Le transport maritime à la voile : un retour vers le futur ?
Des entrepreneurs français font le pari du vent pour décarboner la marine marchande, consommatrice de 7% du pétrole mondial. Basés sur la façade atlantique, ces visionnaires engagés développent des stratégies innovantes qui s’appuient sur des navires à voile nouvelle génération et un marketing bien pensé. De grands groupes commencent à s’y intéresser.
Ce n’est sans doute pas un hasard si le berceau du renouveau de la marine marchande à la voile se trouve en Bretagne, pays de vent et de mer. La société Transoceanic Wind Transport (TOWT) basée à Douarnenez, arme depuis 2011 des anciens voiliers de travail de type vieux gréements pour prouver son concept : en associant la force du vent aux technologies récentes en matière de course au large et de routage, notamment grâce aux images satellites, la propulsion vélique procure le meilleur rendement pour déplacer une coque sur l’eau. « Nous avons créé TOWT suite au double constat de la disponibilité des vieux gréements et de l’abondance des vents au large. Mais l’idée n’était pas de faire de la reconstitution historique. Nous avions dès le début en germe la volonté de lancer des voiliers-cargos modernes », explique Guillaume Legrand, co-fondateur, avec Diana Mesa Robayo, de TOWT et ancien trader de la City de Londres.
Avec ses vieux gréements, TOWT est à l’heure actuelle le premier armateur français à la voile. Dans les cales de ces bateaux historiques, la société transporte en transatlantique et en cabotage européen du café, du thé, des chocolats et des spiritueux labellisés « Anemos ». Le label Anemos (nom du dieu grec des vents porteurs) permet aux consommateurs de suivre le voyage du produit qu’il achète et de constater les économies d’énergie réalisées grâce à ce type de transport décarboné. Neuf ans après sa création, TOWT est sur le point de passer à la deuxième grande étape de son développement. En juillet 2020, TOWT a déposé un appel d’offre auprès de plusieurs chantiers navals européens pour la construction de quatre voiliers-cargos de 70 mètres, capables de transporter chacun 1000 tonnes de marchandises. Coût estimé d’un de ces navires de charge à propulsion vélique : 10 millions d’euros. La société espère mettre le premier voilier à l’eau fin 2022. Le chocolatier français Cemoi, le sourceur de café vert Belco, la rhumerie Longueteau, et la société de vins bio Ethic Drinks ont déjà signé des lettres d’intention pour transporter leurs marchandises à bord des navires marchands de TOWT.
Une autre société bretonne, Grain de Sail basée à Morlaix, a elle mis sur pieds depuis une dizaine d’années un business model unique en son genre. Pour Jacques Barreau, co-fondateur de Grain de Sail fort d’une carrière de plusieurs années dans l’éolien offshore, « la première préoccupation d’un armateur est de savoir ce qu’il va mettre dans sa calle ». Plutôt que de solliciter des clients et de se frotter à un marché du transport maritime classique très concurrentiel, Grain de Sail a développé un modèle intégré en devenant son propre client. Grain de Sail est devenu torréfacteur puis chocolatier-couverturier avant de lancer son activité d’armateur.
Son premier voilier-cargo a été mis à l’eau courant juillet 2020 et sera prêt pour sa première traversée de l’Atlantique en septembre de cette année. Le navire Grain de Sail transportera des vins bio français vers New York, puis descendra vers les Caraïbes et l’Amérique Centrale pour charger des grains de café et du cacao destinés à sa propre production. Le voilier-cargo Grain de Sail, financé en grande partie sur les fonds propres de l’entreprise, mesure 22 mètres et a une capacité de charge à bord de 50 tonnes. Il coûte 1,8 million d’euros. « Nous avons sorti un navire de taille assez modeste mais qui était réaliste sur le plan financier. Le prochain fera 40 mètres, avec une capacité en calle de plus de 200 tonnes », explique Jacques Barreau.
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- Le navire "Grain de sail"
« L’équation la plus importante dans le maritime est la taille du navire », reconnaît le patron de Grain de Sail. Aujourd’hui, le coût du fret transatlantique sur les immenses cargos conventionnels s’élève à seulement quelques dizaines de centimes du kilo pour le client. Le transport à la voile est sensiblement plus cher, car les capacités en calle sont très réduites. C’est pourquoi ces armateurs d’un nouveau genre se tournent vers des produits à fortes valeur ajoutée, pour lesquels le surcoût du transport à la voile est plus facilement « lissé » dans le prix final.
Pour des entrepreneurs engagés comme Guillaume Legrand et Jacques Barreau, la mission est de créer un cercle vertueux en prouvant qu’un transport maritime dépollué est possible. Même s’ils sont conscients de s’attaquer à une montagne, puisque 90% des marchandises que nous consommons au quotidien transitent par la mer sur des portes-conteneurs propulsés au mazout, soit 10,5 milliards de tonnes par an transportés sur les océans. Si le transport maritime était un pays, il serait l’un des plus pollueurs de la planète.
« Nous voulons initier une démarche qui va dans le bon sens, et nous voulions le faire de manière aussi concrète que possible », souligne Jacques Barreau de Grain de Sail. Pour Guillaume Legrand de TOWT, « il ne s’agit pas de remplacer demain la flotte maritime mondiale avec des grands voiliers-cargos de 400 mètres de long. Par contre, il faut voir le film et non pas la photo. Nous validons un concept en mettant à l’eau quatre voiliers-cargos avec des marchandises adaptées et cela avec un coût très marginalement supérieur à celui d’un transport carboné. Nous offrons en plus le levier commercial du label Anemos qui est un vrai facteur de différentiation à l’heure où l’identité de certaines marques se trouve questionnée par les jeunes générations ».
D’autres projets, comme celui de l’entreprise française Néoline, ou bien encore de la compagnie maritime Alizés, voient grand. Le premier a signé un accord avec le constructeur automobile Renault pour transporter sur des voiliers-cargos de 136 mètres de long certaines de ses voitures vers le continent américain ou encore des bateaux des chantiers Bénéteau. Le second fera naviguer le lanceur Ariane 6 vers la Guyane à bord d’un voilier futuriste. Comme quoi même si elle ne représente aujourd’hui qu’un petit courant, la marine marchande à la voile a bel et bien le vent en poupe.