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« Il était une fois... »

7 août 2020
( Presse écrite , Tout... sauf le virus ! )

Les enfants de donneurs anonymes constituent l’angle mort du débat sur la PMA. Nous en avons rencontré quelques-uns, qui témoignent de leurs situations et difficultés particulières. Tout un univers de fictions familiales.

Il existe des enfants qui ne naissent ni dans les choux, ni dans les roses, mais dans les « Il était une fois ». C’est mon cas. En novembre 2017, alors que j’avais déjà 35 ans et passé l’âge de me croire la fille d’un roi trouvée dans un panier sauvé des eaux (...), mes parents m’ont annoncé que mon père n’était pas mon père. Que j’étais le fruit d’un don de sperme.

Quand je raconte ça, les gens ne savent pas comment réagir. On sait ce qu’on doit faire avec les enfants adoptés, on sait ce qu’on doit faire avec les familles très recomposées, on sait ce qu’on doit faire avec presque tous les cas de figure qui peuvent se présenter. Mais avec les enfants de donneurs, on ne sait pas. On ne les connaît pas. Et il n’y a rien d’inscrit sur leur front.
Même leurs parents ne savent pas toujours quoi leur dire : la plupart improvisent comme ils peuvent. Ils font de leur mieux.
De cette manière de fabriquer des bébés, on connaît les parents, on a entendu des témoignages de donneurs, mais les enfants sont invisibles et muets.
C’est l’angle mort du débat.

En Belgique on pense que 50 000 enfants sont nés suite à une procréation médicalement assistée. 50 000, c’est plus que le nombre de Philippe, de Pierre ou de Nathalie en Belgique. Plus que le nombre de Portugais en Belgique, plus que le nombre de Turcs. Et tout le monde connaît bien une Nathalie ou un Turc. Mais qui connaît ces enfants issus de la PMA ? Et combien sont-ils parmi eux à être le fruit d’un don de sperme anonyme ? Personne n’a tenu de registre.
Personne n’a voulu. Le secret n’est pas compatible avec le recensement. Or, le secret est capital. Enfin, c’est ce que certains croient. Secret du mode de conception et secret du don. S’il n’y a plus secret, pensent-ils, alors il n’y a plus donneurs et il n’y a plus famille..
S’il n’y a plus secret, il n’y a plus fiction. Et s’il n’y a plus fiction, qu’y a-t-il ?

Il y a des enfants, dont beaucoup sont devenus adultes. Il y a des individus qui peuvent, quand ils la connaissent, raconter la vérité.

« H., 34 ans, Marketing Officer dans une ONG
C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé, et encore moins dans la famille.
Déjà, que papa prononce le mot « sperme », ça m’a semblé tout à fait surréaliste.

Quelque part c’est assez fantastique cette histoire. Tout à coup une part d’inconnu et de mystère débarquait dans ma vie. Du jour ou lendemain je devenais quelqu’un de spécial, qui avait une histoire extraordinaire à raconter aux gens. Mais c’était pas forcément ce que je voulais pour ma vie, moi j’avais une petite vie parfaite, où tout coulait, un vie sans drame et qui m’allait très bien.
Et parfois aujourd’hui, je suis triste. Je suis triste quand je me dis que je ne saurai jamais à quoi ressemble mon père biologique. On m’a annoncé une nouvelle et point final, c’est comme ça, y’a rien de plus à en dire.
Ceci dit, juste en regardant ta tête, à mon avis je peux avoir une idée de celle du mec, puisque moi je ressemble à maman et que toi tu ressembles à personne. »

Il y a une statistique qu’on entend parfois. 30% des enfants n’auraient pas le père qu’ils croient avoir. 30% des pères élèveraient sans le savoir un enfant qu’ils n’ont pas conçu. Et donc 30% des mères seraient des femmes adultères.
Ce chiffre circule depuis les années 70, depuis une conférence d’un gynécologue britannique considéré comme l’un des inventeurs de la fécondation in vitro. Cette statistique n’est issue d’aucune étude, juste d’une estimation du médecin.
Dans l’imaginaire collectif, la fraude à la paternité est donc très répandue. Nous serions un tiers à appeler la mauvaise personne « papa ».

