Le port du masque : une population bâillonnée ?
En cette rentrée les mouvements anti masques se sont multipliés, dénonçant le port obligatoire comme une atteinte aux libertés fondamentales. En Allemagne, le mouvement a rassemblé jusqu’à 40 000 personnes, réclamant un débat sur les mesures sanitaires. Une opportunité contestataire, saisie par l’extrême droite…
Le port du masque en Europe devient-il en cette rentrée le catalyseur d’une contestation populaire qui vise les mesures sanitaires contre le Covid-19 et au delà, la légitimité des autorités dans la gestion de cette pandémie ? Si l’Allemagne est le pays européen où la contestation anti masques a donné lieu aux plus grandes manifestations, dans d’autres pays européens, des mouvements ont rassemblé quelques milliers de personnes. Allant des militants antiracistes aux écologistes anti vaccins, en passant par des milieux radicaux de gauche et de droite, ils dénoncent ensemble les atteintes aux droits fondamentaux, comme la liberté de rassemblement ou de circulation. Mais certains éléments de l’extrême droite saisissent désormais cette opportunité contestataire pour avancer des thèses complotistes, accusant les gouvernements de se servir de la pandémie pour bâillonner le peuple.
L’Allemagne, au front de la contestation
C’est l’Allemagne qui, à ce jour, a vu naitre le groupe d’opposition le mieux structuré et le plus significatif. A l’origine de ce mouvement, il y a un entrepreneur de Stuttgart, Michael Ballweg. Cet homme sans engagement politique, a crée dès la mi-avril, l’organisation Querdenken 711. Querdenken qui signifie « penser latéralement » est un concept introduit dans le monde de l’entreprise, qui invite à une pensée divergente pour la libérer du carcan dans lequel elle est enfermée. Sur son site, Querdenken 711 déclare militer pour « la défense des doits fondamentaux contre les mesures comme le confinement ou le port du masque obligatoire » Les premières manifestations ont eu lieu dès le mois de mai à Stuttgart, avant d’être suivie par d’autres manifestations notamment en Allemagne de l’Est. Le 1e aout, 20 000 personnes se sont réunies à Berlin à l’initiative de ce mouvement, réunissant un public hétéroclite où se sont côtoyés des militants écologistes, des scientifiques contestataires, des adeptes de thèses ésotériques très implantés dans le sud ouest de l’Allemagne, mais aussi des militants de l’extrême-droite allemande, membres du parti AfD, Alternative pour l’Allemagne. Cette tolérance affichée par le mouvement a rapidement été l’objet de critiques que Michael Ballweg n’est pas parvenu à dissiper.
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- Manifestation à Stuttgart.
Lors du second appel à manifester à Berlin, le 29 aout dernier, il a pris soin d’inviter les manifestants de toute l’Europe, avec un mot d’ordre consensuel : « une fête de la liberté et de la paix ». Plus de 40 000 personnes se sont réunies dans la capitale allemande. Mais après des tentatives de dispersion par la police en raison du non respect des distances, une petite foule a commis un geste sacrilège, en forçant l’entrée du Reichstag, ce lieu historique, incendié en 1933 par les nazis afin de symboliser la fin de la démocratie allemande. Ce geste a immédiatement donné lieu à une intense polémique en Allemagne. "La diversité d’opinion est une marque de fabrique d’une société saine. Mais la liberté de réunion a ses limites lorsque les règles de l’État sont foulées aux pieds", a déclaré le ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer, dans la foulée de ces événements, « le bâtiment du Reichstag est le lieu où notre parlement fonctionne et donc le centre symbolique de notre démocratie libérale. Le fait que le chaos et les extrémistes en abusent à leurs propres fins est intolérable ».
