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Et si la crise renforçait nos hôpitaux ?

21 mai 2021
par  Julien Thomas
( Presse écrite , Demain, après le virus... )

Voilà déjà 18 mois que la crise sanitaire ébranle le système de financement des hopitaux. À combien s’élèvent les pertes pour le secteur ? Et quelles réformes structurelles faut-il pour un système déjà décrié avant la pandémie ? Tour d’horizon avec trois hôpitaux.

Qui va payer la facture hospitalière ? En ce mois de mars 2020, la question donne des insomnies aux directeurs d’hôpitaux du pays. La pandémie submerge a fait chuter les revenus des établissements. La disparition des recettes se conjugue à l’explosion des dépenses. L’activité ambulatoire baisse parfois de 85%. La limitation du nombre d’opérations et de consultations visent à limiter la propagation du Covid-19. La mesure permet aussi de libérer des lits et du personnel pour les patients atteints du coronavirus. Or, celle-ci représente en temps normal une importante partie des rentrées financières. Avec un paradoxe donc : les hôpitaux carburent toujours 24h/24, mais leur déficit explose en même temps. Au sein du secteur, on s’attend alors à des lendemains difficiles. Quel est l’état de la situation financière 18 mois plus tard ? Et quelles réformes politiques du système de financement le secteur souhaiterait-il idéalement voir se concrétiser ? Tour d’horizon avec trois responsables d’hôpitaux : Stéphane Rillaerts (CHR Sambre et Meuse), Yves Bernard (Vivalia) et Stéphane Masson (CHU Tivoli).

Le calvaire dure six mois

La période de trouble a duré six mois pour le monde hospitalier. En cette première moitié d’année 2021, les réponses apportées par le gouvernement en affaires courantes ne convainquent pas. Directeur général du CHR Sambre et Meuse, Stephane Rillaerts résume : « On nous a donné des avances en trésorerie, ce qui n’était pas du tout la réponse à la question. Les taux d’intérêt sont un peu près à zéro et assurer la liquidité des hôpitaux n’était pas le problème. On avait tous des banquiers prêts à nous allonger du financement provisoire si c’était nécessaire. Ce qui était extrêmement perturbant, c’est qu’on n’avait aucune règle pour déterminer ce qui serait réellement couvert dans les coûts que nous étions contraints d’assumer ». À l’époque, les établissements mettent en place une série de dispositifs sans en connaître ni le coût total, ni la part assumée par la puissance publique. Le supplice prend finalement fin en novembre dernier. Le fédéral clarifie en effet la situation et permet au secteur de savoir à quelle sauce seront mangées ses finances.

Les pertes du premier lockdown épongées

Le système de compensation a globalement satisfait les gestionnaires d’établissements. « L’ensemble des coûts hospitaliers a été grosso modo couvert », indique Stephane Rillaerts. La clarté ne concerne que le premier semestre 2020. Les deux autres vagues du Covid (automne, puis printemps) ne sont toutefois pas comparables. « La première fois, il y a eu lockdown et toute l’activité non urgente non Covid était interdite. Cette fois, la mesure est moins stricte et l’impact financier moins lourd ». Des trois directions d’hôpital sondées, la réaction la plus positive vient de Vivalia. Directeur général de l’intercommunale de soins de santé luxembourgeoise, Yves Bernard se dit satisfait. « On a quelques remarques à faire et on le fera en temps opportun, mais c’est un financement qui couvre globalement la majeure partie des coûts supportés par les hôpitaux. Au niveau des investissements, la région wallonne a aussi pris ses responsabilités en la matière ». Du côté de la Louvière, on garde en revanche quelques réserves. Directeur général adjoint chez CHU Tivoli, Stéphane Masson explique : « Je vais dire qu’on est à moitié rassuré. On n’a toujours pas tous les éléments qui nous permettent de calculer notre exercice 2020. On n’a pas encore tous les éléments qui ne permettent de calculer correctement ce qui va nous être demandé en remboursements. Et la régularisation n’est prévue qu’en mars 2023 ». En outre, l’arrêt de novembre concerne la seule première vague, souligne le gérant hennuyer. Un relatif manque de certitudes plane concernant le second semestre 2020 comme l’année 2021.

Des médecins dindons de la farce ?

Le plan de compensation fédéral fait quand même des perdants et il s’agit d’une partie des médecins, explique le directeur général du CHR Sambre et Meuse. « L’ensemble des coûts hospitaliers ont été grosso modo couverts à l’exception du manque à gagner des médecins, ceux dont l’activité a été suspendue du fait du Covid. L’argument derrière ça, c’est que les médecins sont une profession libérale. On comprend cette logique-là. Il n’empêche que c’est un statut d’indépendant qui, sans être complètement fictif, est quand même un peu particulier. Ils sont partie prenante d’une structure particulière, pas des indépendants comme peuvent l’être un plombier ou un architecte ». De nombreux médecins ont donc perdu une partie plus ou moins importante de leurs revenus. À l’instar du CHR Sambre et Meuse, la situation suscite encore des tensions en interne. Certains praticiens plaident en effet pour déconfiner davantage l’hôpital. Leurs revenus dépendent en effet plus que jamais de la réalisation d’actes techniques. « Il y a une énorme pression de la part des médecins pour que l’activité programmée ne soit pas mise entre parenthèses et renvoyé à plus tard ».

