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Le covid, mon ami-ennemi

3 novembre 2021
par  Halima Moane Sahli
( Demain, après le virus... )

La vérité sort de la bouche des enfants. Un adage que l’on connait bien et dont on fait usage, nous adulte, lorsque la bouche de l’enfant représente un intermédiaire utile et commode pour faire état d’une réalité difficile à dire. Alors qu’est-ce que la pandémie de coronavirus évoque aux enfants ? Quel bilan en tirent-ils ? A-t-elle effrité leur optimisme légendaire ? Isao (12ans), Janna (8 ans) et Jordy (12 ans) nous livrent leur témoignage.

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Ils ne se connaissent pas mais ils sont tous les trois à la croisée des chemins entre l’enfance et l’adolescence. Janna, Isao et Jordy sont à même d’apposer des mots précis sur leur vécu tout en gardant leur candeur, qui n’a pas encore été érodée par la vie.

L’invasion du monstre « covidien »

Janna entend parler de coronavirus pour la première lors d’un repas de famille. « J’ai demandé ça veut dire quoi à ma maman et elle m’a dit que c’était une maladie contagieuse dans un pays très lointain et que ça n’allait pas arriver chez nous. Et je l’ai crue. » Quelques semaines plus tard, le 18 mars 2020, le gouvernement fédéral annonce lors d’une conférence de presse, que toutes les écoles du pays sont priées de fermer leurs portes. « J’ai eu très très peur parce que ce n’est pas normal. Ça veut dire que c’est dangereux. En plus, je ne verrai plus mes copines. Et en plus, ma maman m’avait menti, enfin, elle s’était trompée. Elle me l’a dit après. Mais ça veut dire que même les grands ne savent pas. »
Janna se retrouve privée de son droit le plus fondamental qu’est celui d’être scolarisée. « Certaines de mes amies trouvaient ça chouette de ne pas avoir école. Pas moi. J’aime bien l’école, j’étais très triste et j’avais vraiment peur. Ma maman frottait toujours tout avec plein de produits. Elle criait sur mon papa quand il rentrait du travail (ndlr, il est commerçant) pour qu’il enlève ses vêtements dans le couloir. Et Papa lui, ne voulait pas qu’on regarde les informations à la télévision, et il nous disait juste que c’était comme une grippe et qu’on ne devait pas avoir peur. Mais maman nous a dit que c’était très dangereux de sortir et que des gens sont morts à cause de ce virus ».

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Confrontée à une multitude d’informations contradictoires et privée de la réalité extérieure, Janna se fabrique alors un univers tout droit sorti de son imagination et des œuvres de fictions et se façonne elle-même une explication à ce tsunami sanitaire. « Le coronavirus, je pense que c’est comme un extraterrestre : il est venu envahir notre planète parce qu’elle est belle. Et il tue plein de gens. Il n’a pas peur de nous, mais nous on a peur de lui. C’est ça que j’ai expliqué à ma petite sœur Sara. Mais pour la rassurer, je lui ai dit qu’il est quand même gentil. Il ne tue pas les enfants. Même les êtres humains ne sont pas aussi gentils parfois, car pendant les guerres, les bombes ne font pas la différence entre les enfants et les adultes. »
Aujourd’hui Janna a un peu moins peur, car elle peut désormais se confronter au monde extérieur et constater qu’aucun vaisseau ennemi ne s’est installé dans les rues de la capitale belge. Mais elle reste sur ses gardes. Janna pense que si elle ne porte pas son masque et ne respecte pas la distance sociale, le coronavirus venu d’une planète lointaine, peut décider de montrer son vrai visage d’extraterrestre.

