Le virus met les notaires sous pression
Chute voire arrêt des transactions immobilières, hausse des successions, chômage économique, la crise sanitaire a frappé de plein fouet et de manière variée les études notariales du pays. De nature discrète, le travail des notaires est pourtant au cœur de la vie quotidienne des gens. Le notaire est associé aux moments de grand bonheur comme de profonde détresse. Rencontre avec des acteurs du secteurs qui appréhendent les semaines à venir.
« C’est la quatrième grande crise que je connais », lance d’emblée Sophie Maquet, notaire à Bruxelles. « Il y a eu l’éclatement de la bulle internet, les attentats du 11 septembre, la crise économique de 2008 et maintenant la covid. Dans les crises précédentes, le notariat est affecté avec un effet retard de 4 mois en général. Cette fois-ci, on l’a encaissé tout de suite quand tout le pays s’est arrêté ».
Les chiffres de Fednot (la fédération du notariat) parlent d’eux-mêmes. Sur les six premiers mois de l’année 2020, « on constate une diminution de 10% par rapport à la même période en 2019 ». Si on se focalise plus spécifiquement sur les mois de mars et d’avril, la chute est de plus de 18%.
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- Comparaison des transactions immobilières pour le premier semestre. Source : Fednot
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- Comparaison des transactions immobilières pour les mois de mars et avril. Source : Fednot
Sur le terrain, l’effet ne s’est pas fait attendre. « Nous avons terminé ce que nous avions dans le pipe mais nous avons dû mettre le personnel en chômage économique entre 20% et 100% du temps, selon les cas ». Dans son étude de l’avenue Louise, Me Maquet n’a pas connu un nombre supérieur de successions. « Pas plus que d’habitude. En tout cas, aucune liée au covid », conclut la notaire bruxelloise qui avoue, avec le nouveau durcissement des mesures, « avoir un peu peur du mois de septembre ».
Augmentation des successions
La situation est sensiblement différente chez Sebastien Dupuis, notaire à La Louvière. « Nous avons un surcroît de travail assez important. Un surcroît de travail qui est toujours présent malgré le déconfinement ». Me Dupuis explique ce phénomène par le fait que « le notaire est présent dans la vie quotidienne des gens. Quand on a mis le pays en confinement, c’est un peu comme si on avait tiré la sonnette d’alarme dans un train pour l’arrêter net mais la vie des gens a continué ».
« Autour de mon étude, j’ai quatre maisons de repos qui sont situées aux alentours et elles ont été durement touchées. Donc oui, nous avons eu plus de successions à gérer. Il suffit d’ouvrir les pages nécrologies de La Nouvelle Gazette pour s’en rendre compte. D’habitude, il n’y avait que quelques décès, durant cette période, il aurait bien fallu plusieurs pages ».
La crise change les comportements
Au-delà des chiffres et des statistiques, les notaires constatent déjà des changements dans les comportements suite à la crise. « On sent une grande inquiétude chez les gens », relève Sophie Maquet « mais j’ai surtout remarqué une grande solidarité. A Bruxelles, il y a une vraie solidarité qui s’est établie entre propriétaires et locataires. J’ai l’exemple de deux gros propriétaires bruxellois qui ont suspendu la perception de leurs loyers pour les établissements horeca. Il ne fallait pas casser l’outil et ils ont pris leurs responsabilités. C’est assez inédit ».
Sebastien Dupuis souligne également cette solidarité entre les études notariales pour faire face à la crise. Au quotidien, « j’ai noté une légère augmentation des personnes qui venaient me trouver pour aborder la question du testament. Il est évident que cette crise sanitaire pousse à la réflexion même si peu de gens aiment penser à la mort, on se rend compte que c’est nécessaire aujourd’hui car cette maladie peut aller très vite ». Or, selon le notaire installé à Strépy-Braquegnies : ne rien prévoir est parfaitement égoïste ».
Une conséquence du confinement se manifeste également aujourd’hui dans les études notariales : « d’habitude je ne fais jamais de divorce mais, depuis le déconfinement, je n’ai jamais eu autant de rendez-vous pour ces procédures », souligne Sophie Maquet.
Envisager le pire
Face à ce virus et à ses conséquences qui peuvent être terribles, les notaires conseillent de jouer la carte de la prudence et de l’anticipation. « Un jour ou l’autre, tout le monde décède. Si on est une personne à risque, c’est sans doute le moment d’aller voir son notaire et de prendre tous les renseignements sur les successions. Les conseils sont gratuits et cela permet de prendre ses décisions le plus sereinement possible. Je conseillerai en outre de collecter toutes les informations importantes dans un seul endroit. Contrat de mariage, acte de propriété mais aussi tous vos identifiants et mots de passe pour vos comptes bancaires ainsi que vos réseaux sociaux. En cas de décès, il sera alors plus facile et plus rapide de réaliser toutes les procédures nécessaires ».
Sophie Maquet pointe un autre élément important : « Je conseille de signer des mandats extra-judiciaires. Cela permet d’exprimer ses volontés au personnel soignant. Alors l’euthanasie est une question qui se règle via la commune mais tout ce qui relève du droit du patient, de la volonté de ne pas réanimer et de mourir dans la dignité est intégré dans ces mandats extra-judiciaires. Avec cette crise du covid, je pense que c’est un acte qui peut se révéler très utile ».
Visio et signature électronique
Et si vous craignez de sortir de votre bulle pour vous rendre chez le notaire concernant des procédures aussi importantes, pas de panique. « Il faut oublier l’image du vieux notaire avec son costume trois pièces et sa montre à gousset. L’attache au papier, c’est la loi qui nous la confère mais l’ensemble des procédures ou presque peuvent se faire sans être présent physiquement dans l’étude. La digitalisation est en marche dans le notariat depuis le milieu des années 90. Nous avons un système de visio-conférences sécurisé commun à tous les notaires. En outre, la procuration numérique permet de signer les documents à distance en la présence du notaire grâce à sa carte d’identité et son code PIN », explique Sébastien Dupuis.
Mais dans certains cas, un contact physique est nécessaire. Il faut alors s’adapter. « J’ai eu quand même un contrat de mariage pendant le confinement. C’était le seul. Le personnel était en télétravail alors le couple est venu à l’étude. Monsieur est d’abord venu signer pendant que madame attendait dans la voiture avec les enfants. Et puis l’inverse. Ce n’est pas banal. Surtout pour un contrat de mariage ».
Derrière tous ces actes administratifs qui peuvent se révéler quelque peu rébarbatifs, les notaires restent des êtres humains. « Le contact humain, c’est l’essence même du métier. On ne peut pas être misanthrope », indique Sébastien Dupuis. Alors face à cette crise, « c’est assez difficile au vu des circonstances mais on ne peut pas se laisser déborder par nos émotions ».