“L’art qui guérit”, le livre qui soigne de Pierre Lemarquis
Construit telle une exposition imaginaire, ce livre démontre que l’art est indispensable à notre vie. « L’art sculpte et caresse notre cerveau », écrit le neurologue Pierre Lemarquis. On en est convaincu.
« Un jour on saura qu’il n’y a pas d’art, seulement de la médecine ». C’est avec cette citation empruntée à J.M.G. Le Clézio que débute « L’art qui guérit ». Le célèbre écrivain français avait vu juste. 50 ans plus tard, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l’a confirmé : l’art peut être bénéfique à la santé mentale et physique. Comment ? Parce qu’il procure une sensation de bien-être, diminue l’anxiété, améliore la mémoire, réduit les effets secondaires de certains traitements contre le cancer… la liste est longue.
Ce rapport de l’OMS a été publié en novembre 2019, c’est-à-dire pile à l’aube d’une pandémie qui allait justement mettre à rude épreuve la santé physique et mentale de l’humanité. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si c’est en confinement que le neurologue Pierre Lemarquis en a profité pour écrire ce livre. Utilisant l’art comme voie d’évasion, l’auteur invite le lecteur à une visite imaginaire à la (re)découverte de certaines œuvres. Muni d’exemples, il expose avec passion les mécanismes de cette « guérison par l’art ».
Projeter son émotion à l’extérieur de soi
C’est une évidence : l’art stimule le système du plaisir de notre cerveau. Mais il ne se contente pas de ça. Tout d’abord, saviez-vous que face à une œuvre d’art telle que La Joconde, le cerveau ne faisait pas la différence entre un portrait et une personne en chair et en os ? Il a l’impression que vous êtes en interaction avec la véritable Mona Lisa. Ainsi, l’art est une présence.
Mais aussi, l’art permet de mieux se comprendre, de mieux appréhender ses propres émotions. En regardant une peinture par exemple, écrit Pierre Lemarquis, « chacun de nous projette dans ces images son monde intérieur. Alors qu’elles ne font en réalité que révéler notre propre nature. »
Ce mécanisme est similaire à la « catharsis » d’Aristote. Le mot signifie littéralement « purification, séparation du bon et du mauvais », et désigne le fait de voir son émotion sublimée lorsqu’elle se retrouve projetée dans une œuvre, comme une musique ou un jeu d’acteurs.
Ainsi, en parlant de cinéma, Pierre Lemarquis note qu’il s’agit d’un « excellent moyen d’introspection permettant de descendre au plus profond de soi, d’explorer des zones inconnues de sa vie intérieure, de vivre par procuration les émotions des acteurs (…) de mieux se comprendre ».
L’art élargit notre horizon
Autre bienfait de l’art : il élargit notre horizon et nous transforme. « L’art sculpte notre cerveau », écrit Pierre Lemarquis. « Grâce à un circuit connecté aux émotions et au système du plaisir, nous finissons par ressentir l’œuvre de l’intérieur. Tout se passe comme si l’esprit du créateur de l’œuvre entrait en nous et s’y incarnait, nous transformant, nous métamorphosant ».
Avec ses explications, l’auteur ne se contente pas de nous mettre simplement l’eau à la bouche. Le livre est parsemé de photos - en grand format - des œuvres auxquelles il fait référence. On peut donc les admirer, chercher à les comprendre ou se perdre dedans. Ce qui, on l’aura compris, ajoute un sentiment de bien-être à la lecture… comme la preuve tangible de ce qui est écrit.
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- © Alice Dulczewski
L’art comme évasion
« Je veux que l’homme fatigué, surmené, éreinté, goûte devant ma peinture le calme et le repos », écrivait le peintre Henri Matisse. Parce que l’art permet aussi de s’évader, de prendre du recul face à ses problèmes.
Et cette influence est très concrète, même dans des situations plus graves. La première mise en place d’une artothèque dans un hôpital est un exemple particulièrement parlant. Les patients ont pu choisir une œuvre d’art à placer dans leur chambre. Et les effets ont été formidables. Les patients, explique l’auteur, « ont trouvé le courage d’affronter leur traitement et l’ont en général mieux accepté. Les échanges avec le personnel soignant se sont enrichis de discussions autour de l’œuvre.
La création soigne
Au-delà du spectateur, l’œuvre d’art soigne bien évidemment aussi son créateur. Pierre Lemarquis donne plusieurs exemples d’artistes qui ont tenté de se soigner par la création. Il raconte notamment l’histoire de Charlotte Salomon qui, marquée par une série de drames, a tenté d’exorciser ses traumatismes à travers la peinture, en remettant sa vie en scène.
« Raconter à nouveau en le reformulant, le passé traumatisant ainsi revu et corrigé permet d’annoncer le processus de cicatrisation », écrit l’auteur. Créer peut ainsi permettre de « guérir nos blessures qui n’apparaissent souvent que sous la forme d’un mal-être diffus ». A travers la réalisation d’une œuvre d’art, ces blessures peuvent alors devenir visibles et dès lors plus faciles à cerner ou à soigner.
Ainsi, continue Pierre Lemarquis, « décrire votre souffrance, la dessiner, la chanter, représenter sa douleur et la placer en dehors de son corps physique. Cela permet de créer une distance par rapport à elle. »
Des prescriptions pour aller au musée ?
Parce que l’art soigne, l’auteur défend l’idée des « prescriptions culturelles ». Au Musée des Beaux-Arts de Montréal, cela se fait déjà. Les personnes en difficulté physique ou mentale peuvent ainsi bénéficier d’une visite gratuite si elles sont dotées d’une « prescription muséale » fournie par leur médecin. L’OMS soutient d’ailleurs ce type de démarche. Pierre Lemarquis, lui, s’interroge : quand ces prescriptions culturelles seront-elles généralisées ?
« L’Art qui guérit » fourmille également d’anecdotes passionnantes. On apprend par exemple que Leonard de Vinci était un musicien tellement talentueux qu’il fit pleurer d’émotion ses auditeurs. On découvre aussi l’histoire surréaliste d’un amateur d’art devenu psychotique, au point de se prendre pour un loup-garou, qui a réussi à s’extraire de la folie grâce à sa passion pour l’art. Et puis, la vie surréaliste d’un facteur français qui construisit, seul, un immense palais idéal avec de petites pierres.
A lui seul, ce livre apaise, revigore et redonne encore envie de déambuler dans un musée, de retourner au théâtre ou encore d’installer des tableaux sur nos murs. Il donne le courage de se forcer soi-même à être créatif. Parce que si l’art peut parfois sembler hors de portée, réservé à quelques personnes talentueuses, il ne l’est pas. A l’image de l’enfant qui saisit de lui-même un crayon et un morceau de papier, la création est accessible à tous.
Vivre nécessite l’émerveillement. En effet, comme l’écrit Boris Cyrulnik, qui signe la préface, « il n’est pas nécessaire d’être mort pour ne pas être vivant ».