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Les coopératives, plus solides face au Covid

5 août 2020
par  Laurence Briquet
( Presse écrite , Le virus de la solidarité )

La crise du Covid-19 a eu un impact conséquent sur de nombreux secteurs. Certaines entreprises semblent avoir mieux traversé l’orage que d’autres. Ces entreprises, ce sont des coopératives qui ont montré qu’elles étaient plus fortes, plus solides et plus résilientes en temps de crise. Explications…

Le modèle coopératif, dans l’économie, n’est pas nécessairement celui auquel les entrepreneurs pensent en premier quand ils veulent lancer une activité. Pourtant, le modèle a de la ressource et séduit de plus en plus les nouveaux entrepreneurs. De nombreuses écoles supérieures incluent désormais des cours tournés vers l’économie sociale et les coopératives. A l’école de gestion de l’ULiège (HEC), par exemple, 10 à 15% des étudiants choisissent, chaque année, la filière « économie sociale ».

Qu’est-ce qui séduit dans le modèle ? Les valeurs que les coopératives véhiculent d’abord. Celles de partage, de solidarité et de coopération. On est ensemble, dans une entreprise, et on la fait avancer en partenariat, de manière solidaire et altruiste. Et puis, il y a cette force que les coopératives ont et qui se marque encore davantage en temps de crise. On les dit plus résilientes, c’est-à-dire capables, dans le malheur ou la difficulté, de trouver la force de se reconstruire et d’avancer. Cela a notamment été confirmé durant la crise du Covid que les coopératives semblent avoir mieux traversée que d’autres entreprises qui ont connu de gros soucis de trésorerie ou qui ont carrément dû mettre la clé sous le paillasson.

Trésorerie suffisante

« Nous avons lancé un sondage auprès d’un tiers des entreprises de notre portefeuille afin de connaître leur perception de la situation et la manière dont leur entreprise traversait la crise », explique Flora Kocovski, directrice de W.Alter, anciennement Sowecsom, l’outil wallon de financement de l’économie sociale et des coopératives. « Si ce sondage n’a pas de valeur scientifique, il nous apprend notamment que 90,9% des répondants sont positifs quant à leurs chances de survie à la crise inhérente au Covid-19 et 72,7% estiment que leurs fonds propres semblent suffisants pour absorber le choc », ajoute-t-elle alors que, dans le même temps, l’Union Wallonne des Entreprises sondait ses membres avec un bilan bien différent : 73% des entreprises déclaraient avoir des problèmes de trésorerie. Les éléments qui permettent aux coopératives d’être plus résilientes tiendraient dans leur ancrage local (elles répondent à des besoins essentiels), dans le fait que ce sont des entreprises collectives (elles sont entourées d’une communauté qui les soutient) et dans le fait qu’elles sont plus solides financièrement.

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Sarah Genon
©Briquet

Un constat que nous avons pu vérifier sur le terrain. Sarah Genon, 33 ans, a ouvert, en novembre 2017, sa boutique de déco « Sapristi », au cœur de Namur. Avec son amie Virginie, elles ont, à l’époque, choisi le modèle coopératif parce que c’était celui qui correspondait le mieux à leurs valeurs. « Il y a des valeurs humaines derrière l’aspect coopératif », confie Sarah. « On voulait créer un petit réseau et une communauté autour de nous avant de démarrer. Avec la crise du Covid et la fermeture du magasin, on a pris un gros coup au moral. Après 1 à 2 semaines de latence, on s’est demandé comment mettre ça à profit. On a alors beaucoup communiqué sur nous et boosté la boutique en ligne. Et on a senti un élan de solidarité derrière le fonctionnement de la coopérative. On ne se sent pas seul. C’est hyper encourageant de voir les coopérateurs bienveillants et à notre écoute », ajoute-t-elle.

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Lauriane et Florence
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Même son de cloche à Wavre, chez Macavrac, une épicerie coopérative. « Pendant le confinement, on a dû tout réorganiser pour que le magasin continue de tourner. On a, par exemple, créé des commandes en ligne : les clients commandaient puis venaient chercher leurs courses au magasin », explique Florence Lanzi, co-coordinatrice de Macavrac. « On eu de nouveaux clients, maintenu notre chiffre et on a même engagé des étudiants à la semaine. C’est une belle victoire. On sent que quand il y a une crise, les coopérateurs se mobilisent et nous donnent un coup de fouet. On remarque aussi que si, par exemple, en assemblée générale, il y a des moments de doute, les gens sont là, derrière nous. Il y a un réel engouement et du soutien. C’est ça la force du projet ».