Or, tout ça, c’est une légende. Une fake news, qui n’existe que dans cette conférence de 1972. Et qui correspond à une obsession masculiniste, à savoir : « Toutes des salopes ».
En réalité, les paternités mal attribuées seraient dix à cent fois moins nombreuses, selon les études qui existent sur la question.
Mais la crainte de la fraude à la paternité, de l’escroquerie à la filiation, tourmente les hommes depuis toujours.

Aucun homme, c’est vrai, (sauf test ADN) ne peut être absolument certain d’être le père de son enfant. Alors que les femmes, a priori, sont plutôt certaines que ce qui sort d’elles vient bien d’elles.
Le patriarcat a donc inventé les maris, ainsi que l’importance de la virginité des épouses. Mais aussi le confinement de celles-ci dans l’espace domestique. Et quoi qu’il en soit, l’opprobre sur les femmes de mauvaise vie, sexuellement libérées, ou qui en ont juste l’air.
L’incertitude paternelle est un des fondements de la misogynie.
Selon cette logique, la femme infidèle ne fait pas que se déshonorer elle-même : elle accable également son époux, pauvre cocu, victime des moqueries de la bonne société. Cet homme-là ne sait pas « tenir » sa femme. Cet homme-là n’est pas un homme.

L’incertitude paternelle est donc aussi un des fondements du secret.
Plus de 90% des enfants nés d’un don de gamètes ignorent l’histoire de leur conception. C’est ce qu’on dit. Les statistiques officielles n’existent pas. On pense que la première génération d’enfants de donneurs n’a pas été informée. Vous en êtes peut-être, d’ailleurs, qui sait ?

Il y a longtemps eu un consensus médical sur la question : il fallait le cacher, c’était pour l’enfant, c’était « pour son bien ». Aujourd’hui on conseille de le dire, et le plus tôt possible. Mais encore, dans les officines, les parents et les médecins choisissent un donneur qui ressemble au mari. Et, quand c’est possible, qui a son groupe sanguin. Il faut éviter les enfants foncés dans des ménages blonds, il faut éviter qu’on puisse dire : tiens, celui-là c’est le fils du facteur.
L’appariement physique entre le père génétique et le « papa », en singeant la nature, rend la fiction possible. Mais ne la garantit pas toujours.

« C., 34 ans, animateur théâtre.
Tout petit, je regardais par la fenêtre, et je me disais que les extraterrestres allaient venir me rechercher.
J’me disais que je venais d’une autre planète parce que c’était pas possible le décalage entre ma façon de voir les choses et l’environnement dans lequel j’étais.
Jérôme, il pensait qu’il avait été adopté. Parce que même chose, il se demandait ce qu’il foutait là.
...
Alors, l’annonce. J’avais 26 ans, un truc comme ça. Quand mon père s’est retrouvé en home, ma mère s’est dit : « Ah ben je vais devoir déménager ».
Et un jour on passe par la maison, avec mon frère Jérôme, elle se plaint encore, elle est dans l’allée de garage en train de charger des caisses dans la voiture, et elle dit un truc du style : « Ouais, votre père, vous allez peut-être devoir payer pour son home comme vous travaillez tous les deux, c’est l’assistante sociale qui l’a dit... »
Alors là, on n’est pas tout à fait d’accord. Jérôme lui dit : « Oui, c’est ça. Y’a déjà rien qui me prouve que c’est mon père, donc il pourra toujours aller se faire foutre. »
Et d’un coup, ma mère nous dit : « Oh ben puisque vous le prenez comme ça, voilà. Maintenant, je peux vous le dire, ça va vous donner une raison de plus de le détester, votre père n’est pas votre père. » Bam comme ça ! Alors nous, on explose de rire (Rire). Mais du coup, la première question qui nous vient : « Oui mais alors, c’est qui notre père ? »
...
Elle dit : « C’est personne, c’est euh… » Comment est-ce qu’elle dit ? « C’est une pipette, j’ai pris une pipette. » Je dis : « Quoi ? On est né d’une insémination artificielle ? » Alors on a souvent des trucs drôles à raconter à nos potes mais là... Là on allait passer une semaine à raconter ça partout. (rires)
Donc « Ah on est né d’une insémination artificielle ? Et Christophe aussi ? » « Ah oui », qu’elle dit. « Ouais et ça a coûté cher hein. » Et moi : « Quoi ? Mais ça a coûté combien ? » « Ah pour vous deux, je crois que j’ai payé 20 000 Francs. Et pour Christophe, j’ai payé 15 000, un truc comme ça. »

