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La Belgique se prépare à l’arrivée des zapatistes mexicains

17 août 2021
par  Marco Appel
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Entre la mi-septembre et la mi-octobre, la Belgique devrait accueillir une trentaine de militants de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), le mouvement de guérilla indigène mexicain qui a pris les armes le 1er janvier 1994 dans l’Etat du Chiapas (sud du pays).

La figure la plus reconnaissable du zapatisme était le Sous-commandant Marcos, qui, avec sa pipe, sa cagoule, son casque avec micro et son discours poétique, donnait l’image d’un guérillero post-moderne qui fascinait toute la gauche européenne, y compris l’élite politique et intellectuelle.

En octobre dernier, l’EZLN a annoncé qu’une délégation de ses militants se rendrait en Europe pour dialoguer avec les collectifs de la société civile qui soutiennent les luttes sociales de la gauche anticapitaliste. Depuis lors, des centaines d’euro-zapatistes d’une trentaine de pays se sont organisés - et ont collecté des dons - pour que tout soit prêt à leur arrivée.

Le Réseau d’Accueil Zapatiste en Belgique (RAZB) s’est formé presque immédiatement avec de petites organisations sociales et altermondialistes, principalement francophones, et participe à la Coordination Européenne pour la Traversée Zapatiste, un espace de collaboration entre réseaux nationaux qui agit également comme interlocuteur de l’EZLN.

"Ce que nous avons fait en neuf mois est très significatif. Nous avons rétabli le contact (entre les collectifs européens) et réactivé ’l’Europe rebelle’ partout, de la Finlande à Chypre en passant par le Portugal", explique la sociologue Zoé Maus, sympathisante de l’EZLN presque depuis son émergence, membre du Comité Chiapas de Bruxelles et animatrice du RAZB.

"Il reste à voir si ces liens vont durer, mais au moins nous les avons tissés", poursuit Maus, qui ajoute : "Nous ne savons pas ce qui va se passer, mais nous avons déjà montré que nous sommes capables de ne pas nous laisser séparer par la pandémie, par le confinement. Nous avons été assez habiles pour retisser les liens entre les collectifs, même si chacun était isolé dans sa propre maison”.

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© Israel Aldana

Le "Voyage pour la vie" a commencé le 22 juin avec le débarquement sur une plage de Vigo, en Espagne, des sept premiers zapatistes qui ont quitté l’État mexicain de Quintana Roo le 2 mai pour traverser l’océan Atlantique sur un navire à équipage allemand. Ce petit groupe - appelé Squadron 421 parce qu’il est composé de quatre femmes, deux hommes et une personne transgenre - a été autorisé à entrer sur le territoire espagnol.

Le groupe a organisé des manifestations politiques dans plusieurs villes d’Espagne et de France et a commémoré à Madrid, le 13 août, le 500e anniversaire de la chute de Tenochtitlán aux mains des conquistadors espagnols, un événement historique qui a laissé en Amérique latine des blessures profondes et ouvertes qui ne se sont pas refermées à ce jour.

Le plan initial prévoyait qu’environ 170 zapatistes supplémentaires arriveraient par avion en France à la mi-juillet et que, de là, une trentaine d’entre eux se rendraient en Belgique, mais les choses se sont compliquées.

L’EZLN a dénoncé le fait que le ministère mexicain des Affaires étrangères a refusé de délivrer des passeports à près de 70 d’entre eux, qui ont présenté aux autorités des actes de naissance "extemporanés", c’est-à-dire délivrés des années après le délai légal autorisé, en raison de leur situation d’extrême marginalisation. Selon la loi, pour débloquer cette situation, il faut présenter des documents complémentaires, ce qui complique et allonge la procédure.

Même si la question des passeports est résolue, il reste l’inévitable problème de la pandémie, qui continue de peser sur les voyages internationaux. Les gouvernements européens n’ont pas encore levé leurs mesures strictes de contrôle sanitaire pour les passagers aériens d’autres régions.

Le Mexique figure sur la liste des pays à risque "orange" de la France. Seules les personnes entièrement vaccinées par Pfizer, Moderna, AstraZeneca ou Johnson & Johnson peuvent entrer. Le Chiapas, où est basée l’EZLN, est l’État mexicain dont le programme de vaccination est le moins avancé, et les vaccins chinois et russe que l’Europe ne reconnaît pas sont également utilisés.

Pour la Belgique, le Mexique est considéré comme un "pays à haut risque". Bien qu’elle ait levé, le 6 août, l’interdiction d’entrée dans le royaume pour les voyageurs en provenance de ce pays d’Amérique latine, des mesures sanitaires strictes continuent d’être appliquées, notamment une quarantaine de dix jours et un test obligatoire, même pour ceux qui sont entièrement vaccinés.

Les conditions de voyage sont actuellement (16 août) très défavorables.

En 2005, l’EZLN a annoncé qu’elle devenait un groupe d’action politique, mais toujours en rébellion contre le gouvernement, qui n’a jusqu’à présent pas respecté les accords donnant des droits aux communautés indigènes et signés en 1996. Sous le contrôle partiel ou total des zapatistes se trouve encore un territoire considérable dans l’État du Chiapas (équivalent à la taille de la Belgique) qui possède ses propres “Conseils de bon gouvernement” et ses propres programmes éducatifs et communautaires. En août 2019 - déjà sous le nouveau gouvernement du président populiste de gauche Andrés Manuel López Obrador - l’EZLN a étendu son contrôle à d’autres municipalités.

Deux sources diplomatiques mexicaines en Europe - dont l’une en Belgique - déclarent officieusement que le gouvernement mexicain respecte la liberté d’expression des zapatistes et ne fera donc rien pour l’entraver. Ils ne demanderont pas non plus de comptes aux gouvernements qui leur accordent l’accès, et ne s’attendent pas à être officiellement informés.

Entre-temps, RAZB a déjà organisé une une fête de collecte de fonds - gérée par la Fondation Marius - pour financer le voyage des zapatistes. L’événement s’est tenu dans un bâtiment abandonné de Bruxelles, donné par une société immobilière pour être géré par le centre social alternatif L’accroche. Au dernier étage, avec une vue panoramique sur une partie de la capitale, des stands ont été installés pour vendre des illustrations, des T-shirts, des sacs en tissu et d’autres marchandises ayant pour thème les zapatistes ou le mouvement altermondialiste, l’art urbain et la diversité sexuelle et féministe. Un bar et une petite scène où se produisaient des groupes de musique assuraient une bonne ambiance.

Mais ce qui était frappant, c’était le mélange d’âges parmi les participants. Parfois, les très jeunes étaient majoritaires. Lors des réunions du Comité Chiapas, il y a 20 ans ou plus, il n’y avait essentiellement que des jeunes.

"Il y a clairement des militants ici en Belgique, et dans d’autres pays européens, qui soutiennent les zapatistes depuis 27 ans et qui voient arriver des gens qui, il y a six mois, ne connaissaient pas l’EZLN mais qui veulent leur apprendre à s’organiser. Ce n’est pas facile, et je le comprends. Il n’y a pas d’affrontements, mais il y a des discussions. Et c’est chouette”, dit Maus.

“Je ne me souviens pas que lorsque j’ai commencé dans le Comité Chiapas, j’avais cette possibilité de rencontrer des militants de 20 ou 25 ans de plus que moi. L’autre jour, lors d’une réunion du RAZB, la personne la plus jeune était une jeune fille de 20 ans et la plus âgée avait 70 ans. Je pense que nous devons apprendre les uns des autres, apprendre des erreurs que nous avons pu commettre dans le passé en tant que militants”, conclut-elle .

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