JOURNALISTE FREELANCE.BE Le site des journalistes indépendants

L’intelligence artificielle au cœur de la quatrième révolution industrielle

2 juillet 2020
par  Boris Jancen
( Presse écrite , Le virus de l’invention )

La crise du Covid-19 marque un tournant important pour nos sociétés : le recours généralisé au télétravail et aux technologies émergentes a dopé la nouvelle révolution industrielle à l’échelle de la planète. L’intelligence artificielle (IA) est ainsi devenue la force majeure qui va déchaîner son plein potentiel. Car en passant des applications consommateurs aux applications industrielles l’IA industrielle fonde la transformation numérique et l’innovation commerciale, engendrant une nouvelle phase de croissance et de progrès aussi bien théorique que technologique. Mais ce que la plupart des entreprises qualifient aujourd’hui d’intelligence artificielle ne l’est pas forcément …

D’un virus l’autre

Coronavirus excepté, l’intelligence artificielle est l’un des grands thèmes à la mode. Véritable tarte à la crème du moment, on en connaît tous de chouettes applications et beaucoup d’entreprises affirment y avoir déjà recours. En réalité, le concept technologique revêt une importance bien plus grande que ce que veulent bien montrer les gadgets intelligents que l’on utilise au quotidien.

Au même titre que l’Internet a ouvert la porte des autoroutes de la communication et posé les jalons de la société digitale, l’IA stimule aujourd’hui ce qu’il est d’ores et déjà convenu d’appeler la quatrième révolution industrielle.

Il suffit de voir à quel point les technologies émergentes biberonnées aux nouvelles formes d’intelligence numériques transforment le fonctionnement des organisations, dopent la communication des entreprises et révolutionnent les processus de fabrication des industries pour s’en convaincre.

Après avoir alimenté les assistants vocaux (Siri, Assistant Google, Alexa), colonisé les recommandations personnalisées sur les plateformes de vente en ligne, ou encore plus récemment pris d’assaut les chatbots, ces assistants virtuels qui se multiplient sur les sites des entreprises, l’IA s’est imposée, sans le moindre doute, comme la force majeure qui va déchaîner son plein potentiel.

En effet, après avoir fait l’objet de toutes les curiosités au tournant des années 2000, les robots épinglés du qualificatif « intelligent » revêtent aujourd’hui un rôle significatif dans notre quotidien sous l’impulsion de ce qu’il est convenu d’appeler « l’apprentissage approfondi » basé sur des technologiques comme la reconnaissance vocale ou visuelle ou encore le traitement du langage naturel.

Mais la priorité passe désormais des applications consommateurs aux applications industrielles. Autrement dit, de la montre connectée à la presse hydraulique.

« L’IA industrielle va fonder la transformation numérique et l’innovation commerciale, engendrant une nouvelle phase de croissance et de progrès aussi bien théorique que technologique », estime Mike Bai, President of Strategy Marketing chez Huawei Europe.

Et ce sont désormais tous les secteurs économiques qui s’intéressent de près à l’une ou l’autre forme d’intelligence numérique, lorsqu’ils n’y investissent pas déjà d’immenses budgets pour accélérer leur transformation numérique, précipitant de facto la nouvelle révolution industrielle.

C’est donc l’intelligence artificielle industrielle qui posera, parallèlement à la montre connectée, les bases d’une transformation numérique et d’une innovation commerciale encore inédites.

« En modifiant la méthodologie de travail, l’IA permet aux entreprises de tirer le meilleur parti de leur expérience pratique, supplantant même le travail traditionnel pour devenir le facteur productif à part entière », explique le responsable technologique chez le géant informatique chinois.

Cette transformation d’une ampleur sans précédent dans l’histoire va engendrer une productivité technologique et une croissance économique spectaculaires. Bien plus importante que ce que la machine à vapeur ou l’invention de l’électricité ont pu ouvrir comme possibilité au XIXème siècle.