On a l’habitude des mensonges de ma mère mais là on sent que ça peut être vrai. D’un coup, ça explique plein de choses, comme pourquoi mon père disait toujours : « Ouais, de toute façon, je vais me barrer, j’en ai rien à foutre des gosses et tout. »

Alors, je demande à ma mère : « Ben alors, pourquoi est-ce que vous n’avez pas fait des enfants normalement ? » « Ah parce qu’il était stérile. » « Comment ça il était stérile ? » « Il a eu des oreillons étant petit et ça a été mal soigné. » Je me dis : « Tiens, ça c’est un peu gros. »

Et puis on cuisine ma mère : « Mais t’as eu des relations sexuelles ? » Elle dit : « Ouais, quelques-unes. Mais on n’a jamais été très pour ça et tout ça. On a essayé deux ou trois fois. » Et puis, de fil en aiguille, elle nous dit : « On a bien essayé une fois mais ça n’a pas marché. » Moi je dis : « Donc, tu as essayé qu’une seule fois et vous avez jamais eu d’autres relations sexuelles ? » « Non. » Alors là, on explose de rire, enfin intérieurement. Et on se dit : « Mais c’est fou, on a des parents qui n’ont jamais eu de relation sexuelle entre eux et qui ont eu trois enfants. »

L’avènement du don de sperme et de l’insémination artificielle est lié à celui des frigos. Ce sont les vétérinaires qui ont ouvert la voie. La première naissance humaine issue d’une fécondation utilisant du sperme congelé date de 1953, aux États-Unis.
C’est quand on a pu réfrigérer le liquide séminal qu’on a pu envisager l’anonymat des donneurs. Le don et la fécondation pouvaient enfin être séparés dans le temps. C’était difficile de garder secrète l’identité du père biologique s’il était dans la pièce d’à côté ou dans la même salle d’attente. Désormais, on conserverait les gamètes dans des banques, et on les sortirait à la demande.
A quoi sert l’anonymat des donneurs ? A les encourager à donner, dit-on, puisque l’infertilité ne cesse d’augmenter. On constate pourtant que dans les pays qui donnent la possibilité à l’enfant de connaître l’identité de l’homme qui a fourni le matériau génétique qui a permis de le façonner, ça n’a rien changé.
Dans les autres pays, comme chez nous, il existe une catégorie d’individus à part. Celle dont l’Etat organise et garantit l’impossibilité d’accès à ses origines. Les enfants de donneurs sont les seuls à être logés à cette enseigne, en dépit de L’article 7.1 de la Convention des Nations Unies des droits de l’enfant : « L’enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents ». Mais qu’est-ce que ça veut dire, « dans la mesure du possible » ? Puisqu’ici c’est possible.

« F., 25 ans, étudiant
J’ai toujours su que j’étais un enfant de donneur. Bein forcément, mon père était transsexuel. J’ai l’impression d’avoir toujours su que papa était un petit peu spécial, qu’on était une famille un peu différente, mais qu’il y avait deux personnes qui m’aimaient et qui m’élevaient et que voilà.

