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L’hydrogène, la nouvelle coqueluche énergétique

12 novembre 2020
par  Jean-Christophe de Wasseige
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

L’hydrogène fait de plus en plus parler de lui. Il pourrait aider à relancer nos économies et à décarboner nos transports. Du Win Win ? Pas si vite. Son efficacité fait quand même débat.

L’hydrogène, aujourd’hui, suscite une flopée d’initiatives. En juin, l’Allemagne a dégagé 9 milliards d’euros pour développer une filière. En juillet, la Commission européenne a présenté sa « stratégie hydrogène ». Avant eux, le Japon, la Corée du sud ou l’Australie avaient ouvert la voie. Et les industriels ne sont pas en reste. Toyota et Hyundai en sont à la 2ème génération de leurs voitures à hydrogène. L’américain Nikola fait rouler des camions. Alstom teste un train aux Pays-Bas...

L’hydrogène semble être aux années 2020 ce que le nucléaire était aux années 1950. Le rêve d’une énergie facile et adaptable. Le lyrisme est d’ailleurs présent dans les discours politiques. « L’ère de l’hydrogène a commencé », entend-on. Le problème est que ces plaidoyers ne disent pas toujours ce qu’est l’hydrogène, comment il s’utilise, combien il coûte... Or, il a des limites.

Petit rappel : l’hydrogène est un gaz qui se compose de deux atomes (H2). Il est très abondant dans l’univers. Renfermant énormément d’énergie, il est le carburant principal des étoiles. Cependant, sur terre, il n’existe pas comme tel. Il est toujours associé avec d’autres éléments. On le trouve dans l’eau, combiné avec de l’oxygène, ou dans les matières fossiles, associé avec du carbone. Si on veut l’utiliser, il faut l’extraire. Ce qui réclame de… l’énergie ! Voilà pourquoi on le définit comme un « vecteur énergétique » et non comme une « source ». C’est-à-dire qu’il est seulement capable de stocker l’énergie et de la restituer.

En gris ou en vert

Pour produire l’hydrogène, la principale façon -95%- est de partir du méthane (CH4). Celui-ci est chauffé, mélangé à de la vapeur d’eau et passé dans un catalyseur. Les atomes se séparent, en fin de processus, en hydrogène (H2) et en dioxyde de carbone (CO2). Cette technique s’appelle le vaporeformage. L’hydrogène obtenu sert à des besoins industriels : pour raffiner les produits pétroliers ou pour fabriquer de l’ammoniac qui, lui-même entre dans la composition des engrais. Le hic ? Une pollution intense : environ 10 tonnes de CO2 pour 1 tonne d’H2 ! On parle donc d’hydrogène « gris ».

Une seconde technique consiste en l’électrolyse, que l’on apprend en classe de chimie. On fait passer du courant dans de l’eau et cela provoque la séparation de l’hydrogène (H2) et de l’oxygène (O2). Si cette électricité est tirée de panneaux solaires ou d’éoliennes, le bilan peut être écologique. C’est l’hydrogène « vert ». C’est cette voie que beaucoup de gouvernements veulent développer. Elle est cependant moins efficace que le vaporeformage. Et plus coûteuse. L’hydrogène « vert » revient à environ 10 €/kg contre 1 à 3 €/kg pour son cousin « gris ». Scientifiques et industriels tentent toutefois d’améliorer les électrolyseurs.

Pourquoi autant d’intérêt ?

Aujourd’hui, on pense à l’hydrogène pour trois grandes applications. « La première est que l’H2 pourrait servir à stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables », explique Nathalie Job, professeur au département Chemical Engineering de l’ULiège. Les champs éoliens et les panneaux photovoltaïques ont une production qui varie selon la météo. Le stockage de leur courant excédentaire sous forme d’hydrogène permettrait de lisser cette production. Et d’utiliser cette énergie plus tard en la retransformant en électricité via une pile à combustible -qui est l’inverse d’un électrolyseur. Secundo : l’H2 pourrait aider à la mobilité électrique. Jusqu’à présent, celle-ci utilise des batteries. Cependant, celles-ci souffrent d’une autonomie limitée (350 km pour une voiture) ; d’un poids élevé ; et de longues durées de recharge. Malgré les progrès, ces limites ne s’effaceront jamais. Si on remplace lesdites batteries par une pile à combustible, on produit l’électricité en temps réel au sein même du véhicule. Avantages ? Une autonomie rallongée (550 km pour une voiture) ; un poids gérable ; et un rechargement rapide. Tertio : l’H2 pourrait contribuer à décarboner l’industrie. L’idée est ici de substituer sa variante grise par la verte dans le pétrole et la chimie. Mais aussi de servir dans les industries qui utilisent beaucoup de gaz et de charbon dans leur processus, comme la sidérurgie.

