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Le Mucem, un musée à succès malgré un destin euro-méditerranéen contrarié

20 janvier 2021
par  Mathieu Colinet
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Selon ses premiers promoteurs, le musée marseillais aurait dû porter haut une vision originale d’une Europe ouverte tournée vers la Méditerranée. L’amputation de cette dimension européenne ne l’empêche pas de se porter à merveille et de rencontrer, année après année, un public nombreux.

Le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) a ouvert ses portes à Marseille le 7 juin 2013. En sept ans d’existence, le projet a rencontré un public et une renommée qui ont assis sa légitimité. Ce succès pourtant n’était pas garanti. Faire revivre dans la cité phocéenne une institution parisienne moribonde - le Musée national des arts et traditions populaires (MNATP) - appartenant à la catégorie en mutation, voire en « crise » pour certains, des musées de société comportait une dose de pari. Une certaine pression entourait par ailleurs la tentative. En effet, le Mucem avait été conçu comme le « navire amiral » de tout un projet de remembrement urbain dans le quartier du Vieux-Port à Marseille.

La réussite du Mucem tient vraisemblablement en une série de raisons. Deux sont fréquemment mises en avant : d’une part, l’architecture des lieux - en particulier le cube couvert de résille noire à la façon d’un moucharabieh de l’architecte Rudy Ricciotti - enchâssée dans tout un récit architectural de deux rives méditerranéennes « contiguës », très prégnant sur les quais mythiques du Vieux-Port - et d’autre part, la capacité des promoteurs du projet à mener à bien une tentative singulière de renouvellement des musées de société.

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© Mathieu Colinet

A l’origine, ce travail de redéfinition comportait une forte dimension européenne. Cette inclination s’inscrit jusqu’à aujourd’hui dans le nom du musée et dans ses collections ayant comme sources principales l’héritage national du MNATP et un fonds européen provenant du Musée de l’Homme à Paris. Elle est présente également dans la programmation culturelle de l’institution, qui fait régulièrement la part belle aux sujets européens. Toutefois, le musée a abandonné beaucoup de la dimension européenne puis euro-méditerranéenne que la première génération de promoteurs a tenté de faire germer en elle de 1997 à 2009 et est aujourd’hui avant tout une institution tournée vers la Méditerranée.

Durant les années 1990 et 2000, une dizaine de projets de musées de l’Europe ont émergé, participant à un phénomène plus large d’européanisation des musées. Ces projets localisés en Europe de l’Ouest essentiellement sont significatifs à différents égards. Ils marquent tout d’abord la dynamique post-nationale ou la critique de l’identité nationale à l’œuvre dans différents pays dans les années 1990. Celles-ci invitent directement à un changement de cadre de référence, du national à l’européen, pour des musées dont une des fonctions a pu être durant les décennies antérieures de représenter la nation. Mais ces projets de musées de l’Europe témoignent aussi de la volonté de doter l’ « Europe », qui dans les années 1990 approfondit son intégration et entrevoit plusieurs élargissements, d’outils supposés renforcer sa légitimité. En l’état, toutefois, ces musées de l’Europe ne sont généralement pas le fait des institutions européennes mais d’acteurs ou de groupes acteurs « militants ».

Pour le Mucem alors en gestation, comme pour d’autres institutions appelées à transiter du national à l’européen, le travail lié à toute cette entreprise est important. Il a nécessité notamment de se pencher sur ce qui peut constituer un patrimoine européen. Au Mucem, l’approche privilégiée dès les années de gestation va consister à inscrire des collections nationales à l’origine dans un démarche comparative ainsi qu’à recourir à de nouveaux paradigmes comme ceux de « mélange », de « mobilité » ou encore d’ « hybridation ».

Si l’émergence des musées de l’Europe répond à un mouvement général, ils portent le plus souvent des conceptions et des représentations différentes de l’Europe. Celle qui a prévalu au Mucem jusqu’en 2009 - année d’un recentrage du projet sur la seule Méditerranée - repose sur une vision « euro-méditerranéenne » d’une Europe que les concepts de « continent » ou de « civilisation » ne déterminent pas. En ce sens, le projet du Mucem était singulier et ambitieux. Mais il était aussi risqué car diluer l’importance de certains déterminismes, c’était aussi se préparer à devoir fonder l’unité ou la cohérence d’un travail muséographique sur d’autres éléments. Il semble que le Mucem ait eu du mal à relever ce défi et que cette difficulté a fondé dès 2009 une partie de la décision de réorienter le projet à naitre.

Plus de dix ans plus tard, le Mucem se porte très bien. Mais n’est pas tout à fait ce que ses premiers promoteurs auraient voulu qu’il soit.

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