Mon père est mort aujourd’hui. Il écrivait des films. Il est né femme. Je pense qu’il s’est senti homme très tôt. Et je sais qu’à 14 ans, de son propre chef, il a pris des hormones pour ne pas avoir de seins. Avec sa mère c’était le déni total, elle a continué à l’appeler « Ma petite chérie » jusqu’à la fin de sa vie. Son père acceptait la chose. Mais il lui avait dit : « Ecoute, tu peux être ce que tu veux. Moi, je m’en fous. Mais si je ne peux te donner qu’un conseil, c’est : ne sois pas militant. Ne revendique rien parce que tu vas te faire détruire. La société n’est pas prête. » Et mon père a suivi le conseil.

Ma mère, au début, elle se considérait comme hétéro. Et puis, elle a rencontré mon père et elle s’est dit : « Oh, putain !, un ovni. » Mon père avec sa personnalité hyper particulière a convaincu ma mère qu’ils pouvaient faire un bout de chemin ensemble. Et elle s’est juste dit : « Je sors avec un ovni. J’ai pas les clés. Mais c’est trop bien ».

Avec mon père je n’ai jamais ressenti le côté : « Je t’aime moins parce que j’ai pas de patrimoine génétique en commun avec toi » ou « Je ne veux pas te voir parce que t’es pas mon vrai père. » Jamais, je lui ai dit : « T’es pas mon père. »
Et pourtant, on a déjà eu des disputes graves. Je me souviens que je l’avais traité de nazi et qu’il m’avait foutu une de ces torgnoles... Il était d’origine juive. Mais donc, le truc que je disais pour le faire chier, c’était ce genre de choses. Mais pas : « T’es pas mon père. » Parce que ça, ça me paraissait juste aberrant. C’était mon père. »

Dans les trois grandes religions, c’est l’église catholique qui est la plus catégorique : zéro PMA. Les deux autres interdisent aussi le don de sperme anonyme mais s’il y a moyen de chipoter avec ses propres gamètes entre époux, alors on a le droit.
La position du Vatican est nette : pas de relations sexuelles sans enfants, et pas d’enfants sans relations sexuelles.

Dans l’article « L’insémination artificielle devant la conscience chrétienne » de la Revue des sciences religieuses de 1981, il est écrit : « Le mari, du fait qu’il est mis « hors-circuit » dans ce type de génération, se voit frustré d’un de ses droits fondamentaux, celui d’exiger que son épouse ne soit pas enceinte d’un autre homme que lui. »

Or, paradoxalement, Joseph a, en toute connaissance de cause, accepté d’élever et d’aimer un enfant qui n’était pas de lui. Un enfant « de conception virginale », paraît-il. Et Jésus, ce sale gosse, a très tôt fait savoir à son père et à sa mère qu’il ne leur appartenait pas.

« S., 39 ans, Management assistant.
A fondé et préside l’association « Enfants de donneurs Belgique », et a cofondé « Donor Detectives », organisme dont la mission est de retrouver les pères donneurs anonymes des enfants qui, adultes, les cherchent.

Je fais partie d’une fratrie de triplés, conçus avec un donneur. Et trois ans après notre naissance, mes parents ont conçu naturellement mon petit frère. Ça faisait longtemps qu’ils n’avaient plus de vie sexuelle, mais un soir, ils avaient trop bu, ils ont fait l’amour, et ma mère est tombée enceinte.
Ça a été un choc pour mon père. En fait il n’était pas stérile, et il aurait pu se passer de nous avoir.

J’ai toujours eu une relation compliquée avec mon père, j’ai beaucoup mendié son affection et son attention, mais je n’ai jamais senti qu’il m’aimait. Et puis, je n’ai rien en commun avec lui, zéro, même si j’ai pourtant recherché des similitudes à tout prix. Ça, c’était avant de savoir qu’il n’était pas mon vrai père.

