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La violence des femmes : un impensable forcément mal pensé.

28 janvier 2021
par  Florence Hainaut
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Dans l’imaginaire collectif et dans les statistiques, la violence semble être un phénomène éminemment masculin. Mais les statistiques donnent-elles à voir la réalité ou uniquement la réponse sociale et judiciaire aux violences ?

Il existe peu de littérature scientifique consacrée spécifiquement à la violence vue sous le prisme du genre. Les deux chercheuses les plus prolifiques sur le sujet sont les sociologues françaises Coline Cardi et Geneviève Pruvost. Dans un ouvrage collectif qu’elles ont dirigé (Penser la violence des femmes, La Découverte, 2012) elles décrivent la difficulté des recherches sur le sujet : « Occultées, renvoyées du côté de l’impensable ou de la pathologie, les violences exercées par les femmes ne figurent pas toujours dans les archives criminelles, ce qui oblige à déplacer la focale de l’analyse ».
Voici quelques leçons retenues de la lecture de cet ouvrage passionnant.

Le non-récit, la minoration, le sous enregistrement, la requalification, l’occultation, le déni : je pourrais continuer longtemps.

La justice - et le phénomène est historique, historicisé et toujours actuel - semble rechigner à considérer que les femmes sont violentes.
Si on se penche sur les archives judiciaires du 19e siècle, on pourrait en déduire qu’il n’existe pas d’inceste féminin. En fait, seuls les viols commis par des hommes étaient enregistrés. Pour trouver les femmes, il faut aller fouiller dans les « attentats à la pudeur ». Une requalification qui invisibilise et minore. Un exemple qui éclaire la manière dont les stéréotypes de genre façonnent les chiffres de la criminalité et perpétuent la norme rassurante de la femme maternelle et protectrice. De la même manière, pour se faire une idée plus précise de l’ampleur du phénomène de violence chez les filles mineures, il faut aller fouiller les dossiers de l’assistance éducative. Là aussi elles ont tendance à passer en-dessous du radar des statistiques pénales.

La nature des femmes comme explication à leur violence : biologie bidon, mon amour

Jusque dans les années 60 et 70, il était communément admis que la délinquance féminine avait des origines hormonales et sexuelles. Les crises physiologiques (puberté, menstruations, grossesse) dérégleraient les femmes et joueraient un rôle important dans le passage à l’acte (on vous a pourtant toujours dit de ne pas nous chercher pendant nos règles). La prise en charge était alors régulièrement thérapeutique. Délicieusement surannée ? Bof. A l’époque contemporaine, insistent Coline Cardi et Geneviève Pruvost, certaines études sur le traitement carcéral des femmes montrent que ce schéma persiste, les femmes faisant plus souvent l’objet de traitement médicamenteux que les hommes et leur violence étant davantage analysée comme le résultat d’une enfance ou d’une vie familiale difficile.

Aieuh, c’est quoi ? Le poids des stéréotypes de genre, ma chérie

Les hommes et les femmes n’étant pas éduqués de la même manière, la société fait peser sur eux des stéréotypes de genre qui font que les femmes sont moins violentes parce que c’est ce qui est socialement attendu d’elles. C’est l’une des plus anciennes théories pour expliquer que les femmes sont moins violentes que les hommes. Corollaire, elle sert aussi à « mettre en monstruosité » celles qui ne respectent pas cette norme. La criminologue canadienne Colette Parent explique : « Lorsque des femmes justiciables sont condamnées pour des crimes violents, elles sont non seulement reconnues coupables d’avoir enfreint des lois pénales mais ont aussi opéré une brèche dans l’ordre symbolique. » Et ces quelques « monstruosités » paient cher, en termes de lourdeur de peines et de médiatisation, leur impudence. Brandir quelques cas « ignobles » est aussi une manière de montrer à quel point la violence féminine est hors normes.

Tout ça c’est la faute à Roger et Jean-Charles
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Soit l’idée que les violences que peuvent commettre les femmes seraient en quelque sorte moins graves que la violence masculine originelle. Et c’est ici que les féministes s’empoignèrent.
Les premières vraies recherches féministes sur la violence des femmes, début des années 80, ont été menées quasi uniquement sous l’angle de l’oppression sociale. Avant d’être des justiciables, elles étaient donc considérées comme des victimes. La tendance est alors à la déresponsabilisation (au moins partielle) des accusées. On note à l’époque une répugnance de la critique féministe à penser la violence des femmes qui pourrait entacher la nécessaire dénonciation de la violence sur elles.
Le fait que la violence chez les femmes est une réalité et non pas une simple réaction à un système d’oppression est une idée que les chercheuses féministes ne s’approprieront pas avant longtemps.
Aujourd’hui encore, notent les chercheurs Maxime Lelièvre et Thomas Léonard, à chacune des étapes du processus pénal, la part des femmes se réduit. Il s’agit d’ une tendance historiquement stable. Leur enquête, basée sur les audiences de comparutions immédiates en France, constate également des sanctions plus clémentes à l’égard des femmes.
Nier qu’une femme puisse être intrinsèquement violente et mauvaise, n’analyser ce phénomène que sous le prisme de la domination masculine ou ses ovaires facteurs, n’est-ce pas nier sa capacité à prend son (vilain) destin en main ? La femme est un salaud comme un autre. Ceci étant désormais établi, je propose qu’on s’attaque aux différences de salaires entre hommes et femmes journalistes, ok ?

A LIRE :
Penser la violence des femmes, enjeux politiques et épistémologiques, ouvrage collectif, sous la direction de Coline Cardi et Geneviève Pruvost, La Découverte, 2012.
Combattantes, une histoire de la violence féminine en occident, ouvrage collectif, sous la direction Martial Poirson, Le Seuil, 2020.

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