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La Toyota Mirai de 1ère génération a popularisé la technologie hydrogène. Celle-ci n’est pourtant pas sans poser question...
© Toyota
De sérieuses limites

Reste qu’il y a un problème : le rendement de la filière H2 est très médiocre. Pour produire l’hydrogène dans un électrolyseur, environ 40% de l’électricité est perdue. Pour le stocker, il faut le compresser ou le liquéfier, ce qui ampute à nouveau 10% ou 30% de l’énergie. Enfin, pour reconvertir l’H2 en électricité dans une pile à combustible, il faut tabler sur une perte de près de 50%. Résultat : de 5 kWh (kilowatt/heure) d’électricité à l’entrée d’un électrolyseur, il n’en reste plus que 1,3 à 1 kWh à la sortie d’une pile ! Ce qui fait dire à certains scientifiques que l’hydrogène est un non-sens. D’autres, par contre, restent convaincus de son avenir mais pour certains usages bien spécifiques seulement. Un sacré débat…

« L’hydrogène ouvre des perspectives »

Cédric Brüll est le directeur du cluster Tweed, réseau d’entreprises wallonnes actives dans les énergies durables. Ingénieur commercial et gestionnaire en sciences de l’environnement, il a rédigé un « plan de route » pour un développement de l’hydrogène vert au sud du pays.

De plus en plus de pays et d’industriels s’intéressent à l’hydrogène. Cette technologie est-elle à un tournant ?
Oui, on peut parler de tournant. De nombreux acteurs prennent conscience que l’hydrogène peut devenir le « Missing Link », le « chaînon manquant » des énergies renouvelables. Ces dernières sont incontournables pour atténuer le réchauffement climatique mais sont intermittentes. L’hydrogène comble ce problème en permettant le stockage de leur électricité à court, moyen et long terme.

Mais qu’est-ce qui a changé ?
Avant, l’hydrogène vert -le gris n’a aucun intérêt- souffrait d’un manque d’infrastructures, d’une faible demande et d’un coût trop élevé. Aujourd’hui, des investissements s’amorcent et les technologies évoluent. Des électrolyseurs couplés à des éoliennes et/ou des panneaux solaires vont se multiplier. Un effet volume va se créer. Et l’hydrogène vert va devenir meilleur marché. C’est ce qu’il s’est passé avec le photovoltaïque : le prix des panneaux a chuté. Il a suffi que certains pays en subsidient l’usage et que d’autres en organisent la fabrication à grande échelle.

Qui est en pointe en ce domaine ?
Le Japon ou la Corée du sud ont été les premiers à y croire. L’Allemagne vient de s’engager. La Chine a également retenu cette technologie. C’est d’ailleurs ce qui a poussé la Commission européenne à sortir son propre plan cet été. L’Europe ne veut pas rater le coche, après avoir été dépassée par Pékin dans les batteries. En fait, aucun pays ne veut rater ce train qui pourrait créer de l’activité et des emplois.
Mais n’y a-t-il pas un grave problème de fond ? Un rendement exécrable…
Il ne faut pas croire que, demain, l’hydrogène va prendre toute la place. Il se prête bien à certains usages mais pas à d’autres. Par exemple, la voiture à pile à combustible, je n’y crois pas. Elle sera toujours moins efficace que celle à batteries. Par contre, l’hydrogène vert devient intéressant pour la mobilité lourde : autobus, camions, navires... Ici, son rapport encombrement/puissance et son caractère durable jouent favorablement. L’autre application porteuse, c’est le stockage de l’énergie. Grâce à l’hydrogène, on peut créer un temps pour la production d’énergie et un autre pour la consommation. C’est révolutionnaire. Il s’agit de la seule technologie permettant un stockage énergétique inter-saisonnier sans pertes continues. Cet effet tampon n’a jamais été valorisé. Si on lui donne un coût, l’équation peut tenir.

