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Homes : sortir petit à petit de l’enfer blanc

22 juin 2020
par  Marc Welsch
( Presse écrite , Le virus de la solidarité )

Benoît Naveau, directeur de la maison de repos Le Clair Séjour, à Jodoigne, a vécu un mois d’avril de cauchemar. Il a retrouvé un demi-sourire aujourd’hui.

Le Clair Séjour, à Jodoigne, c’est septante-cinq lits dont les deux tiers sont repris en maisons de repos et de soins. Benoît Naveau, 47 ans, le directeur du home, a compris dès le mois de mars que la vague de Covid-19 se répandant partout en Belgique n’annonçait rien de bon pour ses résidents. Et de fait, le 3 avril, un premier résident du home est contaminé et doit être hospitalisé. Le 12 avril, déferlante : dix-sept cas se révèlent positifs, parmi lesquels douze membres du personnel soignant, les autres faisant partie du personnel d’encadrement.

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© Marc Welsch

« C’est d’autant plus difficile à vivre, remarque Benoît Naveau, qu’il faut réorganiser de fond en comble sa façon de travailler pour protéger nos résidents et nous protéger nous-mêmes. L’angoisse était présente aux trois étages ainsi que le stress, car nous ne savions pas grand-chose à propos de cette maladie et nous ignorions quel serait notre destin. En outre, au fil des semaines, l’impression d’isolement s’est accentuée et la solitude a commencé à peser chez les résidents.
- ...malgré les gestes de solidarité venus de l’extérieur.
- La situation était grave mais nous n’avons jamais baissé les bras grâce à une solidarité diversifiée. D’un côté, les autorités nous ont toujours soutenus et envoyé le matériel de protection nécessaire ; de l’autre, des habitants de Jodoigne sont venus nous apporter des blouses blanches ou des masques ; le Rotary est également intervenu ; les Amis de la chanson ont donné un petit concert sous nos fenêtres et nous avons reçu une foison de cartes et de dessins des écoles pour nous réconforter.
- Et ici ?
- Dans nos murs, ça a été exceptionnel, le mot n’est pas trop fort. Il ne faut pas oublier que chaque membre du personnel pouvait chaque jour ramener le virus dans son foyer. Or, le personnel est allé au-delà de son simple travail. Dans tous les services, et surtout en première ligne avec le personnel soignant, mais aussi dans les chambres, les cuisines ou les couloirs pour l’entretien, l’hygiène et la désinfection, cela a été un combat de tous les jours, deux mois et demi durant. C’est dans ces moments pénibles que l’on découvre aussi le vrai visage de ceux qui vous entourent, leur courage, leur imagination aussi.
- En quoi ?
- Nous avons très tôt ressenti que l’absence de visites créait un vide, une détresse chez les résidents. Leur solitude leur faisait mal et nous faisait mal. Il était dès lors vital de leur insuffler du positif afin de garder de l’espoir et de la motivation. Pas une simple motivation, je vous parle de motivation à vivre. Le personnel du Clair Séjour a, dès le début de la pandémie, décidé de faire le lien entre les personnes très âgées et leur famille. En outre, la musique nous a beaucoup aidés, nous organisions par exemple des petits concerts-apéros à chaque étage ou alors des repas-friterie ou des barbecues. Et puis, à partir du moment où la courbe des hospitalisations est retombée, nous répandions autant que possible cette bonne nouvelle que, souvent, les résidents connaissaient déjà.
- Le retour des parloirs, le 7 mai, a dû soulager beaucoup de monde…
- C’était un premier pas dans la bonne direction. Là aussi nous avons dû faire preuve d’imagination. Le réfectoire a été divisé en deux zones séparées par du plexi, la première pour les résidents, la seconde pour les visiteurs. Trois parloirs ont été aménagés avec l’aide des ouvriers communaux, mais leur utilisation n’a pas été évidente, car certains de nos résidents entendent mal ou parlent difficilement.
- Comment ces obstacles ont-ils été vaincus ?
- Grâce à des accompagnateurs. C’est ainsi nos ergothérapeutes et nos kinésistes se sont révélés de formidables facilitateurs d’échange. Comme ils connaissent très bien nos résidents, ils ont fait le lien et, en certaines circonstances, ils ont eu la pudeur de s’effacer afin que le ou la résidente se débrouille seul(e).
- Et puis, vous avez reçu en cadeau un appareil de visioconférence.
- Rien ne remplace la présence humaine, mais voir en grand devant vous l’un de vos proches, cela fait tout simplement du bien.
- Quelle est la situation aujourd’hui ?
- Des bulles ont été formées par étages et nos résidents peuvent circuler avec un masque d’une chambre à l’autre. Nous sortons petit à petit de l’enfer blanc, aseptisé à l’extrême, qui a duré plus de deux mois. Au début de la semaine, les coiffeuses ont fait leur réapparition et toutes nos dames ont été recoiffées. C’est le genre de petit bonheur qui vous rend votre dignité et vous remonte le moral pour plusieurs jours. Certes les gestes barrière demeurent, mais des mesures d’assouplissement sont d’ores et déjà prévues et plus personne n’est contaminé au Clair Séjour. Ça, c’est déjà une vraie victoire.

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