J’aurais peut-être pu le découvrir toute seule, mais il me manquait des informations pour interpréter les indices. Par exemple, je me souviens d’une discussion quand j’avais 13 ans, dans la cuisine, où ma mère avait balancé à mon père qu’il n’était pas « un vrai homme », qu’il était un homme « diminué ». Encore aujourd’hui, et alors que je ne le vois plus, je trouve ça terrible.

La manière dont je l’ai appris ?
En fait c’est une tante qui était bourrée et qui a lâché le morceau à la copine de mon frère triplé, qui le lui a balancé.

Quand tu apprends une nouvelle pareille, c’est très étrange, à la fois tout change mais rien ne change. C’est comme regarder le panneau d’affichage d’une gare, voir tous les blocs bouger, et constater que tout est différent et pourtant absolument pareil.

Et puis les dominos ont commencé à tomber.
Je me suis rappelée ce cours de biologie, quand j’avais 12 ans, sur les groupes sanguins.
Je me souviens avoir demandé à ma mère le groupe sanguin de mon père. Et le groupe n’était pas possible, il n’était pas compatible avec le mien. Ma mère m’a dit : « Ton prof a certainement fait une erreur et t’a mal expliqué ». Alors j’ai laissé tomber, je me suis dit que ma mère savait certainement mieux que moi.

Il y a eu l’annonce, donc, le temps a passé, je me suis mise à chercher mon vrai père, je me suis beaucoup renseignée sur les pratiques de l’industrie de la fertilité et j’ai commencé à avoir des doutes. J’ai appris que les triplés et les jumeaux pouvaient avoir des pères différents. Oui, je sais, ça a l’air bizarre, mais c’est juste qu’ils mélangeaient les spermes.

J’ai demandé à ma sœur et à mon frère de faire un test ADN avec moi. Eux, ils s’en foutaient un peu mais ils ont dit oui pour me faire plaisir.
Un mois plus tard, un médecin m’a rappelée et il m’a dit : « Votre sœur a un autre père biologique que votre frère et vous ».
Ils avaient donc bien inséminé ma mère avec un cocktail, sans le lui dire.
Tout ça confirmait mon intuition de départ. Je crois que rien ne peut jamais rester tout à fait secret, que quelque part, de manière consciente ou non, quand quelque chose est caché, il est quand même visible.
Moi je le sentais, que quelque chose était tordu dans cette histoire.
Mais c’est quelque chose qui est assez commun à tous les enfants de donneurs : ils ont appris à taire leur intuition, à ne pas se fier à leurs pressentiments.

Comme les autres te disent : « Holala, Mais qu’est-ce que tu vas chercher là ?? » quand tu poses des questions, bon, qu’est-ce que tu veux faire...

Avant cette nouvelle, quand je racontais mon histoire d’enfant de donneur anonyme, je remarquais bien que les gens ne comprenaient pas. J’avais droit systématiquement aux mêmes remarques stupides, « Mais ton père reste ton père », « All you need is love... » et blablabla, mais quand j’ai commencé à dire que je venais d’un cocktail de spermes, là les gens étaient enfin sidérés. Il me disaient : « Putain merde ». Enfin, il me prenaient au sérieux.
Ils m’écoutaient, alors qu’avant, ils débattaient. Aujourd’hui il n’y a plus de place pour le débat, c’est triste, et c’est tout. »

Œdipe a épousé Jocaste, sa mère. Il ignorait qu’elle était sa mère. Œdipe ne savait pas qu’à la naissance il avait été abandonné. Il ignorait que le vieillard qu’il avait tué, une fois adulte, était son père, et que la femme qui lui avait été attribuée pour le récompenser d’avoir résolu une énigme insoluble, était sa mère. Elle non plus, ne savait pas. Et quand elle l’a su, elle s’est pendue.

