JOURNALISTE FREELANCE.BE Le site des journalistes indépendants

Le monde de la course à pied poussé à se réinventer, notamment grâce à Strava

22 décembre 2020
par  Eric Verschueren
( Presse écrite , Le virus du sport )

Depuis mi-mars et le passage en force de la Covid-19, le monde de la course à pied belge est quasi à l’arrêt au niveau de la prise de dossard. Près de 100% des joggings, trails et autres compétitions sur piste ont été annulées. Les quelques manifestations "survivantes" ont dû imposer des règles sanitaires strictes et peu conviviales (départ avec masque, pas de buvette à l’arrivée, pas de douche...).

La pratique, heureusement, est toujours permise et "sans limitation". Contrairement par exemple à la France qui a été par moments jusqu’à interdire les sorties à plus d’un kilomètre du domicile, la Belgique a laissé faire au niveau de sports tels le running, le cyclisme ou encore la marche. Seules règles imposées durant le premier confinement : interdiction de se rendre en voiture sur un point de départ d’activité et distanciation sociale de rigueur.

+ 20% d’utilisateurs en 6 mois

Mais le goût restait fade dans la bouche de beaucoup.
D’abord parce que depuis des années, la course à pied est devenu un vrai vecteur de sociabilisation. L’effort, oui. Mais lorsqu’il est partagé, lorsqu’il est prolongé dans une buvette ou un lieu ouvert accueillants, c’est encore mieux. L’après-course est pour énormément de coureurs plus long que la course elle-même...
Vient ensuite le manque de compétition. De défi. Par rapport à soi, mais surtout par rapport aux autres. La confrontation avec d’autres permet très souvent la motivation. Se "sortir les tripes" est pour certains un objectif en soi. Pour aller plus vite, pour aller plus loin, le moteur du "runner" est physique, mais aussi psychologique. L’autre devient un adjuvant.
Dans ce contexte de calendrier devenu famélique, l’application Strava a connu un boum phénoménal (*). En deux mots, voici un logiciel qui permet principalement d’enregistrer sa sortie avec toutes les données techniques possibles (kilométrage, durée, D+, vitesse maximale, rythme cardiaque...), de le faire savoir et d’en discuter avec ses contacts (réseau social sportifs) et de se comparer à tous ceux étant passés sur des "segments" définis (des KOMs, couronnes, sont ainsi distribués aux meilleurs chronos. Tous les temps réalisés sont classés dans des rankings virtuels qui poussent les "utilisateurs-compétiteurs" à s’améliorer pour grimper dans la hiérarchie).

"On se titille entre potes"
JPEG - 169.4 ko
Guillaume Jamart
© Xavier Nokin

"Cela rythme les sorties, on se titille entre potes", nous explique ainsi Guillaume Jamart (traileur liégeois actif dans le marketing sportif, 35 ans, 2 enfants). "Je suis sur cette application depuis des années, mais c’est vrai que depuis quelques mois mon utilisation est plus intensive. Je vois aussi de plus en plus de personnes parmi mes contacts Facebook qui s’y inscrivent. L’intérêt ? Il y a cet aspect "compétition-jeu" qui permet de se "challenger" soi-même ou avec d’autres. Dans le club de triathlon dont je m’occupe en partie, nous avons ainsi créé un parcours de course à pied comportant 6 ou 7 segments (zones plus ou moins longue avec un endroit où le chrono démarre et un autre où il s’arrête, d’où l’obligation d’avoir une montre GPS ou un smartphone avec géolocalisation avec soi). Pendant un mois, chaque membre a eu l’occasion d’aller s’exprimer dessus. Nous avons fait un classement tenant compte de ces segments et même une remise de prix "virtuelle", vu qu’on ne pouvait pas se réunir. Un autre intérêt pour moi est la découverte d’autres "zones de jeu", d’autres parcours à faire à vélo ou à pied. Comme le confinement m’avait permis de libérer plus de créneaux pour m’entraîner, je devais éviter de me lasser. Je voulais découvrir d’autres routes, d’autres chemins. Ce que Strava permet de faire, notamment en consultant les parcours de ses contacts.."

La mode "Maîtres du temps"

Utilisée par les sportifs en mode "individuel", l’application Strava l’est également par les organisateurs. Certains parmi ceux-ci ont "virtualisé" leur course lorsque la version "terrain" a dû être annulée pour cause de directives sanitaires. Des joggings/trails par chez nous, mais aussi des courses internationales renommées comme Sierre-Zinal, en Suisse, une des courses de montagne les plus populaires au monde. Pendant plusieurs semaines en été, tout qui le souhaitait pouvait aller courir seul ou en petit comité sur le parcours. Un classement compilait tous les résultats obtenus et validés par Strava (victoire finale d’un habitué, l’Espagnol Kilian Jornet). Les organisateurs suisses, qui ont ouvert les inscriptions pour l’édition 2021 fin novembre, ont d’ailleurs déjà prévu les deux options (réelle et virtuelle) pour l’an prochain, histoire de se "couvrir" un peu dans la problématique des remboursements en cas de non-tenue de l’événement. Si le virtuel remplace le réel, il sera question de remboursement partiel et non total, peut-on lire sur le site de la course.
Plus proactifs, d’autres organisateurs sont partis d’une feuille blanche pour créer un événement "individuellement réel/collectivement virtuel". Le 29 novembre dernier, quelque 966 coureurs (belges en grande majorité) ont ainsi participé à une compétition appelée "Les Maîtres du temps" qui obligeait les utilisateurs à être sur Strava. Chacun avait d’abord dû créer une boucle de minimum 4 kilomètres, le plus souvent à partir de chez lui. Principe de la course : à partir d’une heure précise commune à tous, départ toutes les 30 minutes. La première boucle à faire à la vitesse minimum de 8 km/h. Puis chaque fois une minute de moins pour réaliser la boucle suivante. Avec élimination des personnes arrivées hors-délai. Un tout gros succès qui a donné lieu à pas mal d’articles de presse et énormément d’animation sur les réseaux sociaux, notamment sur la page Facebook dédiée. Beaucoup y ont commenté, posté des photos, voire des vidéos.
De là à dire que l’avenir du running se situe là, il y a un pas que nous ne souhaitons franchir en aucune manière. Disons qu’il s’agit d’un « plan B » acceptable...

(*) Selon Strava, le nombre d’utilisateurs de par le monde est passé de 50 millions pour 195 pays au 5 février à 60 millions le 15 juillet. Plus 20% en un peu plus de 6 mois alors que la société a plus de 10 ans (création en 2009).

Strava, le 15 juillet 2020, c’est :

* Dans le monde, 20 activités sont chargées toutes les secondes
* Strava emploie 180 personnes, la plupart étant basée à San Francisco, les autres à Denver (Colorado), Hanover (Nouvelle-Angleterre) et Bristol (Royaume-Uni)
* Plus de 1100 athlètes professionnels sont sur Strava
* Plus de 50 millions d’athlètes Strava issus de 195 pays différents ont enregistré des activités
* 4,9 milliards de Kudos (le like de Facebook qui salue une activité d’un autre membre) ont été échangés entre athlètes l’année dernière
* Plus de 4 millions de photos sont partagées toutes les semaines sur Strava
* 85 millions de commentaires et Kudos sont donnés par les athlètes Strava toutes les semaines

Partager :