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Face aux virus, les greffes en net recul

30 décembre 2020
par  Guillaume Derclaye
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

Greffés ou en attente d’une greffe, ils sont des milliers en situation de fragilité. Immunodéprimé, leur système immunitaire est un moyen de défense bien faible contre le Covid-19.

De garde la nuit du 25 au 26 novembre aux cliniques universitaires Saint-Luc, le docteur Dominique van Deynse, coordinateur du centre de transplantation, est prévenu qu’un organe en provenance de l’étranger est destiné à l’un de ses patients. Malheureusement, le vol sur lequel cet organe aurait pu se trouver n’existe plus, la crise sanitaire que nous traversons ayant cloué bon nombre d’avions au sol. Les minutes sont comptées, le transfert vers la Belgique ne peut avoir lieu. Dans un marché européen, fonctionnant à flux tendu, l’organe est redirigé vers un autre centre de transplantation, il sauvera une autre vie.

En Belgique, ils sont actuellement 1.326 à attendre un foie, un rein, un cœur, un poumon… De quelques jours à plusieurs années, le coup de fil de l’hôpital peut arriver à tout moment. Depuis le mois de mars, il faut être plus patient qu’à l’accoutumée. Après une première vague pendant laquelle les sept centres de transplantation belges ont navigué à vue, la situation reste aujourd’hui compliquée. Déjà un défi en soi avant l’apparition du virus, la transplantation d’organes n’échappe pas aux obstacles nés du coronavirus.

L’engorgement des soins intensifs

« L’épidémie a fortement diminué la capacité des USI pour la gestion des donneurs avant prélèvement et des receveurs après transplantation », insiste le professeur Wissing, président de la Société Belge de Transplantation. En effet, dès que les chiffres de l’épidémie s’envolent, les soins intensifs sont submergés, jusqu’à être totalement remplis, voire débordés par des patients Covid. A Mont-Godinne, cela fait près de trois semaines que, faute de lits, l’activité de transplantation est à l’arrêt. « Il y a 30 ans que je travaille, et je n’ai jamais connu une pathologie qui occupe notre activité médicale à temps plein, comme le fait le Covid-19 », rapporte le professeur Patrick Evrard du CHU Mont-Godinne. La majorité des prélèvements se faisant sur des personnes décédées, il arrive également que des donneurs potentiels aient contracté le virus, ce qui empêche tout prélèvement…

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. De janvier à octobre 2020, la Belgique a effectué 18% de transplantations de moins que pour la même période en 2019. Eurotransplant, l’organisation internationale chargée d’encourager et de coordonner les transplantations d’organes en Autriche, Belgique, Croatie, Allemagne, Hongrie, Luxembourg, Pays-Bas et Slovénie, dit ne pas être en mesure de lier cette baisse au Covid-19. Cependant, pour les acteurs de terrain, le lien est très clair. Le docteur Dominique Van Deynse insiste sur le fait que « l’impact de l’épidémie n’est pas négligeable. Pour la même période, 160 personnes ont fait l’objet d’un prélèvement en 2020, alors qu’ils étaient 213 en 2019… ».

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La peur du virus

Depuis la fin du mois de février, les sept centres de transplantation belges font face à l’inconnu et évitent d’opérer les personnes n’ayant pas un besoin immédiat de greffe. L’opération en tant que telle rend déjà le patient plus fragile. Au-delà de l’acte chirurgical, et afin d’éviter un potentiel rejet du greffon, les patients reçoivent un traitement immunosuppresseur. Ce dernier va alors « assommer » le système immunitaire du bénéficiaire. Et ce, à vie. Comme nous l’explique le professeur Wissing, « il existe très peu de données en ce qui concerne le risque que représente le Covid-19 pour des patients transplantés et immunodéprimés. » Ce manque de données concerne les milliers de personnes porteuses d’une greffe en Belgique. La littérature existante suggère tout de même, dans le cas où une personne transplantée attrape le Covid-19, un taux important de mortalité. « 15% de mortalité et une chance sur trois d’être hospitalisée, notamment en USI ». Ce dernier reste assez proche de celui constaté dans la population générale.

Parmi les patients, la crainte de se faire contaminer est présente, avant et après la greffe. Depuis deux ans et demi, monsieur Nezeri, atteint d’une fibrose pulmonaire, est dans l’attente de deux poumons. « On m’a appelé une première fois début mars, mais j’ai refusé. A ce moment-là, je me sentais encore en forme et je ne me sentais pas prêt à vivre la transplantation. » Dans les jours qui suivent cet appel, la Belgique prend conscience de la gravité de la situation sanitaire, et bascule en lockdown. Depuis lors, la famille Nezeri vit en vase clos. Pour protéger leur père, les deux enfants de la famille, 15 et 12 ans, ne se rendent plus à l’école. L’aîné suit les cours 100% en visioconférence, par contre impossible pour l’école de mettre en place un tel suivi pour la cadette. C’est aux parents de s’improviser enseignants, d’assurer le suivi et d’éviter que les enfants ne décrochent. Il y a un mois et demi, fin octobre, le téléphone retentit une nouvelle fois. « Cette fois-ci, j’ai refusé par crainte du Covid. Je préfère attendre que la deuxième vague passe, malgré mon état. Je n’ose pas recevoir de greffe dans les conditions actuelles ».

Les Nezeri se sentent oubliés dans cette crise, les soignants qui s’occupent d’eux et des autres ne diront pas le contraire. Pour le professeur Wissing, il s’agit d’une population peu prise en compte, que les pouvoirs publics devraient mieux protéger. « Notamment avec des masques FFP2, ou une vaccination précoce. » Par rapport au vaccin, la porte-parole du ministre de la Santé nous confirme que les personnes transplantées seront effectivement considérées comme groupe prioritaire pour la vaccination, de quoi apporter un brin d’optimisme. Le professeur Wissing insiste également sur la difficulté que les greffés rencontrent dans le monde du travail. « On fait parfois face à des employeurs qui nous empêchent de mettre nos malades à l’abri pendant cette épidémie, en leur mettant des bâtons dans les roues en ce qui concerne le télétravail notamment ».

Les listes d’attentes se raccourcissent

Au sein des centres de transplantation, on s’attendait à ce que les listes d’attente augmentent face à la baisse d’activité. Après plusieurs mois, on se rend pourtant compte qu’elles se stabilisent pour le foie et le rein, voire même qu’elles diminuent pour le poumon et le cœur. « Quand on transplante moins et que la liste diminue, on peut en partie l’expliquer par le fait qu’il y a moins d’inscriptions sur la liste », nous explique le professeur Wissing. En effet, avant de voir son nom figurer sur cette liste, une multitude d’examens sont nécessaires. Un processus qui, dans beaucoup de centres, s’est vu classé non-urgent. « On a évité de faire venir les gens à l’hôpital, surtout des personnes plus fragiles, on devrait donc voir une forme de rebond une fois que la situation s’améliorera ». Un autre facteur, non objectivé à ce jour, est le nombre de personnes décédées sur ces listes. Plus fragile, plus sensible, le public est à risques. « En 2019, une centaine de personnes sont décédées alors qu’elles attendaient un organe, rapporte Dominique van Deynse. Et ce quel que soit le type d’organe. Actuellement, les chiffres ne permettent pas de comparer les deux années. Sans vouloir jouer l’oiseau de mauvais augure, je pense qu’il faut s’attendre à une nette augmentation du nombre de décès en liste d’attente. »

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