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Journalisme sportif et Covid-19 : deux expériences inédites

5 août 2020
par  Florent Malice
( Presse écrite , Le virus du sport )

Dans un quotidien chamboulé par le confinement et la suspension des championnats sportifs, des initiatives ont vu le jour pour permettre de recréer le lien entre club et presse sportive.

En ces temps de confinement et de suspension des championnats, le contact entre les clubs de football et leurs supporters est inévitablement passé par les réseaux sociaux en priorité et a permis à certains, un peu en retard sur le plan des « public relations », de se de moderniser. Mais les oubliés restaient les journalistes sportifs : comme l’a souligné l’AJP en pointant du doigt deux grands clubs du pays, la communication directe entre clubs et public – parfois présentée sous les atours du travail journalistique, terminologie à l’appui – laissait la presse dans une zone grise, privée d’informations de première main et bien embêtée au moment de remplir ses pages.

Dans ce quotidien chamboulé, des initiatives ont cependant vu le jour pour permettre de recréer ce lien. Ainsi, un peu plus d’un mois après le début du confinement strict, le Royal Francs-Borains, modeste club promu en D1 Amateurs (troisième échelon national), organisait une conférence de presse « physique » dans son enceinte de Boussu ; quelques semaines plus tard, l’Union Saint-Gilloise profitait de la plate-forme Zoom, en plein boom durant cette période de télétravail forcé, pour inviter la presse à une conférence de presse virtuelle avec son nouvel entraîneur Felice Mazzù.

G.L. Bouchez : « Je referais tout à l’identique ! »

Vendredi, 23 avril 2020 : au lendemain d’une mystérieuse invitation à, surprise, une conférence de presse « physique », un petit comité de journalistes régionaux avides de retrouver un semblant de normalité se rend au Stade Robert Urbain de Boussu. Le Royal Francs-Borains y a mis les petits plats dans les grands : masques (à usage unique) et gants pour les invités, gel hydroalcoolique en suffisance, chaises et tables à distance large de sécurité disposées à même le gazon du stade. Sur une estrade, le directeur général du club Roland Louf, pas peu fier, s’apprête à introduire le nouvel homme fort du RFB : Georges-Louis Bouchez, intronisé président et dont l’arrivée sur un air de Queen a fait un buzz mémorable.
L’annonce fait sensation : d’un point de vue sportif, d’abord, les Francs-Borains frappent fort en attirant un nom qui replacera au centre des discussions ce club autrefois actif en séries nationales et qui ne manque pas d’ambition. D’un point de vue extra-sportif, voir le président du MR officialiser son arrivée dans un modeste club de football via une conférence de presse physique en plein confinement et ce alors qu’il assistera l’après-midi même à un Conseil National de Sécurité fera jaser bien au-delà du Borinage ...

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« Notre principale crainte était que l’information fuite ; pour éviter ça, il fallait choisir un bon moment. Nous avons vérifié si cela respectait les recommandations du CNS, et le club – sans révéler pour qui c’était – a demandé à la zone de police si une telle annonce presse était possible », nous explique Georges-Louis Bouchez. Réponse : oui, et le chef de zone sera d’ailleurs présent ce 23 avril pour vérifier que tout se passe dans les règles. De manière assez prévisible, si le coup de com’ du RFB fonctionne, il fait réagir, bien au-delà du Borinage. « Je ne m’attendais pas à ce que ça prenne une ampleur nationale. J’ai même l’impression que cela a fait plus parler en Flandre qu’en Wallonie », s’étonne le président du MR. Et ce alors que la veille même, la fusion entre le Sporting Lokeren et Temse était célébrée en Pays de Waes par une conférence de presse « physique », en intérieur et en présence des bourgmestres des deux communes.
Quant à cette désormais fameuse arrivée sur « We Are The Champions », qui a rendu fous les réseaux sociaux, le nouveau président des Francs-Borains l’assume également, mais corrige : « Ce n’était pas mon idée et ce n’était pas « pour moi ». Ceux qui suivent peu le football ignoraient sans doute que le RFB avait été déclaré champion suite à l’arrêt de la D1 Amateurs (désormais Nationale 1, ndr), sans pouvoir le fêter en raison du Covid-19. C’était surtout une référence à ce titre », précise Bouchez. « Si c’était à refaire ? Je referais tout à l’identique. L’avenir m’a donné raison : il y a une vie après le Covid, et il fallait la préparer ».
Deux mois plus tard, dans un contexte moins tendu sur le plan sanitaire, le « voisin » du Royal Francs-Borains, le RAEC Mons, annoncera sa résurrection inattendue via une conférence de presse ... donnée sur le gazon du Tondreau, le stade montois.
Un coach présenté via Zoom : l’Union Saint-Gilloise innove

