounongbe. En Europe, on parle d’un joueur sur deux alors qu’en Belgique, où les chiffres sont encore assez flous et les revenus tout de même moins conséquents, un quart des joueurs sont déjà dans les difficultés financières durant leur carrière active. Et un tiers d’entre eux divorcera durant les 3 ans qui suivent son départ à la retraite ! »
Une pression sociale importante
Ayant fait une honnête petite carrière en Belgique, dans les séries inférieures puis au RWDM et à Westerlo, ce Belgo-Béninois à la retraite depuis deux ans - alors qu’il n’a que 32 -, s’est souvent démarqué d’un milieu du football professionnel qu’il a découvert sur le tard, presque par hasard. « Je n’avais pas intégré, comme la plupart de mes équipiers, un centre de formation où on vous prépare à ce genre de carrière. Beaucoup de footballeurs sont déscolarisés assez jeunes, ajoute celui qui est également consultant foot sur LN24 ou sur RTL. D’autres arrivent d’Afrique, où la pression sociale qui est mise sur leurs épaules est très importante. Pour un Africain, partir pour l’Europe est déjà un signe de réussite en soi. Alors quand il y passe professionnel, il devient carrément le roi du monde. Il est de coutume d’aider sa famille en y envoyant de l’argent mais quand les rentrées diminuent, il devient difficile de ne plus le faire, d’admettre qu’il faut changer de train de vie en le réduisant fortement. Il y a là une question de fierté, d’égo. »
« Personne n’a été préparer à gérer son argent »
Frédéric Gounongbe sait de quoi il parle. Et d’où il vient, lui qui a d’abord failli devenir tennisman professionnel, puis a plaqué ce sport qu’il juge trop individualiste pour tenter sa chance dans le football après avoir terminé des études de commerce à l’EPHEC. Rapidement, il gravit les échelons des divisions inférieures à la D1 belge, où il évolue notamment pour le compte de Westerlo. Puis c’est le grand saut vers Cardiff, un club ambitieux de Championship (D2 anglaise) où il gagne plus d’argent. Beaucoup d’argent. « Cette vie de star, je n’y étais pas préparée mais forcément, dans un vestiaire, on imite le schéma en place. Il nous arrivait parfois, avec le groupe, de partir vers Dubaï ou Barcelone en jet privé quand on avait deux jours. On y faisait la fête et, parfois, j’ai vu passer des notes en fin de soirée de 50.000 euros. Je m’en souviens, je les prenais en photo ! Mais les footballeurs oublient souvent qu’ils sont quelque part en CDD. Et qu’à l’inverse d’un cadre qui est « assuré » de toucher son salaire jusqu’à ses 65 ans, leur carrière s’arrête à 30, 32 voire 34 ans s’ils ont de la chance. Il faut lisser ces sommes importantes sur une longue période et donc avoir l’intelligence et le recul suffisants pour y parvenir. Ce n’est pas donné à tout le monde, surtout que personne n’a été préparé à gérer son argent. Certains le confient à des agents véreux. C’est au petit bonheur la chance. »
Un garage trop petit pour une 6e voiture
Comme la plupart de ces footballeurs extrêmement bien rémunérés, Frédéric Gounongbe aurait pu sombrer dans une vie de luxe, où aucun excès n’est interdit. Il aurait pu claquer tout son fric en montres de luxe, en bagnoles rutilantes, dans l’acquisition d’une villa de rêve ou pour des filles faciles. « J’ai vu des coéquipiers collectionner et exhiber des montres à 80.000 euros. Un autre, qui avait joué à Arsenal, se plaignait que son garage spacieux de sa villa à Londres était trop petit pour accueillir sa 6e voiture. Certains faisaient venir des filles différentes tous les week-ends en jet, leur offraient une après-midi shopping à crédit illimité. Ce n’était pas de la prostitution, juste un « échange de bons procédés » si on peut le dire ainsi. J’ai aussi le souvenir d’un gars qui avait un forfait de GSM VIP à… 2.000 euros par mois, comme s’il pouvait appeler sur la Lune. Ce qui ne lui servait strictement à rien, bien sûr. »
Bien éduqué, intelligent et lucide par rapport au chemin rapidement parcouru depuis ces divisions provinciales où, dit-il, « j’étais content de toucher 300 euros par mois », Frédéric Gounongbe met au contraire de l’argent de côté durant la fin de sa carrière de joueur. Il investit pour assurer ses arrières, notamment dans l’immobilier. « Le foot, cela restait avant tout un plaisir mais je voulais aussi en profiter pour me mettre financièrement à l’abri jusqu’à la fin de mes jours. Aujourd’hui, je suis fier d’avoir cette liberté-là, qui me permet de choisir ce que je veux faire, de ne pas ressentir de pression inutile. »