« Elle ouvre des chemins totalement inédits vers la croissance pour la fabrication, les services et d’autres secteurs, réforme l’économie mondiale et suscite de nouvelles opportunités de développement sociétal », poursuit l’expert.

L’IA est ainsi devenue l’une des principales composantes de la stratégie d’automatisation de toute organisation, que l’on songe à la communication publicitaire prédictive, au ciblage de plus en plus pertinent des consommateurs en ligne, ou encore aux capacités d’analyse des données dans le secteur médical. Autant de facteurs qui en font désormais le pilier fondamental de la nouvelle révolution industrielle.

Cependant, le développement de l’intelligence artificielle affronte des défis à de multiples niveaux : pour s’imposer pleinement dans le secteur et maximiser ses performances, elle va devoir combiner pratiques et connaissances sectorielles afin de relever les défis de la collecte des données, mais aussi de l’entraînement et de la gestion des modèles.

« Compréhension insuffisante des indicateurs sectoriels et expérience lacunaire de l’ingénierie des fonctionnalités pour guider l’optimisation des modèles : voilà les principaux défis du déploiement de l’IA industrielle », résume Mike Bai.

Une intelligence qui n’en est pas toujours une …

L’intelligence artificielle est à ce point omniprésente dans notre quotidien à travers de chouettes applications que la plupart des entreprises affirment y avoir recours. Mais s’agit-il toujours vraiment d’IA ? « Ce que la plupart des entreprises qualifient d’Intelligence artificielle n’en est pas vraiment », prévient Véronique Van Vlasselaer qui est Customer Advisor Decision Science chez SAS, une entreprise spécialisée dans l’analyse des données.

Selon la spécialiste, l’Intelligence artificielle est une notion large trop souvent utilisée à tort et à travers. Au point, d’ailleurs, que bon nombre d’applications présentées comme intelligentes ne le sont pas vraiment.

En réalité, l’intelligence est toujours associée à la faculté humaine. Pour pouvoir parler d’IA, il faudrait donc intégrer l’intelligence humaine dans une machine. Autrement dit : l’amener à faire quelque chose dont seuls les humains seraient en théorie capables.

Or, l’intelligence humaine comprend trois dimensions, précise Véronique Van Vlasselaer. « La première est notre faculté à percevoir les éléments de notre environnement : par la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher. Une faculté qui, certes, ne nous rend pas nécessairement intelligents. Mais dans une seconde dimension, le cerveau est capable d’assimiler ces perceptions et de leur donner une signification. Quant à la troisième amplitude de notre intelligence, elle nous permet de comprendre les choses, de façon à adapter nos actions à ces connaissances ». Autrement dit, ce n’est donc pas parce qu’Albert Einstein est parvenu à comprendre ce qu’il avait perçu que cela a fait de lui un être intelligent : « s’il est considéré comme exceptionnel, c’est grâce aux conclusions qu’il a tirées à partir de ses perceptions », explique la spécialiste chez SAS.

Ces trois niveaux doivent donc être présents dans tout objet avant de pouvoir les considérer comme artificiellement intelligents.

Un capteur en guise de cerveau

La perception humaine de nos sens est remplacée par des capteurs qui collectent les informations sous forme de données. Mais tout comme pour l’homme, ce n’est pas parce que la machine est capable de percevoir quelque chose qu’elle est de facto intelligente. L’apprentissage automatique (Machine Learning en anglais) est ainsi le « cerveau » qui assimile ces données. Dans une troisième phase, la machine doit arriver aux bonnes conclusions et prendre les bonnes décisions, censées rendre les processus plus efficients. Et ce n’est que lorsque les trois phases ont correctement abouti que nous pouvons parler d’IA.

