Et la marche dans tout ça ?
Après notre réflexion sur la mort et les vieux au temps du Covid-19, on sort de la pièce et on respire un bon coup. On chausse ses godillots et on se prend une claque de nature, histoire de préparer les vacances « pré-fin-de-crise » qui seront assurément à l’air libre. Au propre comme au figuré. Et puis on s’aperçoit que les Belges ont déjà pris les devants. Au pas camarade, au pas camarade, au pas au pas au pas.
« La nature rend chacun de nous capable de supporter ce qui lui arrive. » (Marc-Aurèle)
Ça fait un an que les Belges marchent, marchent, marchent… Du sud au nord et d’est en ouest, il faut être borgne pour ne pas les voir sur les chemins de grande randonnée, les sentiers en terre, les berges des canaux et des ruisseaux et les forêts balisées. Quand ce n’est pas plus humblement dans les rues commerçantes qu’ils parcourent sans commercer et le long des avenues qui les ramènent invariablement à l’endroit d’où ils viennent. Certains tournent même en rond.
Le nombre de marcheurs qui ont fleuri depuis le premier confinement, il y a un an, et pas seulement le week-end, a littéralement explosé. Certaines régions se plaignent même de recevoir des promeneurs du dimanche piétiner les sites habituellement parcourus par les randonneurs chevronnés.
Cette info est aussi largement confirmée par les pros de ce « loisir actif de plein air ».
En pleine nature, le remède miracle
Ainsi, à la Fédération francophone belge des marches populaires, on se frotte les mains - « En 2020, nous avons doublé les ventes de nos guides et enregistré une augmentation de 20% des abonnements. », déclare Alain Carlier, cet ancien journaliste de la RTBF qui a troqué son micro contre les chaussures à crampons et gère la communication et le magazine GR Sentiers. Autre baromètre pertinent, le nombre de téléchargement des itinéraires qui explose. Et les magasins de sport déclarent un décuplement des ventes de chaussures de marche - à tige haute, moyenne ou basse, semelle crantée, rigide ou souple, renforts latéraux, cuir, nubuck, Goretex, tout est parti.
Sur les chemins et les sentiers balisés - un réseau belge de plus de 8.500km -, depuis le printemps 2020, on croise trois fois plus de promeneurs que les autres années. Le profil du marcheur a également évolué avec le temps et la crise. « La curiosité a remplacé la performance. On entend moins ‘Aujourd’hui j’ai marché 60 km.’ Mais plus souvent ‘J’ai vu ou j’ai croisé ça’. » L’intérêt pour la nature, les plantes et la faune n’est plus réservé qu’aux seuls abonnés de Natagora. D’ailleurs, la fédération refuse d’associer cette discipline à un sport qui implique trop souvent la notion de compétition, préférant mettre en avant la découverte de nouveaux territoires, la rencontre, les amis qu’on ne peut plus voir qu’en plein air et l’envie de rester en forme à son rythme.
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- Le loisir actif boosté par le covid
- © D. Thille
8.000 km géré par des bénévoles
Pourtant, la marche n’est pas une tradition touristique en Belgique, il ne s’agit pas d’un « produit économique » comme en Suisse ou en Allemagne, les royaumes de la rando. La fédération se débrouille donc sans subside, avec énormément de passion et un nombre incroyable de bénévoles chargés de baliser les itinéraires. « Ils sont actuellement 360 en Belgique francophone. Chaque année, ils balisent de nouveaux tronçons mais, surtout, ils rénovent, défrichent, modifient, rendent praticables les trajets qui ont subi des dépréciations. Chaque bénévole entretient entre 10 à 20 km par an. » précise Danielle Thille, qui marche depuis son premier tour du Mont Blanc à 16 ans et est responsable pour les baliseurs du Brabant -la région qui compte le plus de randonneurs, particulièrement le Brabant wallon.