Des problèmes avec le fisc, pas de comptes d’épargne…
Devant la détresse et les excès de certains de ses équipiers, Frédéric Gounongbe profite de ses deux années passées au pays de Galles pour observer en silence ce qui se passe et se dit au sein du vestiaire. Etant donné que son corps le lâche et ne l’autorise plus à poursuivre sa carrière, il réfléchit à sa reconversion professionnelle. Le déclic viendra de l’un de ses équipiers dont il est très proche. « Ce gars était un chouette type, qui avait déjà joué durant des années en France et gagnait super bien sa vie. Il avait à peu près mon âge et, malgré le fait que c’était un gars intelligent avec qui je m’entendais bien, il était un peu une sorte de caricature du joueur de foot comme beaucoup l’imaginent. Il gagnait énormément d’argent : d’abord 60.000 euros nets par mois puis, plus tard, jusqu’à 100.00 euros. Il avait énormément de problèmes avec le fisc français, avec le fisc anglais, notamment parce qu’il n’avait pas le réflexe d’ouvrir ses courriers. Il ne comprenait pas ce qu’on lui voulait, pourquoi il devait payer des impôts. Il jouait depuis 15 ans au niveau professionnel et n’avait par exemple jamais ouvert de compte-épargne. Un jour, alors que j’étais chez lui, j’ai ouvert son courrier, on a pris une journée pour analyser sa situation, puis pour essayer de la régulariser, ce qui ne fut pas facile. Il m’a fait confiance parce qu’il me connaissait et je dois dire que j’ai apprécié de pouvoir l’aider, je me suis senti utile en rédigeant des mails avec lui, par rapport aux impôts, aux huissiers puis, plus tard, en le conseillant en termes d’investissements. »
Payé 10.000 euros le 3, à sec le 5 !
Quand il rentre en Belgique, Frédéric Gounongbe s’inscrit alors à l’ICHEC où il y suit une formation en gestion patrimoniale. Il lance alors sa propre structure qu’il baptise BPVision (BP pour Bigger Picture, une expression anglaise qui signifie ‘prendre du recul’) et qui a pour but de venir en aide aux footballeurs professionnels afin de les alerter sur la nécessité de gérer leurs revenus et de préparer leur après-carrière. « Souvent, beaucoup de joueurs ont du mal à évoquer la fin de leur aventure sportive au plus haut niveau parce qu’ils sont, par la force des choses, dans une culture de l’instantanéité, du court terme, du fameux « match par match » qu’ils répètent constamment, parce qu’on le leur répète constamment. Alors, leur après-carrière, c’est souvent flou. J’ai commencé à encadrer un joueur important d’un bon club belge qui, à l’époque gagnait 10.000 euros mensuels. Il les touchait le 3 de chaque mois et, en général, il n’y avait déjà plus rien sur son compte le 5. Par la suite, il vivait à crédit auprès de ses équipiers. Quand je lui rappelais que cette somme était conséquente, il me répondait que le problème était qu’il ne gagnait pas assez d’argent ! Aujourd’hui, je remarque que beaucoup de joueurs me contactent parce qu’ils prennent conscience de cette réalité, qui leur a parfois éclaté au visage durant le confinement, quand certains ont vu leur salaire être réduit. J’ai récemment organisé et animé une vidéo-conférence sur Zoom et on était une soixantaine de joueurs actifs en Belgique, France et en Angleterre.
Aujourd’hui, je m’occupe réellement d’une dizaine d’entre eux, avec lesquels j’essaie d’avoir une relation privilégiée, basée sur la confiance. Peu importe si ma structure ne se développe pas trop, je préfère privilégier une relation basée sur la qualité plutôt que la quantité. Il faut aussi qu’il y ait une réelle volonté de leur côté de s’intéresser à ce que nous faisons ensemble. Le but n’est pas de gérer leur argent en échange de la signature d’un contrat. On analyse la situation au cas par cas parce qu’il est évident qu’un joueur de D1B ou un autre qui évolue en Premier League n’ont pas les mêmes attentes, ni les mêmes besoins. Mais j’essaie de leur apporter un service clé en main avec des spécialistes dans divers domaines (comptables, assureurs, gestionnaires de patrimoine…) pour leur permettre de vivre au mieux le pendant et de préparer l’après. Je travaille par exemple avec quelques jeunes joueurs très ouverts sur la question. C’est agréable de voir qu’ils progressent bien. S’ils sont rassurés financièrement, cela peut parfois faire la différence pour mieux prester. »