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Le circuit court, dopé par le Covid ?

29 octobre 2020
par  Anouck Thibaut
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

En terme d’alimentation, le confinement a-t-il engendré des changements de comportements de la part des consommateurs ? Pour répondre à la question, on se glisse dans le sillon de Jonathan, maraîcher urbain dans la capitale.

À Bruxelles, il est possible d’entendre les courgettes pousser tout en ayant le Ring en toile de fond. Pour arriver à cette image surréaliste, il faut s’engager dans une voie sans issue qui serpente au cœur de la vallée du Vogelzang, à Anderlecht. La route se rétrécit progressivement. Comme si la nature gagnait du terrain sur le goudron. Jonathan nous attend pour faire le tour du propriétaire. Les pieds dans la terre asséchée par la canicule de ce mois d’août, nous voilà devant les fameuses courgettes, confortablement installées sur leurs petites buttes de terre. Juste à côté, leurs voisines les tomates attendent leur maturité en partageant leur serre en compagnie des carottes. Au total, près de 70 espèces se succèdent ici, au gré des saisons, sur ce terrain de 2,5 hectares que Jonathan partage avec d’autres maraîchers mais aussi avec une tisanière et une productrice de fleurs.

Ring à l’arrêt et maraîchers aux champs

Alors que les odeurs d’herbes aromatiques donnent l’impression d’être ailleurs, le vrombissement lointain des voitures rappelle où nous sommes. Au-delà des courgettes, la vue qui s’offre à nous semble être un décor, dressé dans le fond de ce potager urbain : le Ring, la tour de refroidissement de Drogenbos puis, au loin, la capitale qui s’étale à perte de vue. Tout un symbole pour cet Espace-test agricole « Graines de paysans » dont fait partie Jonathan. Comme à Liège notamment, ce projet-pilote s’est fixé comme objectif de ceinturer la ville de vert pour que cette dernière parvienne, un jour, à s’auto-alimenter.

Un programme qui prend encore une autre signification avec la crise sanitaire liée au Covid-19. Au printemps dernier, alors que le virus immobilisait le Ring et toute la société, les maraîchers ont continué à s’activer dans leurs champs. Au sortir de l’hiver, c’était le temps des semis. Comme l’explique Jonathan, le confinement lui a apporté, d’un coup de baguette magique, un flot de nouveaux consommateurs : « Cette année, sans faire de publicité, j’ai trouvé instantanément des acheteurs pour tous mes paniers. C’est vrai, on sent qu’il s’est passé quelque chose. Moi, j’ai eu de la chance... Contrairement à d’autres maraîchers qui écoulent leurs productions sur les marchés ou dans les restaurants, le Covid a plutôt eu des effets positifs pour moi. » Reste à voir si le pli de se nourrir davantage via les producteurs locaux sera durable.

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© Anouck Thibaut
Solidarité à double sens

Pour répondre à la question, on se tourne vers le réseau des GASAP (Groupe d’achats solidaires de l’agriculture paysanne) dont fait d’ailleurs partie Jonathan. D’emblée, la coordinatrice, Laurence Lewalle, fulmine : « Je suis en colère contre certaines informations parues dans la presse et qui laissent sous-entendre que les consommateurs qui s’étaient tournés vers les producteurs locaux durant le confinement ont, depuis, repris leurs anciennes habitudes. Chez nous en tous cas ce n’est pas le cas ! »

Laurence Lewalle confirme que les producteurs des GASAP ont, eux aussi, été particulièrement sollicités pendant le confinement. Les motivations des consommateurs étaient diverses. La peur de la pénurie. Les files à l’entrée des grands magasins. L’ambiance anxiogène qui y régnait durant le confinement. Et aussi, sans doute, le fait qu’être cloîtré à la maison a poussé de nombreuses personnes à davantage se mettre aux fourneaux. Pour satisfaire toutes les demandes, les maraîchers ont trimé, encore plus d’habitude. Le réseau des GASAP s’est aussi organisé. Les producteurs qui ne pouvaient plus écouler leurs légumes pour cause de suspension des marchés et de fermeture des magasins ont garni des paniers pour satisfaire tous les besoins.

Du côté des GASAP, les nouveaux consommateurs - ici, on préfère les appeler les « mangeurs » - n’ont pas tourné le dos aux maraîchers locaux dès la fin du confinement. La raison est intrinsèquement liée au fonctionnement du réseau : ici, il faut s’engager pour un an et payer les producteurs 3 mois à l’avance. Les mangeurs participent également à la préparation des paniers ce qui leur permet d’être en contact direct avec les maraîchers. Des engagements qui ont pour but de soutenir durablement le circuit court.

Un modèle qui fonctionne

Laurence Lewalle va un pas plus loin : « Durant le confinement, les producteurs ont pu répondre à la demande des mangeurs, y compris des nouveaux mangeurs qui nous ont rejoints durant cette période. Et pourtant, le confinement est arrivé à la pire période de l’année, celle des semis, où la diversité n’est pas encore au rendez-vous. Quant aux mangeurs, ils ont massivement et une nouvelle fois montré leur soutien aux producteurs. »

Au niveau des GASAP, la solidarité du printemps dernier s’est donc opérée dans les deux sens. Des producteurs vers les mangeurs. Mais aussi des mangeurs vers les maraîchers, notamment ceux qui étaient en difficulté durant cette période parce que malades, ils étaient forcés de se mettre en quarantaine. Ce sont alors des mangeurs qui, alertés par mail, se sont relayés pour aller arroser les plantations ou pour s’occuper des récoltes. Une entraide qui n’est possible que parce les consommateurs sont en contact direct et régulier avec les producteurs qui alimentent leur frigo. Ils sont alors mieux à même de comprendre leurs difficultés et leurs besoins.

Même s’il est encore difficile de mesurer l’impact réel du Covid-19 sur les habitudes des consommateurs, Laurence Lewalle se veut positive. Pour elle, le confinement a sans doute contribué à ce besoin grandissant du côté des consommateurs de mettre un visage derrière les légumes qu’ils consomment. Avant de conclure : « On avait déjà connu des crises, notamment liées à la sécheresse. Mais là, on sait désormais que le secteur peut tenir le coup et faire face à une pandémie. C’est donc une preuve que le système fonctionne. ».

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