La communauté scientifique apparaît quand même divisée…
Exact. On trouve des opposants et des défenseurs. Je reconnais que le rendement peut poser problème. Mais les batteries -pour ne citer qu’elles- ont aussi leurs externalités négatives : il faut extraire le lithium, le traiter, etc. Concernant l’hydrogène, il ouvre des perspectives. Demain, on peut imaginer produire de l’électricité en plein désert, puis, à l’aide de l’H2, la stocker et la transporter dans les villes. Il y aura certes des pertes mais, si on s’interdit une telle filière, on se prive d’une énergie solaire disponible, inépuisable, non polluante. Autant la capter même imparfaitement que l’ignorer. En fait, pour que l’hydrogène soit efficace, il faut surtout augmenter la capacité en énergies renouvelables. C’est un point fondamental.

« L’hydrogène est une illusion »

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie à l’ULB et ancien fonctionnaire à la Commission européenne. Ingénieur en génie chimique, il a travaillé durant plusieurs années sur l’hydrogène. Il prépare un livre pour en détailler toutes les limites.

Quelle est votre principale critique face à l’hydrogène ?
Il n’existe pas comme tel sur terre. Il faut le produire. Or, le résultat de cette transformation coûtera toujours plus cher en terme énergétique que les matières de départ. Que celles-ci soient le méthane dans le cas du vaporeformage ou l’électricité dans le cas de l’électrolyse. Il faut aussi prendre en compte le stockage, qui consomme encore de l’énergie. Enfin, de nouvelles pertes se produisent lors de la reconversion de l’H2 en électricité dans une pile à combustible. Au final, on peut estimer le rendement global de toute cette filière à près de 28%. Autrement dit, sur les 100% d’énergie du départ, il y a 72% de pertes !

Comment expliquer alors que de nombreux gouvernements entendent aujourd’hui promouvoir ce vecteur énergétique ?
Pour ce qui concerne les États membres de l’UE, ils sont influencés par l’Allemagne et, accessoirement, par le Danemark. Ces deux pays ont investi massivement dans les éoliennes en mer. Or, ils se retrouvent coincés. Ils ne peuvent pas installer davantage de turbines sans réaliser un stockage de l’électricité. L’intermittence de ces énergies renouvelables et leur surplus à certains moments provoquent des tensions sur les réseaux. C’est ainsi que Berlin et Copenhague ont décidé de réactiver cette filière -déjà ancienne- de l’hydrogène. Et la Commission européenne de l’Allemande Ursula von der Leyen a embrayé…

Quid des grandes entreprises qui annoncent moult expériences-pilotes ? Doit-on considérer qu’elles se trompent ?
Très prosaïquement, elles entendent profiter des crédits publics qui sont et vont être mis à disposition. De plus, parler d’hydrogène aujourd’hui, c’est se montrer « vert ». Or, l’argument environnemental a pris une telle importance que plus personne ne veut passer à côté.

Mais parvenir à un stockage d’une électricité verte qui, sans cela, serait sans doute perdue ou vendue à un prix négatif, n’est-ce pas quand même une avancée ?
Là, c’est une dimension économique qui entre en jeu. Dans l’UE, les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ne produisent ensemble en moyenne que 20% du temps. Les 80% restants, ils ne se trouvent pas dans les bonnes conditions météorologiques. Cela signifie que les électrolyseurs alimentés par leur électricité pour donner de l’hydrogène devront, eux-mêmes, fonctionner 20% du temps. Or, ces électrolyseurs coûtent extrêmement chers. Dans la pratique, leur rentabilité économique est inatteignable.

Même si leur rendement est amélioré, comme y travaillent plusieurs scientifiques ?
Certains chercheurs essaient effectivement de rendre plus performants les électrodes et les membranes des électrolyseurs. Ils obtiendront des résultats mais cela ne sera jamais qu’à la marge. Rien ne permettra d’effacer les pertes d’énergie de l’ensemble de la filière. En fait, dans le domaine de l’hydrogène, il ne faut pas compter sur une rupture technologique. Pour une raison simple : c’est que tout a déjà été étudié ! La manière de le produire, de le transporter, de l’utiliser dans l’industrie, dans la sidérurgie, etc. Cette idée d’une filière de l’hydrogène n’est, en réalité, pas neuve. On a déjà essayé à partir de 1926. Sans y parvenir. Toute la chimie industrielle du début du XXème siècle était basée sur cette molécule.

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