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La vie loin des stades

1er juillet 2021
par  Julien Denoel
( Presse écrite , Le virus du sport )

Avec la pandémie de covid-19, différentes mesures sanitaires ont été prises. Parmi elles, la tenue des évènements sportifs professionnels à huis clos, comme les matchs de Jupiler Pro League. Pour les supporters, habitués au stade, il a donc fallu vivre la saison autrement.

Le 12e homme n’a pas vraiment apporté son soutien cette saison. Les cris, les huées, les chants, les insultes, les tifos ou les coups de pression n’ont pas beaucoup animé les tribunes de notre plat pays cette saison. Avec le covid, la saison a débuté sans les supporters et il a fallu attendre la 5e journée, alors que la situation s’était améliorée, pour revoir un peu de public dans les stades. Mais dès la 10e journée, deuxième vague oblige au cœur de l’automne, le public a été prié de rester chez lui. Sur les 40 matchs de la saison, à peine 5 avec du public. Autant dire que pour les supporters, la saison a été difficile.

« Au vu de la situation sanitaire, l’interdiction de stade s’imposait logiquement dans les stades de D1A où l’affluence est trop importante … En tout cas dans certains stades. Mais à partir du moment où certains supporters ne peuvent assister aux matchs, il est malheureusement logique d’en priver tout le monde dans la même division », commente Kevin, supporter du Standard de Liège pour qui plus de largesses auraient dû être laissées dans le foot amateur.

Pour Louis, supporter du RFC Liège, le constat est sensiblement le même. « Je peux la comprendre, dans le sens où il n’est pas facile de faire respecter les gestes barrières et les distanciations dans un stade de football, où l’émotion l’emporte souvent sur la raison. »

Kevin se montre toutefois particulièrement critique sur les quelques matchs où le public avait été autorisé à venir, en nombre limité. « C’était ridicule », assène-t-il sans détour. « Le stade c’est tout le monde ou personne. Le football ce ne sont pas des supporters éparpillés dans des tribunes avec l’obligation de rester assis. Cela ou rien, je préfère encore rien. »

Louis est moins virulent dans sa critique, estimant que c’était mieux que rien même si « ce n’était pas top, soyons honnête ». Les mesures en place étaient assez contraignantes : « Il fallait arriver à une certaine heure, la tribune était à moitié remplie, les gens étaient masqués, les buvettes fermées. Du coup, difficile de mettre de l’ambiance et de ressentir cette expérience collective forte qu’on trouve dans des conditions normales. » Mais pour le supporter des Sang et Marine, il aurait été possible de continuer ainsi. « J’ai assisté à un match de Coupe il y a quelques mois, et cela me semblait assez sécure, avec une organisation bien rôdée et des spectateurs qui respectaient les règles », juge-t-il.

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A Eupen, des supporters en carton ont orné les tribunes.
© Julien Denoël

Loin des yeux, loin du cœur ?

A l’exception de quelques privilégiés VIP inscrits sur une short-list, les tribunes ont donc été quasiment vides toute la saison. Si ce n’est pas simple pour les joueurs de performer dans ces grandes arènes vides à l’ambiance glaciale et austère, ça l’était évidemment tout autant pour les supporters qui ont vécu de loin la saison de leur club.

Un éloignement forcé qui fait courir le risque que certains supporters perdent de leur passion. Vivre un match à la tv de temps en temps, c’est une chose. Le faire toute la saison, c’en est une autre. Ne pas respirer l’ambiance du stade mais plutôt celle de son divan en cuir a quelque chose de moins excitant.

Pour autant, Kevin et Louis l’assurent, leur passion pour reste intacte. « Si une petite année loin du stade remettait en question mon attachement à mon club, il faudrait se poser des questions », constate Louis. « Un vrai supporter se sentira proche de son club même à l’autre bout de la planète. Au final, la crise sanitaire nous a plongé dans une relation à distance avec notre club… Mais la passion ne s’efface ni avec la distance, ni avec le temps », glisse Kevin.

Le lien du cœur entre leur club et eux n’a donc pas été brisé. « Le lien que j’entretiens avec mon club est culturel, familial…ça ne se brise pas comme ça, et heureusement d’ailleurs », confie Louis.