Il existerait un phénomène, peu documenté, qui s’appelle L’attraction sexuelle génétique.
Certaines sources prétendent que les apparentés qui n’ont pas vécu ensemble et se rencontrent adultes auraient une chance sur deux de développer une attirance amoureuse.
Sans préjuger de la valeur scientifique de leurs arguments, introuvables, il n’est pas farfelu de penser qu’en effet, l’être humain est naturellement attiré par ce qui lui ressemble.
Que dans la similitude de la courbe d’un menton, la cambrure d’un nez, le tracé des sourcils, il peut trouver matière à fantasmer une moitié d’orange. Mais aucune preuve de cette attraction sexuelle génétique n’a été publiée. L’expression a été inventée par une mère américaine, sexuellement excitée quand elle a retrouvé son fils abandonné à la naissance.
A l’inverse, la généticienne Ariane Giacobino explique que les travaux qui se sont intéressés aux personnes, apparentées ou non, qui sont élevées ensemble, concluent que ça diminue l’attraction réciproque.

La probabilité que des demis-frères et sœurs se rencontrent et se plaisent à l’âge adulte n’est pas nulle. Notamment parce qu’il existe des Serial Donneurs. C’est interdit bien sûr, mais qui va vérifier ? Un britannique, fondateur d’une clinique de fertilité dans les années 60, a ainsi fourni en secret son propre sperme pour donner naissance à quelque 600 enfants. C’est le cas le plus spectaculaire, mais il y en a bien d’autres. D’autres médecins, ou d’autres hommes qui ont permis la conception d’individus d’un âge similaire qui vont grandir dans la même région, dans la même ville, et dans un même milieu social.
En Belgique, un homme peut donner son sperme 6 fois, et celui-ci peut servir à inséminer la même femme plusieurs fois. Mais il n’y a pas registre.
En 2013, on a découvert que le sperme d’un donneur danois, porteur d’une maladie génétique, avait été utilisé pour la conception de nonante-neuf enfants, dont vingt en Belgique.

L’unique moyen de savoir si on n’est pas en train de coucher avec son frère, sa sœur ou son père : le test ADN, qui peut établir un lien entre personnes apparentées de par le monde.
Il se démocratise tellement qu’on le trouve parfois sous le sapin à Noël, et pas seulement chez les enfants de donneurs... chez tout le monde. Parce qu’il ne peut pas seulement dire de qui on vient, mais aussi d’où on vient.

« Carole, 30 ans :
J’ai fait le test ADN, le test d’ethnicité. J’attends le résultat avec impatience.
En fait, on m’a toujours questionnée sur mes origines. Et moi évidemment durant toutes ces années, je me suis amusée à me trouver des origines espagnoles, italiennes ou même maghrébines. Mais le test va peut-être casser mes fantasmes. On verra.

Axel 34 ans :
Moi aussi j’ai fait le test. Ça n’a rien donné. Enfin rien donné, si, j’ai 400 personnes reliées mais à 0,5 %, tu vois. Par contre point de vue ethnicité, paraît que je suis 100% européen, j’ai pas un seul % Asiatique, ou Africain, ce qui est rare apparemment. Au final pour moi, il n’y a rien à en tirer… à part apprendre que j’ai pas 1 % d’Africain ou d’Asiatique, bon cool, super, je peux créer un mouvement suprémaciste en Europe. (rires)

Carole :
Par contre, je l’ai pas encore dit à mes parents. Je vais leur dire, hein.
Mais c’est une démarche qui risque de blesser mon papa alors je vais plutôt leur dire que j’ai fait ça pour avoir mon ascendance ethnique, que c’est un truc à la mode. Je vais pas parler du père biologique... Et si jamais je le retrouve, je sais pas si j’aurai envie de le rencontrer, ce serait compliqué par rapport à mon père.

