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La Covid 19 : exacerbation des violences conjugales

25 novembre 2021
par  Claude Muyls

Pandémie et confinement, un cocktail explosif, débouchant sur une augmentation des violences conjugales et familiales au niveau mondial. Comment réagit notre pays ? La Belgique a-t-elle su gérer la situation ?

Jean-Louis Simoens, coordinateur et responsable de la ligne d’écoute 0800 30 030, analyse la situation dans le rapport du Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion – (CVFE asbl) : « Le nombre d’appels au service d’écoute pour violences conjugales a augmenté à une vitesse catastrophique, avec un pic de 207% en avril 2020. Au total, nous avons reçu 21.704 appels en 2020 soit 60 appels par 24 h ! Notre pays a tenté de faire face à de nouvelles problématiques. Le confinement où des familles se retrouvent dans des lieux de vie exigus, exacerbe et affûte les caractères. Fait inédit : plus d’un tiers des coups de téléphone provenaient de proches de victimes, de parents, d’amis, de collègues inquiets. Pendant le premier confinement, nous avons reçu beaucoup d’appels de victimes en état de panique et de profond désespoir. Un sentiment de « sans issues ». Pour augmenter nos capacités, une troisième ligne d’écoute fut ouverte, ainsi qu’un Tchat pour aider les femmes dans l’impossibilité de parler librement ».

Pour comprendre cette croissance des violences, rencontre avec Yasmina Zaazaa, assistante sociale, conseillère conjugale et familiale, travaillant au Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales. (CPVFC).

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Yasmin Zaazaa
© DR

Les grands effets du confinement ?
Cette situation s’avère diverse et surprenante. Avant, nous possédions une liste d’attente d’environ une quinzaine de femmes. Immédiatement, nous les avons appelées et seulement deux sont venues. N’oublions pas que le processus de domination conjugale démarre dès le début du mariage. Le confinement fut seulement un élément déclencheur ou réacteur. Dans certaines situations, madame s’est subordonnée pour se protéger en attendant que le confinement passe. Dans d’autres cas, elle ne travaillait pas et restait à la maison. Du jour au lendemain, monsieur s’est retrouvé sans boulot avec une possibilité de contrôle total sur son épouse. Rassuré, son comportement violent s’est désactivé. Autres situations, les femmes vivaient déjà dans la subordination mais profitaient de soupapes d’aération. Elles sortaient pendant que leur mari travaillait ou avait des activités extérieures. Le lockdown a tout chamboulé : la nervosité, le stress ambiant, les enfants dans les pieds, la proximité, voire la promiscuité, tout était raison de passer à l’acte. En mai et juin, le déconfinement provoqua une autre réaction : les femmes ayant gardé profil bas, préférèrent attendre la fin de l’orage et surtout le retour des enfants à l’école, pour partir.

Les défis de cette période ?
Le manque de tout ! En priorité de masques, de personnels, de centres d’accueil, de fonctionnaires mis en télétravail… Nous devions réagir vite avec un lieu spécialisé, capable d’intervenir en première ligne. Notre devoir ? Traiter la spécificité de chaque situation où femmes et enfants restaient bloqués à la maison. Dès le 18 mars, nos équipes passèrent en télétravail. Trois jours furent nécessaires pour créer un nouvel outil correspondant à la réalité du terrain. Les écoutantes travaillant habituellement en équipe de deux se retrouvèrent isolées à leur domicile, gagnées d’une fatigue émotionnelle délicate à surmonter. Certaines démarches administratives s’avérèrent plus compliquées et plus lentes. Au niveau du CPAS, le traitement d’un dossier qui en général prend un mois fut parfois augmenté à 6.

Comment les autorités ont-elles réagi ?
Très vite ! Les politiques se retrouvèrent au pied du mur et comprirent la nécessité de mettre en place des solutions immédiates. Le rôle des médias fut très important, attirant l’attention sur les violences potentielles, amenées par cette situation exceptionnelle. Le mouvement féministe « Me Too » avait déjà sensibilisé l’opinion publique. Le résultat ? Un changement radical : l’aide était inconditionnelle, on acceptait toutes les femmes victimes de violences, même les sans papiers ou les personnes sans revenus. Avec l’apport des régions et de la Fédération Wallonie Bruxelles, nous avons ouvert un hôtel de 50 chambres. Pour les femmes et familles hébergées, le logement était gratuit, les repas aussi. Nous recevions les produits essentiels, les vêtements, les draps, etc… En bref, la formule : « quoi qu’il en coûte, qui que vous soyez, on va vous aider ». A l’heure actuelle, l’aide a diminué, l’hôtel a fermé, les femmes sans papiers doivent suivre un autre parcours… Mais le futur ?