Ces correspondants locaux, randonneurs passionnés, souvent des scouts, parfois d’anciens militaires, des travailleurs à temps partiel, ont la charge de vérifier les contournements, de protéger les passages dangereux, d’éviter les routes asphaltées, de dénicher des endroits pour se poser et des nouveaux sentiers. Mais aussi de prévenir les saisons de chasse et de favoriser un environnement diversifié englobant tantôt une forêt, tantôt une source ou un pont, pas trop, juste ce qu’il faut pour que ce soit accessible à tous.
Une activité pour tous
Un an donc que les itinéraires belges sont pris d‘assaut. Le GR (sentier de grande randonnée) des Monts d’Ardennes fait le plein chaque week-end. Le GR Semois est un des plus spectaculaires, avec des escaliers, des échelles et quelques belles dénivelées. Le GR des Abbayes trappistes, qui croise plusieurs GR interconnectés, est très apprécié - même si la fermeture des établissements n’a jusqu’ici pas fait le bonheur des marcheurs qui devaient emporter leur Orval ou leur Chimay sur le dos.
Il y a encore le sentier des Terrils, le GR 56 et le 573 – tous portent un numéro. Des itinéraires Randonnées en famille ont vu le jour dans différentes provinces – l’idéal pour une initiation à la marche pour toutes les générations, une approche du balisage (les petits traits blanc, rouge et jaune), la découverte du patrimoine régional, la proximité d’activités pour les plus jeunes et le choix entre plusieurs parcours, de 6 à 24km. Les Topoguides publiés par la fédération détaillent les itinéraires techniques et proposent également des infos culturelles et historiques basées sur les localités traversées. Et les offices de tourisme locaux, un peu pris de court, se sont mis à publier à tour de bras de la documentation pour conjuguer la marche sur tous les thèmes. Désormais on « marche » nature, culture, châteaux, gastronomie, famille, solo, rural, sauvage, urbain et bientôt vacciné.
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- Les caillebotis du GR 56 dans les hautes-fagnes
- © SGR
Marcher, c’est la santé
Tout le monde marche, c’est l’avantage. A la pépère, 4 km/h. Confirmé, 5 km/h. Avec ou sans bâtons. En pleine conscience ou en chantant. Tout dépend de la condition physique, mais aussi du terrain, de la météo, de l’homogénéité du groupe quand on peut se déplacer à plusieurs. Une rando GR d’une journée complète fait idéalement 20 km -les itinéraires sont le plus souvent étudiés pour offrir de 18 à 25 km, mais le concept plus récent des RB (les randos en boucle) offre de réaliser des trajets plus courts et attire les néophytes que le covid a jeté sur les chemins. On peut même rechercher des itinéraires compatibles avec les transports en commun, en consultant les sites du train et des bus belges. Et la fédération a sorti, cet hiver, un nouveau Topoguide Zéro Carbonne qui détaille une vingtaine de randonnées 100% vertes, « de gare à gare » dans cinq provinces wallonnes. Enfin, une application à télécharger sur son smartphone existe désormais pour ceux qui préfèrent les balises virtuelles aux petits traits colorés, tout en recevant les infos touristiques des Topoguides.
Le magazine trimestriel fourmille d’infos pratiques mais publie également les news du secteur et des reportages réalisés aussi bien en Belgique que dans le monde. Quant aux spécialistes de la santé - très sollicités par ces temps qui piétinent plus qu’ils ne marchent -, ils n’y voient que des effets secondaires positifs. Renforcement du dos, des muscles et des articulations, prévention des maladies cardiovasculaires, maintien du poids, baisse des taux de cholestérol et de glucose. Et aussi amélioration de la mémoire et de l’humeur et déconnexion bénéfique pour le mental. Un vrai cocktail anti-covid. A condition, évidemment, de ne pas s’élancer dans l’ascension d’un sommet sans préparation. De toutes façons, les sommets ne sont pas encore accessibles à moins d’être vacciné cinq fois. Sauf l’Altitude Cent, à Bruxelles, et le signal de Botrange dans les Hautes-Fagnes - 694m. Le teasing le plus surréaliste de de La grande Evasion.
Tout pour marcher et ne pas se perdre en Belgique : www.ffbmp.be, www.grsentiers.org