Axel :
Mon géniteur… si lui, il veut pas faire ma connaissance, ben il fera pas ma connaissance, tant pis pour lui. Maintenant, j’aimerais bien peut-être limite avoir une petite fiche technique sur lui juste pour savoir... mais pas venir empiéter dans sa vie...
Peut-être juste boire un verre et voir ce qui se passe.
Je me demande par exemple d’où vient mon humour un peu déconne.
Moi je suis excentrique et extraverti et mon père il est très introverti. Il m’a jamais dit : « Je t’aime... », il m’a jamais pris dans ses bras. Aujourd’hui on ne se parle plus. Rapport à 32 ans de vie commune difficile, mais aussi à ça, à mon ascendance inconnue. A un moment j’avais besoin d’avoir des réponses et j’ai demandé à mon père d’y réfléchir, mais après, il n’a pas fait l’effort de se souvenir… Donc ouais, ça fait deux ans qu’on se parle plus.
Et c’est drôle parce qu’on se croise souvent en fait. Moi, je vais à des concerts et tout ça, et je l’ai un peu initié à ce truc, et maintenant comme il est seul, il se fait chier, donc, il va dans des concerts de métal et de punk (rire) et je le vois de temps en temps, de loin. Et les gens lui disent « Hé mais c’est ton fils », et ils me disent « Hé mais c’est ton père », mais on fait comme si de rien n’était.

Renaud, 40 ans :
Moi le père je préfère ne pas avoir la possibilité de savoir qui c’est, je crois que ça ne m’apporterait rien de positif. C’est vrai que ça m’est arrivé d’observer quelqu’un qui me ressemblait dans la rue. Ou alors, à l’Unif, il y avait un type qui me ressemblait physiquement, qui avait plus ou moins mon âge, et je me disais : « Ah mais tiens, c’est possible que ce soit mon frère. » Mais juste comme ça.
La génétique, c’est pas ça qui fait un frère. Moi mon frère, qui a un autre donneur, ce qui fait que c’est mon frère c’est le fait que j’ai vécu toute ma vie avec lui.
Et bah oui, d’accord… il y a peut-être d’autres personnes qui ont plus d’ADN en commun avec moi que lui, mais j’ai aucune relation personnelle avec eux. J’espère que c’est des gens bien mais même si c’est pas des gens bien, c’est bien, ça veut dire que j’ai été capable de passer au-delà d’un bagage génétique déviant pour devenir qui je suis. (Rire).

Salomé, 20 ans :
Moi j’ai grandi seule avec ma mère lesbienne, et je me posais pas du tout de questions.
Je dis pas, j’ai quand même été hyper choquée quand je l’ai appris, pas trop pour cette histoire de donneur mais parce que je savais même pas que ma mère était lesbienne. J’étais petite, je sais plus quel âge mais je me souviens de la scène, j’étais en voiture avec ma mère et je lui disais qu’elle partait quand même souvent en vacances avec Martine, et elle m’a dit « Bein oui on est ensemble, tu savais pas ? » J’avais envie de lui répondre « bein non je savais pas, qui aurait pu me le dire à part toi ?? » Elles ont fait à deux les démarches pour m’avoir, c’était le dernier cadeau de Martine avant leur séparation, et après je ne l’ai plus trop vue, et ma mère, je crois qu’elle ne s’est jamais remise avec personne. Et voilà, c’est tout, ça ne me travaillait pas, le don de sperme anonyme.
Mais là, ça commence, ça fait deux ans, je dirais. Mais juste, ouais, voir à quoi il ressemble quoi, enfin, le mec.