En Belgique, le Collectif Beyond Covid
Si le geste de cette minorité pourrait être lourd de conséquences pour l’avenir du mouvement, l’Allemagne s’est en tous les cas placé jusqu’à ce jour aux avant postes de la contestation anti masques et mesures sanitaires. Pourtant le pays n’a pas connu de confinement aussi sévère que la France ou l’Italie et le nombre de personnes décédées du Covid-19 n’y atteint même pas le tiers du nombre de morts italiens. Pour le directeur du centre Marc Bloch à Berlin, Jakob Vogel, c’est précisément cette absence de gravité qui a déclenché le mouvement de contestation. « C’est le revers de la médaille de la réussite allemande », explique-t-il, « le bilan humain ayant été limité, il a semblé au fil des mois que les mesures sanitaires étaient exagérées. Ce sont d’abord les milieux aisés, affectés économiquement qui ont commencé à remettre la pertinence des mesures sanitaires en question ». De fait, dans les pays qui ont été pus touchés par la pandémie comme la France ou l’Italie, les manifestations sont restées confidentielles. En France, quelques centaines de personnes seulement se sont réunies place de la Nation, le 29 aout, dénonçant le masque comme symbole de soumission à la « dictature mondiale », -laquelle, selon certains, s’activerait en coulisses pour imposer la 5G, les vaccins forcés, les intérêts des entreprises pharmaceutiques, ou encore, la multiplication des lois liberticides. Sur les réseaux sociaux, plusieurs initiatives circulent néanmoins, à défaut de pouvoir organiser des rassemblements. Ainsi, « Stop à la masque-arade" qui compte plusieurs milliers de membres, rassemblant des « gilets jaunes », des militants anti vaccins, ou encore des médecins contestaires, autant de personnes qui nourrissent ensemble une défiance vis à vis des mesures sanitaires exigées. En Belgique, une manifestation à l’appel de l’asbl Viruswaanzin (folie virale) a dénoncé le port obligatoire du masque, le 16 aout dernier. Cette initiative citoyenne estime que le confinement a été disproportionné et dénonce elle aussi les restrictions aux droits fondamentaux alors qu’elles ne sont plus justifiées sur le plan sanitaire. Une Lettre ouverte aux responsables politiques belges circule par ailleurs sur les réseaux sociaux, lancé par le Collectif Belgium Beyond Covid (BBC), un groupe initié par des professionnels de la santé, dont Pierre-François Laterrre, chef du service des soins intensifs de St-Luc Louvain, qui invite à réfléchir aux conséquences du confinement sur la santé publique générale. Cette lettre signée par des milliers de personnes, dénonce entre autres le port obligatoire du masque, le traçage ou encore les régimes discriminatoires entre les différentes professions. « Je pense que le mouvement se poursuivra » , estime encore Jakob Vogel, « car le débat sur la pertinence des mesures sanitaires n’est pas assez ouvert. Les Allemands sont particulièrement sensibles au respect de leurs droits fondamentaux comme la liberté de rassemblement ou d’opinion ».
Un masque chargé de malentendus
Si le masque est le catalyseur d’une colère, celle ci dépasse la simple question de son port. Selon un sondage publié le 17 juillet, 85 % des Français sont d’ailleurs favorables au port du masque, au nom d’une nécessaire sortie de la crise sanitaire, même si certains médecins dont le polémique épidémiologiste français, Didier Raoult remettent en cause sa nécessité. De même en Allemagne, un sondage publié par la chaine nationale ZDF montre que 60 % de la population juge le port du masque justifié. A travers la question du masque s’exprime une contestation plus large des mesures prises par les autorités, qui par leur indétermination inquiète de plus en plus de monde…. Dans un clip diffusé par le Collectif Belgium Beyond Covid, le professeur Bruno Humbeeck souligne ainsi que les mesures contradictoires émises après le confinement sont source d’angoisse et entrainent une confusion qui entrave la capacité de penser et de juger des citoyens. Parmi les nombreuses voix et personnalités émettant des doutes sur la pertinence des mesures sanitaires, le psychanalyste et essayiste suisse Roland Jaccard n’a pas hésité à aller jusqu’à parler dans un article en ligne du magazine français Causeur, d’« un totalitarisme hygiéniste ».
Que ce soit du point de vue psychanalytique ou politique, le port du masque revêt une dimension symbolique qui plonge ses racines dans l’inconscient collectif : il rappelle à tous la menace de la mort que l’on veut éviter, l’abandon partiel de la communication véhiculée par le visage de l’autre, ou encore le signe d’une soumission aux autorités qui passe d’autant plus mal en France en Belgique ou en Espagne, qu’elles ont fait montre de nombreuses failles dans la gestion de la crise sanitaire. A cet égard, la récupération par l’extrême droite du mécontentement et sa stigmatisation immédiate par les médias, risque d’empêcher d’entendre ce qui se dit. Dans la foulée des manifestations allemandes, le spécialiste des médias Bernhard Porksen a d’ailleurs mis en garde contre une dévaluation générale de ceux qui ont décidé de descendre dans la rue.