Modèle alternatif

La manière de gérer l’argent est également un atout en temps de crise. Le Ciaco en sait quelque chose. Le Ciaco, Centre d’Impression et d’Achat en Coopérative, est né en 1970 à Leuven. Après la scission de l’université, il est allé s’installer à Louvain-la-Neuve et à Woluwe où il fait, aujourd’hui, papeterie et imprimerie. « Cicao a été créé par des cercles d’étudiants désireux de créer un outil qui réponde à leurs besoins en termes de petit matériel de papeterie et d’impression de syllabus », explique Geoffrey Wolters, directeur. « C’est vraiment une coopérative de consommateurs destinée à fournir un service à sa communauté plutôt qu’à générer du revenu. Dans une coopérative, l’entreprise appartient à ses membres qui ont acheté une part de coopérateurs. Nous avons 76.000 coopérateurs actuellement », ajoute-t-il.

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Une partie de l’équipe du Ciaco
©Briquet

Cinquante ans après sa création, le Ciaco continue de montrer qu’un modèle commercial alternatif est possible. « On a déjà failli disparaître 2 ou 3 fois, notamment au début des années ’90 quand nous avons dû vendre un bâtiment et restructurer. En fait, on ne distribue jamais de dividende. On garde le bénéfice d’année en année, ce qui fait qu’on a énormément de fonds propres et on les garde au cas où. Pendant la crise du Covid, on a été fermé pendant 2 mois. On a survécu grâce à nos réserves. Je pense aussi que si on est toujours là, c’est parce que nous avons des dirigeants et des coopérateurs fidèles », poursuit Geoffrey Wolters.

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Stephan Vincent
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Stephan Vincent, fondateur d’Ethiquable, une coopérative active dans l’épicerie sèche (chocolat, thé, café…), confirme cette résilience. « La coopérative, c’est vraiment la solution qui s’est imposée quand on a créé Ethiquable. Il y a cette forme de résilience, cette capacité à absorber les chocs. Les bases sont solides et non fondées sur des modèles dépendant de l’extérieur comme la Bourse. Nos premiers clients sont toujours là. On crée des partenariats avec eux. Il y a cet aspect humain et chaleureux qu’on ne trouve pas ailleurs. On n’a pas une relation client-fournisseur mais plutôt une relation de partenaires. Avec la coopérative, on avance avec l’énergie de tous », note le fondateur.

Cette solidité des coopératives, elle est confirmée par Sybille Mertens de Wilmars, professeur à l’école de gestion (HEC) de l’ULiège, spécialisée en économie sociale et coopérative. « Il y a plusieurs ingrédients qui font que les coopératives sont plus solides en période de crise. Il y a d’abord l’ancrage local. On n’est pas dans des relations d’anonymat. Dans une coopérative, on connaît les clients et les travailleurs. Ensuite, quand il y a une crise internationale, on se replie sur son territoire. On soutient son fleuriste, son libraire… Il y a une solidarité, on n’est pas juste des animaux économiques. De plus, elles sont souvent sur des services essentiels (s’alimenter, se loger…) et elles ont une politique très prudente. En cas de profits, on ne distribue pas les bénéfices, on solidifie d’abord l’entreprise », explique-t-elle.

Une question de survie

Et puis, il y a aussi, quelque part, le rôle social des coopératives qui aident des petits producteurs à garder la tête hors de l’eau, notamment en écoulant leurs produits. Nous avons rencontré Benoît Frison, éleveur de volaille à Gibecq (Ath). Il vend une partie de ses productions via la coopérative Coprosain qui, elle, les propose à la vente sur des marchés ou dans ses magasins. Sans elle, l’exploitation aurait probablement du mal à trouver la rentabilité. « Depuis le départ, sans Coprosain, je crois qu’on n’aurait pas existé. On était très petit et on n’avait pas de débouchés. La coopérative nous faisait vivre. Aujourd’hui, on a d’autres clients mais je dirais que 50 à 60% de notre production vont vers Coprosain. Il y a 10 ans, on a ouvert aussi un magasin à la ferme avec un atelier de découpe. C’est un gros débouché pour nous », explique Benoît. « Quand on a commencé, on n’avait pas de point de vente. Dans une ferme, il faut tout faire, cela demande toute une gestion, ce n’est pas évident. Or, la coopérative nous a permis de développer l’activité sur l’exploitation et, au client, de trouver une large gamme de produits alimentaires issus de la ferme. Pour nous, c’est un débouché sûr et stable d’autant que, comme ce fut le cas avec la crise du Covid, la demande augmente toujours puis retombe un peu. Pour moi, les coopératives vont permettre aux fermes de survivre », conclut l’éleveur.

Des exemples qui montrent donc qu’une autre économie est possible. Et le succès des coopératives ne devrait pas s’arrêter de sitôt puisque, si la Wallonie a été la première région d’Europe, en 2008, à se doter d’une législation en matière d’économie sociale, la Région continue d’investir dans ce secteur. En 9 mois, plus de 8 millions d’euros ont été dégagés par Christie Morreale, la ministre wallonne de l’Economie sociale pour booster ce modèle économique alternatif, développer les circuits courts, les produits locaux, la consommation solidaire mais aussi encourager la naissance de la banque coopérative New B.

Tout porte donc à croire que la coopérative a encore de beaux jours devant elle…

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