Votre ressenti pendant la situation de confinement ?
La peur des gens, du monde, l’incertitude du lendemain et la détermination des femmes victimes de violences conjugales à vouloir partir malgré tout. Personnellement, je vivais dans un monde irréel. De nombreuses maisons d’accueil étaient fermées, les collaborateurs en télétravail. J’ai pris la direction de l’hôtel et assuré son bon fonctionnement. Je me sentais parfois très isolée, surtout dans les transports en commun. J’ai aussi apprécié la réaction rapide de l’état belge à répondre à cet accroissement des violences conjugales. Les gouvernements sont bien conscients des difficultés. Malheureusement, il a fallu cette situation dramatique pour amener une véritable prise de responsabilités.

La principale raison de la brutalité ?
Le rapport de genre, le regard que l’homme porte sur sa partenaire en affirmant sa supériorité. L’alcool, la drogue, la religion viennent justifier ce sentiment sexiste de toute puissance, de pouvoir et d’agressivité. Les mariages arrangés impliquent un contrat moral et matériel, l’homme doit remplir ses devoirs à tous points de vues. En cas de manquements et de violences, la culpabilité de quitter le couple diminue. Dans les mariages romantiques, l’amour rend aveugle : le cycle consiste, après la violence à se justifier, à promettre une nouvelle lune de miel. Le doute et la culpabilité s’installent en premier chez la victime. Celle-ci tentera l’apaisement par des fuites dans la famille, chez des proches pour finalement vérifier que la situation n’évolue pas. Quand ces femmes se présentent en maison d’accueil, la décision de quitter le domicile est irréversible.

Vos techniques d’action ?
Toutes les situations de violences conjugales se veulent différentes, les dangers aussi. Nos opératrices téléphoniques tentent d’évaluer le niveau de dangerosité de la situation vécue par les victimes, suivant leurs d’origines ou leur milieu social. Nos principales victimes subissent le classique processus de domination conjugale. L’auteur va mettre des stratégies, physiques, psychologiques pour isoler socialement sa partenaire et la contraindre à long terme. Quand ces femmes comprennent que la situation se veut sans fin, qu’elles ont tout essayé, elles prennent bagages et enfants et se réfugient en maison d’accueil. Un abandon total : meubles, photos, vêtements, souvenirs… le mari a tout jeté ! Nous les hébergeons dans des endroits secrets et les aidons à se reconstruire avec inscription au CPAS. Nous réglons les problèmes administratifs et juridiques. Nous proposons des formations professionnelles pour leur permettre de retrouver leur autonomie. Dans l’alternative de violences physiques, les cas se transforment en urgences. La police devient l’ultime filet de sauvegarde. Malheureusement, en 40 ans, j’ai connu deux situations de suicides sans compter les tentatives de meurtres.

Quelle serait la solution ?
Modifier les mentalités, oublier le regard genré porté sur nos rôles, nos fonctions, nos rapports à l’autre. L’écueil de base ? Créer un rapport de même niveau. Pourquoi ne pourrait-il y avoir autant de femmes dominant les hommes que l’inverse ? Point phare : la promotion par l’éducation de l’altruisme, la générosité, le soin de l’autre, la bienveillance, l’égalité homme-femme. De mon point de vue, nous possédons trois rapports de domination : le genre, les races et les classes. Les changements de mentalités doivent s’opérer à tous ces niveaux. Si la femme se débarrasse des différences sociales ou économiques, elle se retrouve devant la plus grande discrimination actuelle : le genre. Exemple : le grand combat pour une femme devenue leader politique est d’être écoutée et respectée à l’égal d’un homme.

Ecoutes Violences Conjugales - 0800 300 30 - 24/7 – Gratuit – Anonyme www.ecouteviolencesconjugales.be

Témoignages d’écoutants (suivant le rapport annuel CVFE, Praxis et Solidarité Femmes)
« Je ressens de l’impuissance et de la frustration »
« J’ai du mal à recommander à une femme propriétaire de quitter son logement alors qu’elle est propriétaire »
« Il y a eu beaucoup de solidarité, beaucoup d’enthousiasme entre nous »
« Je suis marquée par l’horreur des situations »
« 2020, c’est l’année la plus fatigante psychologiquement de toute ma carrière »
« C’est un exercice unique, sans entraînement »
« Écouter les victimes durant le confinement c’est rejoindre leur impuissance »

Témoignages anonymes
Françoise, 35 ans, jeune maman de deux petites filles, décida de partir le 13 avril, après trois semaines de confinement et 12 ans de vie commune. « Ce jour-là, il avait bu. Ses paroles et ses gestes devenaient très violents envers moi et mes enfants… Le choc, pas question de toucher mes enfants. J’ai téléphoné à l’association, elle m’a écoutée, m’a dit qu’ils cherchaient une solution. Ils m’ont rappelée le jour même pour me dire qu’il y avait une place pour nous ».

Nora, mère d’un petit garçon de 2 ans, espérait quitter le logement conjugal depuis décembre 2019 : « Le gouvernement a débloqué des fonds, ouvert des places parce que les violences se multipliaient pendant le confinement. Comme si ça n’existait pas avant… Finalement, cela a débloqué ma situation. J’ai été sauvée par le confinement ! »

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