« Je l’aime bien le covid »

Isao, 12 ans, ne l’a pas ressentie cette crainte-là. De par son âge un peu plus avancé peut-être ou un tempérament plus pragmatique, il se dit grandit par cette crise. « J’ai l’impression d’avoir vécu une guerre et que je pourrai raconter ça plus tard à mes enfants ». Il a lui-même été infecté par le coronavirus ainsi que son papa. « J’ai eu le covid assez rapidement, en mai 2020. Mais j’ai vu que ce n’était vraiment pas difficile, j’avais juste le nez bouché et un peu de fièvre. Mon papa aussi. » Isao se sent alors comme un surhomme. « J’ai survécu à cette maladie et avec facilité alors de quoi j’aurais encore peur. Il y a des gens qui sont morts, mais mon papa m’a dit que ce sont les plus fragiles, les personnes âgées et les gens qui ont des maladies. Moi je suis en bonne santé ».

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Isao voit en cette épidémie au contraire, une aubaine. « Grâce à ce virus, on aura quand même des bonnes choses. Par exemple, tous les gens sales vont devenir propres. Parce que maintenant, ils comprendront que ce n’est pas juste parce qu’il faut être propre pour la propreté, mais aussi pour leur santé et leur sécurité. Et ça au moins, c’est grâce au virus qu’ils l’auront appris. Maintenant, tout le monde se lave les mains en sortant des toilettes. Tout le monde se nettoie les mains en rentrant à la maison après avoir pris les transports en commun. » Autre bienfait indirect du coronavirus d’après Isao : la bise qui n’est désormais plus ancrée dans nos habitudes. « Je n’aime pas les bisous des gens que je ne connais pas trop. Je pense que dans le monde d’après, les bisous seront juste pour les proches ou ceux qui ne se sont pas vus depuis longtemps. Et ça me rend très heureux. Grâce au virus, j’ai enfin une excuse pour dire que je n’aime pas la bise. Avant, on me trouvait bizarre. Maintenant, c’est normal. » Isao va même plus loin : en réalité, il n’aime pas beaucoup les gens. L’interaction avec les autres est pour lui une corvée. Alors le covid a été pour lui un allié de taille, puisqu’il a fait de son mode de vie solitaire, une règle générale voire même une « normalité ».

« Avant le covid, y avait mamie »

Et puis il y a ceux, pour qui le coronavirus est ni plus ni moins, une véritable tragédie. Jordy, 12ans, a perdu sa grand-mère durant cette pandémie. « Elle est partie le 19 avril 2020 à l’hopital alors qu’on ne l’avait pas beaucoup vue parce qu’elle était confinée dans la maison de repos. Elle avait 84ans mais elle était en pleine forme, elle riait beaucoup et était vraiment très gentille avec nous. On était très proche d’elle parce qu’elle vivait à la maison avec ma maman et moi jusqu’en 2017. » Jordy a dû gérer sa tristesse mais aussi celle de sa mère qui a mis beaucoup de temps à s’en remettre. « Ma maman était très très triste. Elle a perdu mamie alors qu’elle ne l’avait plus vue depuis des semaines. C’était difficile pour nous parce que personne ne pouvait nous rendre visite. On était tout seul avec notre chagrin. »

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Jordy a dû porter à son jeune âge le poids du deuil, celui de la perte d’un être cher. Mais il a dû également surmonter un deuil plus symbolique. En lieu et place des bisous et câlins, c’est un nouveau champ sémantique qui s’impose à lui. « Confinement, quarantaine, désinfecter,… Je connaissais ces mots parce que j’aime beaucoup lire des livres qui racontent l’époque du moyen âge. Mais je ne pensais pas le vivre. Pour moi, c’est un langage de guerre. On était en guerre, et en plus, on ne pouvait pas se réconforter les uns les autres ». Parce que l’ennemi, ce n’était pas que le coronavirus, c’était aussi l’autre. « Je n’ai même pas pu faire un bisou à ma grand-mère quand j’ai été lui rendre visite. Un moment donné, je n’ai même plus fait de bisou à ma maman parce qu’elle disait que c’était risqué. Ça m’a beaucoup manqué le contact avec les amis, la famille. Et aujourd’hui, je suis triste parce que j’ai l’impression que plus jamais ça ne sera comme avant. »
A seulement 12 ans, Jordy en arrive déjà à cette conclusion cynique et typique des personnes du troisième âge : avant, c’était mieux.

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