Le Covid révélateur d’une justice archaïque
La justice bruxelloise n’a pas échappé aux mesures sanitaires prises pour contenir la pandémie de covid-19. Réduction du nombre d’audience, des présences physiques, des consultations de dossiers... Une Justice déjà trop encombrée qui a du lever le pied. Un constat : malgré les moyens technologiques disponibles, la machine judiciaire peine à s’adapter. Un archaïsme connu et exacerbé par la crise sanitaire.
Pour autant, la pandémie a été l’occasion d’accélérer la digitalisation de la justice.
Une modernisation dont la justice, particulièrement pénale, a le plus grand besoin. Au cours de ces trois mois de crise sanitaire, la lourdeur des procédures et l’archaïsme de celles-ci ont été une nouvelle fois hautement décriés. Un collectif d’avocats du barreau de Bruxelles n’a pas manqué de le souligner dans une lettre ouverte, le 9 mars dernier.
« La justice pénale est à l’agonie dans un parfum de naphtaline, non pas victime de la crise sanitaire, mais terrassée par son archaïsme », se fend le collectif.
À titre d’exemple, la plupart des dossiers pénaux sont consultables sous format papier composé en un unique exemplaire. Chaque partie doit pouvoir consulter une affaire avant l’audience prévue pour la traiter. Les mesures sanitaires ont imposé au greffe correctionnel de n’accepter que deux individus à la fois dans leurs locaux, y compris pour la consultation. Prenez en compte le nombre d’avocats, de justiciables, de magistrats et multipliez-le par le nombre de dossiers à traiter… cela vous donnera une idée du temps de retard que la justice a pu prendre sur ces derniers mois. Une copie du dossier à emporter chez soi ? Coût de la manœuvre 750 euros pour 1.000 pages, selon le collectif d’avocats.
« Très récemment, une révolution copernicienne a eu lieu : les avocats sont désormais autorisés à « scanner » les pièces du dossier. Concrètement, cette opération se réalise au moyen… de son smartphone », ironisent les avocats. Ces derniers réclamaient au bas mot que la copie d’un dossier soit fournie gratuitement aux justiciables, les premières victimes de cet archaïsme.
« S’il s’agit d’un dossier électronique, comme c’est désormais la règle, les avocats doivent alors rivaliser de contorsions pour photographier un écran d’ordinateur en évitant les reflets qui rendraient ces photographies illisibles, afin de collecter ainsi les pièces qui les intéressent. Les magistrats et policiers ont une copie du dossier en leur possession, et aujourd’hui en version informatisée, mais les justiciables n’y ont pas droit. Enfin, les magistrats... pour autant que la connexion à l’informatique du palais depuis leur domicile leur permette d’espérer apercevoir la page de garde d’un dossier dans un délai de moins de 45 minutes », déplorent-ils.
Le verre n’est pourtant pas à moitié vide, comme le constate une consœur de la Libre Belgique mi-mars. Pour réduire les déplacements inutiles en ce contexte de crise, le gouvernement a rendu gratuit le dépôt de document via E-deposit, une boite aux lettres électronique permettant le dépôt de conclusions et de divers documents entre magistrat et avocat. En temps normal et selon le document, les prix varient entre un euro et neuf. Ces dépôts ont atteint un record au cours du mois d’avril avec l’introduction de quasi 100.000 documents numériques.
Au palais de justice de Malines, une première audience en visioconférence a pu avoir lieu. Mais chaque palais n’est pas placé à la même enseigne. Dans un contexte de covid, plusieurs avocats ont demandé à pouvoir réaliser les audiences au moyen de la visioconférence ou encore de l’audioconférence, des procédés d’ores et déjà utilisés notamment dans le cadre d’audition public de témoins protégés en cour d’assises. Outre l’informatisation lente et le manque de matériel particulièrement criant au sein du palais de Justice de Bruxelles, la justice doit aussi se confronter à une forme d’archaïsme des mentalités. Nombre des juges présent dans le palais de la place Poelaert ne sont pas des natifs digitaux et se confrontent que difficilement aux nouvelles technologies. Dès lors la présence physique des prévenus et de leur conseil est souvent requise. Ce n’est heureusement pas le cas de tous les magistrats.
La liste pointant l’archaïsme de ce rouage de notre société serait bien trop longue à exposer dans ce papier… Les problèmes sont connus, la solution l’est également. La digitalisation de la Justice est indéniablement liée à son refinancement. Le seul moyen de pouvoir assurer une justice équitable et accessible aux justiciables.