« Le terme IA doit être lié à la notion d’apprentissage automatique qu’on appelle aussi « machine learning », estime de son côté Albert Derasse, expert patenté de la question au sein de la société D-AIM Belgium spécialisée dans les projets IA et l’analyse des données. À ce titre, trop de projets estampillés « intelligents » sont en réalité basés sur une programmation induite et découplée de tout contexte, estime le spécialiste. Ainsi, la plupart des « chatbots » que l’on rencontre sur les sites des entreprises sont juste des robots programmés pour répondre à des questions types. « Il n’y a aucune intelligence particulière dans ces outils, très pratiques au demeurant pour désengorger les centres d’appel », précise Albert Derasse. La véritable IA est donc celle qui est en mesure d’adapter sa réponse au regard d’un évènement particulier.

Et à l’humain derrière ça de mettre son imagination au service de l’analyse des données.

De la sorte, la force de l’IA dépend avant tout de la nature des données disponibles. Et ses limites intimement liées aux données utilisées.

« Les GAFA l’utilisent depuis « longtemps » pour améliorer leurs algorithmes », admet Stéphane Joiris, Creative Partner de l’agence de services digitaux Adjust. « En la couplant par exemple au « machine learning », la technologie permet d’accélérer les processus de traitement des données et de remplacer de nombreuses tâches fastidieuses et source d’erreur ».

En s’appuyant sur les données, l’IA est désormais capable d’effectuer des tâches très complexes et d’assister l’humain dans des domaines aussi variés que la recherche scientifique, l’industrie ou le marketing », développe Albert Derasse.
Quitte à prédire même les évènements à venir. En cela, la technologie offre désormais un avantage compétitif considérable aux entreprises qui y recourent.

Une intelligence en quête de conscience

JPEG - 107.7 ko

L’efficacité de l’IA est proportionnelle à la quantité de données intégrées.
Mais là où les résultats en matière d’IA restent insuffisants, c’est dans le domaine de la conscience de soi. Et de fait : les psychologues eux-mêmes n’étant pas encore parvenus à s’accorder exactement sur la question, il est très difficile de traduire cette notion dans une machine.

« Une machine alimentée par des données doit aussi être capable de générer des opinions et conclusions correctes », souligne Véronique Van Vlasselaer.
L’apprentissage automatique signifie dès lors qu’un système est capable d’identifier automatiquement des situations par l’analyse des données, et d’affiner sans cesse son jugement grâce aux correctifs apportés par l’homme.

Un procédé qui n’a d’ailleurs rien de nouveau. En 1997, un ordinateur alimenté par l’IA parvenait à battre Garry Kasparov, alors champion du monde d’échecs. « Cela n’avait rien d’évident, car ce jeu compte plusieurs milliards de combinaisons possibles », poursuit la spécialiste chez SAS. Apprendre à l’ordinateur la bonne réplique à chaque situation est donc une prouesse tout bonnement impossible dans d’autres applications, surtout dans un environnement changeant, où interviennent quantité d’autres facteurs et où le nombre de cas possibles est infini.

« C’est pourquoi il faut doter la machine d’un comparateur mathématique lui permettant de trouver la situation la plus appropriée dans une quantité phénoménale de données », admet Véronique Van Vlasselaer.

Pour revenir au jeu d’échecs, il faut encoder un grand nombre de coups, pour que l’ordinateur sache lesquelles ont provoqué la victoire ou la défaite. Le procédé reste hélas perfectible, car parmi les millions de bonnes combinaisons se « perdent » toujours quelques mauvais coups. « Notre comparateur mathématique doit donc être applicable au plus grand nombre possible de cas », poursuit la spécialiste.

Par conséquent, l’apprentissage automatique ne peut fonctionner que si l’on dispose d’une quantité prodigieuse de données. Le fruit de ce processus est appelé modèle. « Sur base de ce modèle, la machine établit à nouveau une prédiction chaque fois que de nouvelles données sont introduites. Plus elles seront nombreuses, plus précises seront ses prédictions », résume Véronique Van Vlasselaer.

