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Fight Island : comment l’UFC a défié le coronavirus

10 novembre 2020
par  Florent Malice
( Presse écrite , Le virus du sport )

Le monde du sport a durant cet été 2020 repris son rythme presque normal : les championnats de football se sont terminés vaille que vaille, d’autres – tels que le belge – ont entamé leur saison 2020-2021 ; les compétitions de golf, de tennis, les courses cyclistes ont repris sans la passion de leur public ; la NBA dispute ses Playoffs en sécurité dans la « bulle » des installations de Disney World à Orlando, Floride.

Mais s’il est une organisation sportive qui a réussi à transformer la catastrophe du Covid-19 en opération marketing magistralement rodée, c’est bien l’UFC, première à reprendre son cours en mai dernier alors que les autres sports contemplaient les dégâts. De par sa reprise précoce, accompagnée d’un testing à grande échelle et de mesures sanitaires forcément inédites, d’abord ; de par la réussite de cette reprise (très peu de tests positifs en comparaison à d’autres sports) dans un pays qui deviendra vite le plus touché au monde, ensuite ; enfin et surtout, grâce à un concept sorti tout droit du chapeau du président de l’organisation, Dana White – Fight Island.

L’ego d’un homme face au chaos

Dana White est à l’Ultimate Fighting Championship ce que Bernie Ecclestone est à la F1 ou David Stern était à la NBA. Sous sa houlette, l’UFC , dont il prend la tête en 2001, est devenue la plus grande organisation de MMA (Mixed Martials Arts) au monde, passant de la quasi-banqueroute à la promotion de stars telles que Chuck Liddell, Randy Couture, Ronda Rousey et naturellement Conor McGregor. Récemment, l’UFC signait un deal à plusieurs milliards de dollars avec ESPN, cimentant son statut de sport en croissance nette aux USA.

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© UFC

Mais White est un personnage clivant dont l’ego l’a poussé à s’imposer une mission : faire de l’UFC le premier sport de retour sur les rails après que le monde entier se soit mis en veille en mars dernier. Son premier objectif : le 18 avril et l’UFC 249, événement symboliquement important qui doit voir Khabib Nurmagomedov, star de l’organisation et vainqueur de Conor McGregor le 7 octobre 2018, affronter son challenger n°1 Tony Ferguson. Un combat très attendu des fans et déjà annulé 4 fois dans des circonstances chaque fois plus rocambolesques. Malgré les efforts de Dana White, qui est prêt à aller jusqu’à organiser l’événement sur le territoire ... d’une réserve indienne pour contourner les règles sanitaires, la cinquième fois ne sera pas la bonne. Ni le 18 avril, ni plus tard : le 1er avril (!), Khabib Nurmagomedov déclare forfait pour le combat, coincé en Russie par les restrictions de vol imposées par la pandémie de Covid-19.

L’UFC 249 aura bien lieu en mai en Floride, opposant finalement Tony Ferguson à un autre Américain, le n°3 de la catégorie Justin Gaethje. Et si l’UFC compte suffisamment de combattants américains pour organiser quelques événements intéressants, elle semble dans une impasse à assez court terme : avec de nombreux champions et challengers directs étrangers (brésiliens, russes, néo-zélandais, australiens, chinois, européens ...), organiser les combats que le public veut voir paraît impossible.

« J’ai réservé une île »

Dana White en est conscient et bien vite, un projet fou se mettra en place : celui d’isoler les combattants ne pouvant se rendre sur le territoire américain dans une « bulle ». Début avril, il l’explique à TMZ Sports : « Je suis tout proche de réserver une île privée où nous organiserons tous nos combats internationaux ».