Axel :

Moi, j’espère que c’est un type bien, ouais quand même, et quelqu’un d’ouvert justement, qui a la tchatche comme ça, et qui justement, peut-être, n’aurait pas d’enfant en fait. Genre un peu homme d’affaire ou je sais pas. C’est ce que j’aurais voulu faire… Voyager à travers le monde, être libre.
Carole :
Je suis intéressée par le monde arabo-musulman depuis que je suis toute petite. Et maintenant je me dis : « Ah bah si ça se trouve… » Et si c’est le cas, je creuserai encore plus à mon avis. On a toujours beaucoup voyagé avec mes parents. A notre retour de Jordanie, j’ai décidé de prendre des cours d’arabe. Puis plus tard je me suis mariée à un homme à moitié marocain. Et j’ai fait mon mémoire sur la poésie palestinienne. Je me rappelle…Une fois, petite, j’étais dans une agence de voyages et j’ai vu comme ça une grande photo de ces pays-là et j’ai trouvé ça tellement magnifique.

Salomé :
J’ai pas fait de test ADN parce que si ça se trouve je vais tomber sur le dernier des cons et je sais que ce sera horrible. En fait, je préfère ne pas savoir. Non après je te dis, voilà, les psys… ils font un peu … enfin ils disent que tous mes problèmes c’est lié à ça. Que je connais pas mon père et que je refuse de chercher de ce côté-là. Ben oui ils font toujours des liens avec ça, ils lient toujours tes parents à tes problèmes, mais je sais pas. Le seul truc que je peux dire c’est que je suis toujours à la recherche d’une présence masculine, ça c’est vrai. Je recherche de l’affection, de l’attention, c’est… ouais, c’est un peu le besoin d’être protégée comme ça… par l’homme. Je m’attache très vite aux mecs en fait, je tombe amoureuse tous les 2 mètres, au hasard (Rire) et donc du coup dès qu’il y a un mec qui s’intéresse un peu à moi : waouh ! Et après, c’est paradoxal, parce que j’ai développé une certaine misandrie. Je suis assez engagée dans le féminisme, et plus j’apprends sur le sujet, plus je me rends compte qu’il y a plein de trucs qui ne vont pas et ça me révolte.
Je crois que pour moi qui ai été élevée par des femmes, qui ne côtoyais jamais d’hommes, qui n’avais que des copines, ouais, l’homme, c’est un peu l’inconnu, le mystère... Voilà, ouais.
Non, en fait tu sais quoi ? La seule souffrance que je crois que j’ai par rapport à tout ça, c’est pas de ne pas connaître mon père ou d’avoir une mère lesbienne, pas du tout... c’est de ne pas avoir eu de modèle d’amour à la maison. »

Une seule étude d’envergure

Il existe une seule étude d’envergure qui compare le vécu de personnes nés d’un don de sperme anonyme à celui d’individus élevés par leurs parents biologiques, ainsi qu’à celui d’adoptés. Elle est controversée, notamment sur la représentativité de l’échantillon, et elle est surtout relayée par des conservateurs. Son nom : Mon papa s’appelle donneur. Elle nous parle des adultes. Que dit-elle ?

- 52% des enfants de donneurs hommes et 48% des femmes seraient plutôt mal dans leur peau, donnant le sentiment d’avoir subi un préjudice et sont gênés par les "circonstances" qui ont présidé à leur conception. Près de la moitié reconnaîtrait y penser "plusieurs fois par semaine voire plus".

- 42% de ces individus estiment que c’est une mauvaise chose de vendre du sperme ou des ovules à des personnes qui souhaitent avoir des enfants, contre 24% des adultes adoptés et 21% de ceux issus de parents biologiques.

- 47% des enfants de donneurs sont d’accord avec la phrase suivante : je crains que ma mère m’ait menti sur des sujets importants quand j’étais enfant. 27% des adoptés y adhèrent de leur côté, contre 18% des enfants de conception classique.

- Les enquêteurs leur ont soumis l’idée que personne ne les comprenait vraiment. 25% d’entre eux y adhèrent, contre 13% des adoptés, et 9% des enfants biologiques.

- Les enfants de donneurs sont 67 % à demander la levée du secret sur les origines.

- Mais ils sont 53% à craindre de blesser leurs parents s’ils cherchent en savoir plus sur le donneur.

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