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La Jungle : trois hommes et un brassin

19 octobre 2020
par  Mathieu Golinvaux, Jennifer Fuks, Arthur Sente
( Télévision , Presse écrite , Photo , Demain, après le virus... )

L’histoire de La Jungle, c’est celle d’une brasserie née au beau milieu de la crise Covid, nichée dans un hangar en bordure de canal à Anderlecht. Un projet qui entend porter haut les couleurs de sa ville, où l’écosystème brassicole connait un nouveau souffle.

La dernière venue des brasseries bruxelloises a beau être toute jeune, elle a déjà du vécu. Les trois papas de la dernière-venue au royaume des micro-brasseries bruxelloises n’auraient jamais pu prévoir que leur enfant verrait le jour au beau milieu d’une pandémie mondiale.

Sous le soleil généreux de cette mi-septembre, l’atmosphère pesante du printemps dernier semble loin alors qu’Félix Damien et Christophe Bravin nous ouvrent les portes des locaux qu’ils occupent avec Martin Pirenne, le troisième larron. On a vu pire comme lieu de travail. La SPRL tient en effet ses quartiers entre les murs du « Hangar du Kanal », large site d’occupation temporaire de 3.500m² intégré dans un ancien complexe industriel. Il héberge une dizaine d’autres projets entrepreneuriaux, orientés vers l’économie sociale et circulaire. Le site, propriété des sociétés immobilières Immobel et BPI, est ainsi mis temporairement en valeur avant d’être transformé en projet immobilier de standing.

Née sous Covid

Après avoir brassé « à la maison » pendant près de 6 ans et avoir sorti cette année une première bière « à façon » (c’est-à-dire brassée selon leur recette mais dans une brasserie extérieure), la « Saison du Canal », c’est une aubaine pour les trois amis qui rêvaient de longue date d’ouvrir un lieu où ils pourraient assurer le processus de fabrication de A à Z. Une fois signé le contrat d’occupation temporaire, tout semble sourire aux futurs brasseurs. « On avait justement trouvé une brasserie à Avignon, qui revendait tout son matériel » nous explique Félix entre les cuves de cuisson et de fermentation, les palettes de grain et les deux tonneaux en bois dans lesquels il faut fermenter des expérimentations.

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Les choses vont pourtant rapidement se corser. « On a fait remonter le matériel en février. Malheureusement, ça correspond avec le début du corona. Du coup, de février, on a dû attendre jusque mi-juillet pour faire notre premier brassin, » explique Félix en énumérant les difficultés que lui et ses comparses ont connues avant de pouvoir enfin commencer à cuire du moût. « Au début moi je suis tombé malade. Puis le vrai confinement a commencé. On ne pouvait pas venir à plus d’une personne ici, et comme on ne voulait pas rigoler avec ça, j’ai commencé seul l’installation du matériel. Puis on a dû commander les matières premières qui ont mis beaucoup de temps à arriver, c’est le second point. Et le troisième et plus long point, ce fut d’obtenir l’autorisation de produire de l’alcool. Elle est attribuée par le SPF Finances, qui ne tournait pratiquement pas à ce moment-là. »

Mi-juillet, heureusement, la situation se dénoue, leur recette peut enfin être brassée. A la sortie de ce processus, long de plusieurs semaines, une bière acide à base de levures naturelles, dont le nom reste pour l’heure bien gardé.

Futur incertain

Maintenant que la production a enfin pu démarrer, de nouveaux défis se présentent néanmoins à la bande de trentenaires. D’ici peu, les promoteurs du site entendent bien raser sous ces 3000 mètres de surfaces pour y satisfaire leurs appétits immobiliers, qui font par ailleurs polémique dans le quartier. Les projets à venir pousseront également La Jungle vers la sortie plus tôt que prévu. « Jusqu’à il y a deux-trois mois, on était assez confiant sur le fait de pouvoir rester un été de plus, soit jusqu’à septembre. Malheureusement, on nous a annoncé il y a deux mois qu’avec le corona ils avaient simplifié et accéléré les processus de permis, qu’ils avaient rattrapé le retard qu’ils avaient pris, et qu’ils avaient même gagné du temps » explique Félix. « Tout le monde est un peu triste, car on avait noué des liens avec les autres porteurs de projet ». « Le truc, c’est qu’on a besoin d’un lieu comme celui-ci pour démarrer » embraye Christophe. « Ici, on paie 2 euros du mètres carré, là où dans la réalité on paie plutôt entre 6 et 7 euros du mètre. » Actuellement, des dialogues sont engagés avec d’autres occupants du « Hangar du Kanal » en vue de chercher collectivement des opportunités de relocalisation à moindre coût.

Ce qui est certain, c’est que les jeunes brasseurs n’entendent pas déménager ailleurs que dans Bruxelles, la ville qui leur a inspiré le nom de leur marque, référence à la Jungle urbaine et au charme chaotique de la capitale belge. Un écosystème où les brasseries se développent d’ailleurs très bien dernièrement, et plus particulièrement dans la zone du canal. Aux institutions que sont la Brasserie Cantillon et la Brasserie de la Senne sont récemment venus se joindre des nouveaux projets comme la brasserie de l’Ermitage ou No Science. Un microcosme bienveillant, selon les derniers arrivés. « L’accueil des autres acteurs a vraiment été très chaleureux, » constate Félix. « On voit que les gens sont contents de voir une brasserie qui produit ses propres bières et qui tente le challenge de brasser. C’est déjà un beau projet de faire brasser ta bière quelque part, mais la faire de A à Z, c’est autre chose. Tu dois être un peu plombier, un peu menuisier, un peu comptable. Tout cela fait que la première bière que l’on mettra sur le marché sera encore plus belle. »

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