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Le monde de la restauration souffre du covid

Confinement, réouverture, bulle de cinq… Deux chefs témoignent

19 août 2020
par  Patrick Fievez
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

Depuis l’annonce du confinement le 12 mars dernier, la restauration a vécu des mois difficiles. Euphémisme. Après une réouverture timide pour certains et carnet de réservation d’emblée bien rempli pour d’autres, ce fut l’occasion, l’opportunité pour les chefs, de se remettre en question. Le temps de la réflexion pour parfois changer certains codes de leur métier. Une cheffe-propriétaire d’un restaurant ucclois (Karin Burton, « Lou Fèrri ») et un chef-propriétaire gratifié d’une étoile au Guide Michelin (Alain Bianchin du restaurant éponyme, à Overijse) témoignent.

Quelle fut votre première réaction à l’annonce du confinement et de la fermeture obligatoire de votre restaurant ?

Karin Burton : « J’ai pensé que trois semaines, cela pouvait encore passer et puis on en a rajouté.12 semaines au total. La première option fut de proposer un service « take away ».Mais il fallait alors modifier ma cuisine, mes recettes. Arrivés chez le client, mes ris de veau n’allaient plus être croustillants par exemple. Alors, changer la carte, suggérer des plats que je ne cuisine pas d’habitude ? Non, je ne le souhaitais pas. Des clients, des habitués, désiraient m’aider. Alors, j’ai vendu du vin à prix caviste. Cela m’a un peu aidé ».

Alain Bianchin : « Le lendemain du premier jour de ce confinement, j’avais une quarantaine de couverts pour un repas à quatre mains avec un chef de la Réunion. Tout était préparé, les produits achetés… Et ce fut évidemment annulé. J’ai tout de suite songé à faire du « take away » mais il y a eu hésitation. Avec quelques confrères, on a pensé que l’on risquait de ne pas avoir droit à la prime donnée par les régions. Ce n’était pas très clair. Et puis, nous avons appris que l’on pouvait activer ce service de plats à emporter. Mais il y a eu une réaction du Guide Michelin : « attention les gars, vous êtes étoilé, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi ». Finalement, j’ai décidé de faire le traiteur les trois dernières semaines. Cela a bien fonctionné grâce à une bonne partie de ma clientèle. Un geste de solidarité qui m’a touché ».

Avec la réouverture le 8 juin, comment a répondu la clientèle ?

KB : « Dans un premier temps, nous avons eu pas mal de monde mais le soufflé, hélas, est vite retombé. Et puis les vacances sont arrivées et avec elles peu de monde à Bruxelles… Ce midi, nous sommes fin août, pas une seule table ne fut occupée ! Notre chiffre d’affaires est de 30/40% par rapport à la même époque de l’an dernier. Et fin septembre, nous aurons l’échéance de la TVA… ».

AB : « Dès la réouverture, nous avons été quasi complet tous les jours jusqu’au 15 juillet. Un jour ce fut même 140 réservations en trois heures ! Je n’avais donc pas trop à me plaindre. Mais, plus tard, avec la décision de limiter la bulle à cinq personnes, les réservations pour de grandes tables ont toutes été annulées et cela continue. A cause de cette décision, incompréhensible pour moi et de nombreux collègues, j’ai perdu plus de cent couverts au mois d’août ».

« « Des clients fidèles m’envoyaient des chèques de 700, 800€. On va t’aider, me disaient-ils » (Alain Bianchin) »

Ce confinement, cette crise, est-elle un révélateur de certains aspects du métier, de codes qu’il est bon de changer ?

KB : « Mon univers se limite à des spécialités provençales et camarguaises donc je limite les achats, dont beaucoup sont effectués sur place. Je n’ai aucune raison de changer la formule avec trois entrées, trois plats, trois desserts. Et pour les vins, je n’ai qu’un fournisseur qui est un ami vigneron ».

AB : « Je n’ai pas été focalisé sur la réflexion. Mais ce que j’ai retenu durant le confinement est le devoir de m’occuper davantage des clients. Aller les voir en salle, les remercier… Aussi pour leurs nombreux messages de soutien. Après cinq ans d’ouverture, je bénéficie d’un noyau de fidèles qui m’ont aidé, notamment pendant le confinement, en m’envoyant des chèques de 700, 800€. « On va t’aider », me disaient-ils. Il y a eu beaucoup de complicité, voilà ce que je retiens. Je souhaitais aussi soutenir, rendre service à mes fournisseurs. Alors, j’appelais des clients pour leur proposer des produits. Mon volailler voyait ses pigeonneaux grossir sans acheteur ? Des clients étaient preneurs. J’ai redémarré en mode mineur avec un menu unique et progressivement j’ai reconstitué ma carte habituelle avec le lunch, trois menus et des plats à la carte. Comme avant. Mais avec certains frais, notamment liés à la disposition des tables – l’achat par exemple de panneaux de séparation – pour l’instant je n’investis rien, attendant des jours meilleurs ».

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