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© Julien Thomas

L’occasion ou jamais d’une grande réforme ?

Toutes ces considérations ne concernent que l’actuelle période de pandémie. Or, le système de financement des hôpitaux affiche, depuis longtemps, des limites criantes. Trop complexe, lacunaire et même parfois illogique, celui-ci prend des allures d’usine à gaz. Ne faut-il pas dès lors profiter de la crise sanitaire pour s’attaquer au problème ? Et si cette crise, malgré le malheur et l’horreur qui l’accompagnent, doit être considérée comme une opportunité en ce sens ? Pour le directeur général de Vivalia, Yves Bernard, la réponse est clairement positive. « Clairement ! Pas seulement au niveau du système de santé, mais aussi, comme je l’ai constaté, au niveau de la gestion de crise. Il faut doter les hôpitaux d’une structure qui leur permettre de réagir très rapidement. Chez Vivalia, on a réfléchi à une nouvelle gouvernance qui donnerait plus de responsabilités en management avec des outils de contrôle plus importants par le conseil d’administration ».

D’abord simplifier le système ?

Au niveau des réformes à mener en priorité, le CHR Sambre et Meuse plaide clairement pour une simplification du système existant. Son directeur général Stephane Rillaerts explique : « Ce qu’on devrait surtout faire, c’est un grand toilettage du système existant. Le ’Grand Soir’ dont parlent certains est une vue de l’esprit. On n’arrivera jamais à ce que tous les acteurs se mettent d’accord pour basculer en une seule fois du système actuel vers un nouveau système. On a d’abord besoin de rendre le système actuel beaucoup moins compliqué, de rationaliser la manière dont les données sont traitées et les différentes sources de financement sources de financement ». Pour le responsable namurois, la meilleure manière de rien changer serait en effet... de tout changer. Or, La complexité du système cache opportunément le manque d’argent. « Le vrai écueil d’une réforme du financement des hôpitaux, c’est que tout le monde sait qu’ils sont sous-financés. Ce fatras de règles complètement absconses et d’une complexité inimaginable pour déterminer le financement des hôpitaux, il a aussi pour but de masquer ce sous-financement ».

Changer le système de rémunération des médecins

Yves Bernard souhaiterait faire évoluer le mécanisme de rémunération des médecins. Il s’agit d’abord de faire évoluer la nomenclature actuelle. « Elle est très inégalitaire puisqu’elle favorise certaines disciplines plutôt que d’autres. Cela amène d’ailleurs le gestionnaire et les médecins, souvent en collaboration, à refinancer en interne certaines disciplines ». Le problème est connu depuis longtemps. Un gériatre ou un pédiatre gagnent par exemple beaucoup moins bien leur vie qu’un cardiologue ou un orthopédiste. Le directeur général de Vivalia souhaite cependant aller plus loin que réduire les inégalités de revenus entre spécialités. « Il faudrait ne donner aux médecins que la partie de ce qu’on appelle l’acte intellectuel et à l’hôpital la partie qui concerne le fonctionnement de ce qui entoure cet acte intellectuel. C’est-à-dire la mise à disposition de salles d’opération, de personnel, de matériel, d’encadrement logistique ».

Stéphane Masson du CHU Tivoli ne dit pas autre chose : « Les hôpitaux facturent aujourd’hui les actes aux mutuelles, puis via des conventions conclues avec son corps médical, en reversent une partie aux médecins (NDLR : à l’exception des établissements universitaires où le personnel est principalement salarié). Leur rémunération dépend donc de l’hôpital et ce dernier finance aussi une partie de son fonctionnement avec ce qui n’est pas rendu aux médecins ! ».

Sus au monstre du loch Ness

Difficile de modifier les règles du jeu sans toucher au système de suppléments d’honoraires, pointe Yves Bernard. « C’est un autre monstre du Loch Ness. Il faudra trouver un moyen de compenser cette marge importante pour les hôpitaux. Cela reste une source de financement. Il y a cependant un débat sur la nécessité d’harmoniser ces suppléments qui varient en Belgique de 100 à 400%. Chez Vivalia, nous pratiquons des taux raisonnables et ce sont d’autre part les assurances qui les supportent. La problématique des suppléments est probablement à examiner ». De son côté, Stéphane Masson met en garde contre la tentation de supprimer des lits d’hôpitaux d’ici quelques années. « On dit depuis des années qu’il y a trop de lits hospitaliers et on compare notre nombre de lits avec nos pays voisins. Le KCE (NDLR : Centre fédéral d’expertise) nous dit qu’on devrait réduire leur nombre d’ici quelques années. Ces 20-25% de lits qui sont soi-disant à faire disparaître, pourquoi ne pas finalement les maintenir pour avoir des unités équipées et structurées, un peu des unités un peu dormantes, qu’on pourrait déclencher rapidement pour des pandémies qui viendront ? ». Affaire à suivre. Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (sp.a) a en tout cas prévu une réforme durant cette législature...

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