On nage en plein film d’action, voire en plein jeu vidéo : une île accueillant les meilleurs combattants du monde entier, à l’invitation d’un seul homme aux moyens presque illimités, et ce en plein milieu d’une pandémie ... La toile s’embrase, chacun y va de sa supposition, mais le projet met du temps à être mis en place. Pendant ce temps, les événements américains se succèdent sans encombre, le protocole bien rodé de l’UFC prouvant qu’il est possible pour le sport de haut niveau de se tenir aux USA malgré la situation dramatique.

Finalement, le 11 juin, le pot-aux-roses est découvert : loin des fantasmes du public, la réalité est bien plus pragmatique - « Fight Island » n’est autre que l’île de Yas, à Abu Dhabi. Une île artificielle faisant office de complexe hôtelier haut de gamme et de centre sportif du futur, où se trouvent un circuit de Formule 1, l’un des plus grands parcs aquatiques au monde, de nombreux parcours de golf ou encore un centre équestre.

Pas exactement une île déserte, et certainement pas une île privée ... mais la solution marketing idéale : l’UFC et Abu Dhabi disposent d’ores et déjà d’un partenariat quinquennal et c’est le petit émirat qui avait accueilli la défense de titre précédente (octobre 2019) de Khabib Nurmagomedov, icône du sport au sein du monde musulman. Du côté de l’UFC, le Moyen-Orient constitue un marché juteux, une fanbase grandissante et un terrain de jeu cinq étoiles ; pour Abu Dhabi, accueillir la première organisation de MMA au monde est un coup de pub nécessaire. Comme tous ses voisins des Émirats, du Qatar et d’Arabie Saoudite, Abu Dhabi veut s’imposer comme un pôle important du sport international.

Dana White est conscient que ceux qui rêvaient d’un octogone (le ring de l’UFC) sur la plage en seront pour leurs frais : tout sera exactement « comme avant », mais à Abu Dhabi. « La mise en lumière, les aléas des éléments ... Mettre en place ce que « Fight Island » était dans les fantasmes du public, c’était difficile. Et ça n’aurait pas bien rendu à l’écran, je crois », plaisante le président de l’UFC sur ESPN en juin dernier. Mais pour permettre à Yas Island d’accueillir, l’espace d’un mois, plusieurs événements sportifs de haut niveau consécutifs – une « bulle » avant celles de la NBA et du Final 8 de Ligue des Champions – nécessitait également un travail colossal.

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© ESPN

L’UFC aura mis les petits plats dans les grands : jusqu’au 26 juillet, date de fin de la dernière compétition, les mesures sanitaires sur Yas Island seront strictes pour les athlètes, leur staff, les employés et les médias présents sur place (le public restant interdit). Pour les médias, tout est pris en main par l’organisation : transit via Londres pendant 48h avec tests PCR sur place, avant de s’envoler pour Abu Dhabi où ils seront logés dans les hôtels de l’île spécialement réservés pour l’occasion.

De retour en octobre

Sans surprise, l’opération est un succès marketing absolu : dès juillet 2020, l’UFC a vendu plus de merchandising que sur toute l’année 2019, le public se ruant sur les t-shirts et autres goodies estampillés « Fight Island » - marque déposée dès le mois de mai dernier. Avec 1.300.000 « pay-per-view » vendus, l’UFC 251 s’est classé 4e des événements les plus lucratifs de l’histoire de l’UFC, devancé uniquement par trois combats de Conor McGregor – qui se retrouve mis sur le côté en l’absence de public, les pertes en billetterie étant bien trop élevées pour que l’Irlandais combatte dans une arène vide.

Pour faciliter ces performances en termes d’audiences, le tout est même calqué sur le rythme américain : plutôt que de se tenir à horaire local, les combats ont lieu en prime-time américain, forçant certains athlètes à rentrer dans l’octogone dès 2 heures du matin. Le spectacle est cependant au rendez-vous ; l’UFC peut se frotter les mains, son modèle est un succès et comme l’annonce Dana White mi-juillet dans des propos relayés par MMA Junkie : « La marque [UFC] n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui ». Un exemple de gestion de crise ?

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