« La machine à apprendre » au cœur de la 4ème révolution industrielle

En poursuivant notre voyage au pays de l’IA, on découvre donc que l’un des éléments les plus récents de l’apprentissage automatique est l’apprentissage profond ou « deep learning ». La technologie a recours à des réseaux neuronaux artificiels, inspirés du cerveau humain. « Un tel système est capable de traiter des données non structurées. Chaque réseau se compose de plusieurs niveaux qui sont tous en mesure d’identifier des choses spécifiques », explique Véronique Van Vlasselaer. De la sorte, une machine sera capable d’apprendre à distinguer des images de chiens ou de chats. « Chaque niveau se concentrera sur une caractéristique déterminée », poursuit la spécialiste. « Plus l’input est grand, plus fréquemment la machine aura raison ».

Pour autant, l’apprentissage profond connaît aussi ses limites. Pour qu’une machine apprenne à reconnaître une table, par exemple, il faudra lui montrer un nombre aussi élevé que possible de photos de tables : rondes ou carrées, hautes ou basses, etc. « Mais sitôt qu’on présente à la machine une image d’une table de forme inhabituelle, elle risque fort de ne pas la reconnaître », reconnait Véronique Van Vlasselaer.

Et c’est justement à cause de cette carence de perception que certains experts doutent que l’apprentissage profond soit bel et bien l’avenir de l’apprentissage automatique.

Mais aussi fantastique que soit le cerveau humain, il a lui aussi ses limites. À commencer par ses perceptions. « Dans l’obscurité, nos facultés visuelles sont amoindries ; pas celles d’une caméra à vision thermique. Notre ouïe ne fonctionne qu’à une fréquence déterminée ; pas un robot doté de bons micros, capables d’observer des ondes sonores bien plus aiguës ou plus graves. Quant à notre peau, elle ne supporte pas les températures extrêmes ; les capteurs d’une machine, oui », admet avec humilité notre spécialiste chez SAS.

Plus concrètement, on connaît déjà de nombreuses applications intéressantes de l’apprentissage automatique. Le secteur bancaire a été l’un des premiers à s’y intéressé de près. Les banques sont depuis longtemps capables de vérifier la validité d’une transaction et de détecter une fraude.

Dans l’industrie, des données sont analysées afin de prédire la qualité de produits fabriqués ou de prévoir suffisamment tôt quand une machine doit passer à l’entretien.

Le secteur des soins de santé mise actuellement beaucoup sur l’apprentissage automatique. Dans ce domaine aussi, les capacités humaines sont limitées. « Chacun peut dire s’il se sent bien ou mal, et dans le second cas, qu’il est temps de se rendre chez le docteur ; mais il est parfois déjà trop tard. La crise cardiaque a commencé depuis longtemps lorsqu’on commence à ressentir une pression dans la poitrine », illustre Véronique Van Vlasselaer.

Avec des capteurs sous la forme de nanorobots, la médecine est désormais capable d’analyser les paramètres vitaux (rythme cardiaque, ondes cérébrales, transpiration, etc.) et d’annoncer quand une assistance est nécessaire. « Ceci améliore par exemple la vie des patients épileptiques, car elle leur permet de prédire plus vite l’imminence d’une crise », poursuit notre spécialiste.

Gageons qu’à terme, il sera probablement possible de construire, avec l’apprentissage automatique, des robots plus intelligents que l’être humain. « Un processeur qui serait en mesure d’intégrer plus d’informations que notre cerveau », se risque à pronostiquer Véronique Van Vlasselaer.

Et d’ajouter : « lorsque nous observons quelque chose, il ne nous est possible de nous concentrer que sur quelques-unes de ses facettes à la fois. La machine, elle, peut vraiment prendre en compte tous les paramètres. Nous pourrions encore aller plus loin à l’aide de calculateurs quantiques ».

Les avantages de l’IA apparaissent incontestables … « Mais il faudra s’assurer que la machine travaille toujours pour nous, et non contre nous », conclut Véronique Van Vlasselaer.

Partager :