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Le Jour des Morts à la mexicaine : un succès inattendu

20 octobre 2021
par  Marco Appel
( Tout... sauf le virus ! )

La procession du jour des morts “à la mexicaine”, début novembre, est rapidement devenue l’une des fêtes populaires les plus colorées et les plus animées du quartier des Marolles, au centre de Bruxelles.

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© Valentin Boucq

"Nous n’aurions jamais pensé que notre procession du jour des morts aurait un tel succès. La première fois que nous l’avons organisée en 2018, nous attendions 200 personnes, 300 maximum, et ce sont finalement 2 000 qui sont venues", se souvient Israel Alonso, l’artiste mexicain qui a proposé l’idée au Centre Culturel Bruegel, qui parraine depuis ce grand événement populaire.

L’année suivante, il attendait 2 000 personnes, et au final deux fois plus sont arrivées. “Nous avons dit : ‘Voyons si nous pouvons faire venir le même public que l’année dernière’. Selon la police, le jour de la procession de 2019, il y avait 4 000 personnes".

Contrairement aux cultures européennes, la mort est célébrée au Mexique par des danses et des fêtes, mais aussi par un grand souvenir des proches disparus qui, selon la tradition, reviennent visiter les vivants ce jour-là.

La pièce maîtresse de cette ancienne tradition est l’"autel des morts", décoré de fleurs de cempasúchil (une belle fleur originaire du Mexique aux corolles jaune vif ou orange), d’objets artisanaux, de petits crânes en sucre ou en chocolat et de cierges, où les familles déposent des offrandes (“ofrendas”) devant les photos de leurs proches décédés : un objet cher, de la nourriture, un verre d’eau ou de la tequila.

M. Alonso, originaire de Mexico, s’est installé à Bruxelles en 2017 avec sa conjointe française, Celia Dessardo, qui participe également à l’organisation de la festivité. Il raconte qu’un jour, alors qu’il était dans un bar avec deux amis mexicains, il leur a demandé si ce serait une bonne idée d’organiser un événement pour le Jour des Morts à Bruxelles. L’un d’eux lui a dit qu’il y en avait déjà un très grand à Anvers avec lequel ils ne pouvaient pas rivaliser.

M. Alonso ne perdit pas son enthousiasme et il approcha Christine Rigaux, la directrice du Centre Culturel Bruegel, qui avait déjà permis un concert de collecte de fonds pour les victimes du tremblement de terre du 19 septembre 2017 à Mexico et dans les États du sud du pays, pour lui proposer le projet. Il s’agissait non seulement d’une procession, mais aussi d’expositions, d’ateliers et de stages pour les enfants, de concerts de musique folklorique mexicaine avec des musiciens venus du pays d’Amérique latine et d’un autel des morts.

Rigaux a accepté et a versé 25 000 euros (chaque année) provenant du contrat du quartier durable Les Marolles de la Ville de Bruxelles que le Bruegel venait de remporter ; au total, 32 000 euros de subventions provenant de diverses institutions et ONG ont été réunis. En 2019, ce montant est passé à 72 000 euros ; en 2020 et 2021 le budget était d’environ 60 000 euros annuellement. C’est curieux, mais l’ambassade du Mexique a diminué sa participation : de 1 500, elle est passée à 1 200, puis à 1 000, et cette année, elle n’a versé que 800 euros, indique Israel Alonso.

En 2018, seuls deux food trucks de tacos mexicains ont été invités, un à chaque coin de l’étroite rue des Renards, où se trouve le Centre Bruegel et qui relie la rue Haute à la rue Blaes juste au niveau de la place de Jeu de Balle où est installé le très visité marché aux puces. Compte tenu du nombre de personnes qui ont assisté à l’événement, d’autres food trucks ont été installés en 2019 et désormais sur la place.

"Le succès de cette initiative est dû en grande partie au fait que nous avons impliqué de nombreux commerces et associations du quartier, comme MetX (un centre d’aide à la production musicale) et la galerie Calaveras (qui vend et expose de l’art mexicain). Nous sommes également allés dans des écoles pour donner des ateliers de découverte de la culture mexicaine et dans des maisons de retraite pour jouer de la musique traditionnelle”, explique M. Alonso.

L’année dernière, la procession était prête à avoir lieu malgré la pandémie, mais une semaine avant elle a été annulée et seul l’autel des morts a été présenté sur la petite esplanade du centre Bruegel, qui a été visitée par quelque 2 500 personnes.

Cette année, il y aura la même riche offre de musique live et d’expositions, ainsi qu’un autel monumental, mais il n’y aura pas une seule procession, mais quatre qui partiront de différents points et convergeront vers la place du Jeu de Balle. Là, pour la première fois à Bruxelles, seront brûlés quatre "toritos" (petites montures en forme de taureau qui sont portés par une personne pendant qu’on y met le feu).

Le promoteur culturel mexicain fait remarquer au cours de cette interview que lui et son équipe ne souhaitent pas que cette fête prenne une plus grande ampleur. Il avoue même avoir refusé une offre de l’office du tourisme de la capitale pour bénéficier d’une plus grande publicité.

"Nous ne voulons pas que cette fête soit seulement un carnaval. Nous avons travaillé dur pour donner une place à la partie rituelle, à la manière d’honorer les morts. Par exemple, en proposant des “ofrendas” (offrandes) qui suscitent davantage la réflexion", précise M. Alonso.

Il ne faut pas oublier que la procession du jour des morts en tant que telle trouve son origine dans le film de James Bond 007:Spectre, sorti en 2015. Cette superproduction hollywoodienne commence par une course-poursuite dans les rues du centre historique de Mexico le jour de la fête des morts. Pour rendre la séquence plus attrayante, un énorme défilé a été créé avec des milliers d’acteurs déguisés en “catrín” o “catrina” (squelettes élégants de la tradition mexicaine), des chars allégoriques et de grandes figures de squelettes et ossements. Voyant l’impact international que la parade a généré dans le contexte du film, le gouvernement mexicain a vu le potentiel touristique et commercial et a décidé de l’instaurer comme une nouvelle tradition à partir de 2016.

En bref : S’éloigner de l’aspect spectaculaire d’Hollywood et approfondir le sens de la célébration mexicaine du jour des morts, comme le fait d’ailleurs une autre production américaine, celle-ci de 2017 : Coco. "Quand nous allons inviter les enfants des écoles du quartier, parfois ils ne comprennent pas le sens de l’événement ; mais quand on leur demande s’ils ont vu Coco, ils répondent ‘oui’ avec enthousiasme, et alors ils comprennent tout”.

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