Kevin, lui, se questionne plus sur l’implication des joueurs par rapport à leurs fans. « Je vois les joueurs se sentir de moins en moins « redevables » envers les supporters. C’est déjà le cas habituellement, mais ici le phénomène est amplifié », juge-t-il. Pour appuyer son argumentation, il se base sur les nombreuses déclarations un peu bateau des joueurs dans les médias. « On a droit à des phrases bidons dans la presse du style « on va jouer pour les supporters » mais on n’y croit pas une seule seconde … Quand je regarde les matchs à la télévision, j’ai l’impression de voir des matchs amicaux que cela soit un Clasico ou un Derby Wallon... C’est mou. »

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Le Kehrweg eupenois désespérément vide.
© Julien Denoël

Faire autrement

Kevin appuie : le stade lui manque. « Le football sans le stade, ce n’est plus LE football. Franchement, c’est dur de se taper les commentaires de Marc Delire pendant 90min devant la TV en regardant un match bien souvent de niveau moyen. Au stade, si le match est mauvais, tu as au moins l’ambiance, les potes, les chants, des bières … Le football quoi. »

Louis va plus loin, estimant que quelqu’un qui ne serait pas en manque de stade est « un grand malade ». Il appuie : « Le stade me manque à crever. Le trajet pour m’y rendre, avec l’excitation qui monte de minute en minute, les chopes bien fraîches, les discussions animées, l’odeur de cigarillo (ou de pétard d’ailleurs), les chants, l’explosion quand tu marques un but important…c’est une expérience que j’adore, et que j’adore répéter. »

Lassés de la TV, les acharnés ont donc dû trouver des moyens de supporter leurs couleurs de manière détournée. La passion doit se vivre, coûte que coûte, et si ce n’est pas au stade, ce sera ailleurs. « J’ai ressenti le besoin de « revivre » ce lien, par exemple en regardant des vidéos de matchs passés, en lisant des articles, ce genre de choses. Ça me prend encore, à l’improviste », raconte Louis.

Kevin et les siens n’ont pas hésité à se rassembler en masse pour tout de même montrer que le public n’oubliait pas ses joueurs. « On s’est déplacé aux abords du stade lors de deux matchs plus importants que les autres : avant la réception des Mauves à Sclessin, ainsi qu’au dernier entrainement et départ du car avant la finale de Coupe. » Au Sart Tilman, sur la route du Condroz, l’odeur des fumigènes craqués embaumait les lieux d’une nostalgie rassurante tout en colorant l’environnement d’un rouge vif. Une vraie ambiance de foot, de passion. « Cela faisait un bien fou de retrouver les potes, cette odeur de fumigènes, ces chants, cette ferveur… », glisse-t-il. L’amour quoi.

La puissance du 12e homme

Dans le stade, sans leurs supporters, les joueurs des différentes équipes ont souvent montré un visage moins hargneux. Dans beaucoup de matchs, on s’est rendu compte de l’importance que pouvait avoir le 12e homme. Une mise en évidence par le vide que les bandes sons artificielles et grotesques des chaines de TV n’ont jamais réussi à combler.

Des clubs comme Bruges et le Standard sont réputés pour leur public. Si les Gazelles ont aisément su digérer cette absence, comme le prouvent leurs résultats, on peut se poser la question pour les Liégeois. Un questionnement que de nombreux supporters ont eu, à l’image de Kevin. « Je me posais régulièrement la question en regardant les matchs cette saison « Et si on avait été là pour pousser les joueurs ? ». La pression est naturellement beaucoup plus importante avec les supporters… », confie-t-il. Mais il est plutôt pessimiste quant au cas des Rouches. « Malheureusement concernant mon club du Standard, l’équipe de cette saison ne semble pas résister du tout à la pression… Il suffit de voir le résultat après les deux grosses actions des supporters malgré la crise (Anderlecht et la finale de Coupe) », souffle-t-il.

Si Liège n’a pas beaucoup joué cette saison, ils ont toutefois eu droit à un match de prestige en Coupe de Belgique, à domicile, contre le Sporting d’Anderlecht. Un match joué sans public, hélas. « Je suis persuadé qu’on voit un match différent avec du public », assure Louis.

La saison étant quasi terminée, on peut déjà se projeter vers la prochaine, car il semble clair que le public ne reviendra pas cette saison. « J’espère qu’on retrouvera le plus vite possible l’expérience du stade à 100%, sans aucune contrainte ou interdiction. Mais je doute que ce soit le cas déjà en septembre. Ce sera sûrement progressif », estime Louis. Kevin, lui, ne reviendra au stade que dans des conditions normales « ou ce sera sans moi ». Par ailleurs, le supporter du Standard espère que le club disposera d’une équipe capable de résister à la pression des supporters et qui aura justement besoin de cette ferveur pour performer. « Parce qu’avec le retour de notre merveilleux public à Sclessin après un an d’abstinence… Oufti ça va chier ! »

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