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La crise inédite liée au Covid-19 a également forcé les clubs à découvrir de nouvelles manières de communiquer avec la presse et le public – des manières qui pourraient bien avoir leur place dans cette « vie post-virus » évoquée par Georges-Louis Bouchez. Parmi celles-ci, l’initiative de l’Union Saint-Gilloise : l’arrivée événementielle de Felice Mazzù, ancien coach à succès du Sporting Charleroi et entraîneur de l’année 2018, a été accompagnée d’une conférence de presse via Zoom, le fameux programme de vidéoconférence dont l’utilisation a fait un boom en cette période de télétravail généralisé.
Cette fois, moins de normes sanitaires à respecter : si le club a bien pensé à imiter les Francs-Borains, seuls la télévision et les photographes iront au Stade Marien pour capter quelques images en amont, avant ce fameux appel groupé auquel sont invités les journalistes de presse écrite et web. Sont présents Felice Mazzù, Tony Bloom (président de l’Union) et Alexandre De Meeter, directeur de la communication du club. « Dès que Thomas Christiansen (ex-entraîneur unioniste, ndr) nous a quittés, on savait que, peu importe qui allait arriver, il faudrait organiser quelque chose », nous explique ce dernier.
Peu importe, donc, qu’il s’agisse de Felice Mazzù, une vraie personnalité du football belge, ou d’un illustre inconnu : l’Union était décidée à introduire son nouvel entraîneur sans attendre que les conditions pour une présentation soient plus « favorables ». « L’idée était de préparer quelque chose qui puisse être intéressant pour tout le monde, qui donne à la presse quelque chose de motivant tout en respectant les normes sanitaires. Il fallait un juste milieu dynamique », raconte De Meeter. « Tout s’est bien goupillé avec les séances photos en amont et la presse à 15h, pour que vous puissiez disposer d’images pour vos articles ».
La conférence de presse se passera au mieux, la plate-forme Zoom ayant déjà été assimilée par beaucoup de journalistes dans les semaines qui ont précédé, mais un imprévu n’était jamais à écarter. « Une CP classique amène déjà son lot de stress. Il y a un pourcentage d’inconnues que tu ne maîtriseras jamais », pointe notre interlocuteur. « Mais en « physique », c’est plus facile à gérer : être en contact avec les gens, c’est un avantage évident. Imaginons que la connexion internet saute, que les plombs sautent ... Là, il y aurait eu un vrai problème (sourire) ».

Il n’en sera rien et après cette expérience pourtant si simple, mais inédite, une question se posait : et si ce style de conférence avait sa place dans le quotidien des clubs à l’avenir ? « Cette crise nous a forcés à nous réinventer. On a vécu ce qui est la pire hantise de tout responsable de communication », confesse Alexandre De Meeter. « Et avec du recul, ce type d’interaction avec la presse peut s’avérer utile. Tout dépend des circonstances, mais rien ne dit que ce ne sera pas nécessaire ou en tout cas pratique par moments ».

Depuis, les conférences de presse occasionnelles ont repris leur cours et clubs comme presse ont pu retrouver un semblant de normalité dans leur travail quotidien. Mais l’initiative de l’Union Saint-Gilloise restera un bel exemple d’esprit d’innovation en période de crise.

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