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Haut les masques

9 décembre 2020
par  Philippe Cornet
( Photo , Le virus des héros comme des gens ordinaires )

En quatre voyages au Japon entre mai 2018 et février 2020, j’ai photographié le port de masques. Initialement bien sûr, sans savoir qu’une épidémie se déclencherait.

Dans son documentaire de 1977, doublé du livre du même titre, Le fond de l’air est rouge, Chris Marker pointe que l’on ne sait jamais ce que signifie une image. Ni ce qu’elle va devenir. Le cinéaste français (1921-2012) cite César Mendoza, l’un des officiers chiliens supérieurs les plus féroces du putsch de Pinochet en 1973. Mais quand il décroche une médaille d’argent en équitation aux Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952, Mendoza incarne juste un élégant et apolitique sportif.

Je pense à cette histoire de Marker sur le devenir des images après avoir voyagé au Japon, à quatre reprises. En mai et octobre 2018, à l’été de l’année suivante, et en février 2020. J’y travaille sur un documentaire TV RTBF/reportage magazine pour Le Vif –soutenu par l’AJP- décryptant la société japonaise entre les deux olympiades de 1964 et 2020/2021. Je photographie aussi ce qui accroche mon regard, ce qui me frappe d’instinct. Notamment le port de masques dans les lieux publics ou non : et ce, pendant mes trois premiers séjours, de façon totalement hasardeuse, aléatoire. Selon les rencontres masquées, que je ne cherche pas. A Tokyo et Kyoto, mais aussi dans de petites localités comme Kamakura ou Hitachi. En 2018-2019, le masquage semble vraiment marginal, pour ne pas dire anecdotique. Incarnant l’ADN d’un pays, le Japon, insulaire de nature et pragmatique par précaution.

Et puis en février 2020, alors que le corona se met bien en place, y compris au Japon, la fièvre covid est d’ores et déjà en route visible. Pendant mes deux semaines à Tokyo, c’est bizarre : les masqués représentent peut-être les trois cinquièmes des passants, les autres sont nez et bouche à l’air libre. Curieusement, je m’attarde moins sur les visages protégés.

En ce 6 décembre 2020, 2229 japonais –nationaux ayant la plus haute espérance de vie au monde- sont morts du virus, sur une population totale de 126,5 millions d’habitants. La Belgique, 11,5 millions d’âmes, a dépassé la barre des 17 000 morts. Une règle de trois dira que le Japon, pour une population équivalente à celle de notre royaume, aurait perdu 201 personnes, soit 84 fois moins de victimes…Reste donc un mystère et de futures explications sur les désastres comparés. Merci.

Pardon d’être ici un rien scolaire, mais les images d’avant le covid 2018-2019 sont en NB, celles du début de pandémie en 2020, en couleurs. Peut-être lors de ce dernier séjour, je n’ai pas voulu voir et vivre les masques. Par souci d’équilibre mental, ayant un peu l’impression d’être dans le ventre de la bête : après deux essais dans le métro de Tokyo avec masque, j’ai laissé tomber. Deux semaines après mon départ de l’archipel fin février, le Japon fermait globalement ses frontières.

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