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Écrivain, un vrai métier

19 juin 2020
par  Hughes Belin
( Presse écrite , Le virus de l’art )

« Le talent d’un auteur de roman, c’est sa capacité à raconter des histoires. Le style, c’est du bonus. » Discuter d’écriture avec Fred Godefroy peut sérieusement remettre en question vos préjugés sur le métier d’écrivain, un fantasme bien ancré dans le monde francophone. Un sondage de la maison d’autoédition Librinova et du magazine Lire avait révélé l’année dernière que plus de la moitié des Français ont écrit un livre ou rêvent d’en écrire un, mais que seulement 4% ont envoyé un manuscrit à un éditeur. « Un million et demi de manuscrits inachevés dorment dans les tiroirs des Français  », assène F. Godefroy.

C’est pour cela qu’il a créé la Méthode Godefroy, «  la seule méthode interactive d’écriture de romans de genre dans le monde francophone  », calquée sur ce qui s’enseigne dans le monde anglo-saxon et adaptée à la culture française. Oui, écrire, cela s’apprend : « le virus de l’écriture ne suffit pas. Savoir raconter une histoire est essentiel pour accrocher ses lecteurs. »

Raconter une histoire

Et toutes les histoires obéissent à la même structure dramatique, décortiquée il y a plus de 2.000 ans par les Grecs. Elle est employée par tous les auteurs de roman et les réalisateurs de cinéma, même si certains la maîtrisent au point de pouvoir jouer avec. F. Godefroy aime citer, tant dans ses cours que dans ses livres didactiques, les films que tout le monde connaît pour servir d’exemple : Harry Potter, Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, etc. Mais la comparaison entre films et livres ne s’arrête pas là : «  le montage est un autre élément essentiel pour bien raconter une histoire. » En d’autres termes, le découpage des scènes et la succession des chapitres obéissent à des règles précises pour tenir le lecteur en haleine et avancer dans l’histoire. Car «  on écrit pour le lecteur, pas pour soi. »

La préparation, clé du succès

«  Le secret du succès d’un roman, c’est sa préparation. Sans cela, on n’achève jamais un roman. » La méthode d’écriture de Fred Godefroy torpille ainsi sans merci le mythe de l’écriture au fil de l’eau. Pour lui, «  c’est l’échec assuré : on se perd dans son histoire, on se retrouve bloqué et le manuscrit finit dans un tiroir. » En d’autres termes, si les blocages font partie du processus créatif de l’écriture, « l’amateur s’arrêtera là alors que le pro les dépassera. »

Son premier polar, Les Crapules de Courtson Cave, il l’a écrit à 24 ans, d’une traite, en une semaine, et a signé cinq jours après au Serpent à Plumes. Il avait toutefois quelques années d’expérience derrière lui en tant que scénariste de cinéma. En temps normal, l’écriture d’un roman ne prend que 15% du temps alors que la préparation en prend 60%. Il balaye au passage un autre mythe, celui de rendre une copie parfaite dès le premier jet : « un roman va de toute façon subir deux, voire trois réécritures. C’est pour cela que lors de la phase de l’écriture, il faut écrire sans s’arrêter, tous les jours, quitte à faire des erreurs. »

C’est la phase où l’esprit peut se laisser aller « dans les limites des bornes créatives fixées lors de la phase de préparation ». La première d’entre elles est le super-concept, un terme qui vient du cinéma et qui désigne le pitch de l’histoire qu’on veut raconter. C’est ce qui va convaincre ou non un éditeur de lire le roman mais aussi le véritable début de la préparation du roman, à ne pas négliger, donc – ses étudiants passent parfois un mois à coucher sur le papier ces deux ou trois phrases essentielles. «  Ensuite, on sait où on va, on a une vraie histoire à raconter. »

Processus de transformation

Mais savoir écrire une histoire ne suffit pas pour devenir écrivain. Dans son 3e opus sur l’écriture d’un roman à succès paru en mai dernier, il se concentre sur les personnages. «  Il n’y a pas de bon roman sans des personnages qui vous prennent aux tripes, c’est-à-dire qui créent de l’empathie avec le lecteur », explique-t-il. Et pour lui, «  un bon roman est celui où ce qui peut arriver de pire à votre héros, doit lui arriver.  »

Malheureusement, «  la plupart des primo-auteurs tombent amoureux de leur héros et n’osent pas le faire souffrir. » Alors qu’être écrivain, c’est justement « oser lâcher prise et mettre son héros adoré dans une m… noire qui peut lui coûter la vie. On n’en dort pas la nuit : c’est ça le métier d’écrivain. Ce n’est pas d’être assis sur une chaise et aligner des mots sur une page. C’est le vivre. » Et quand on le vit, «  un changement en soi se produit. » En d’autres termes, chaque roman est initiatique tant pour le héros que pour l’auteur : « la fin d’un roman et à la fois géniale et terrifiante, on a un énorme vide en soi, c’est un état quasi-dépressif.  »

Conseils aux débutants

A-t-il au moins quelques conseils pour débuter ? « Notez vos idées dans des carnets, votre inconscient va travailler dessus. Une idée non notée est de toute façon perdue.  » Mais une idée ne fait toutefois pas un roman : elle doit être testée, éprouvée, développée. «  Si vous n’êtes pas capable de tirer une centaine de scènes d’une idée de roman en quelques jours, mettez-là de côté », ajoute-t-il. Dur, dur le métier d’écrivain ! « On jette énormément, j’ai des piles de manuscrits inachevés. Ce qui est publiable, c’est vraiment la crème de la crème.  »

A l’instar d’une petite centaine d’(heureux) écrivains en France, il a maintenant un agent littéraire. Son dernier roman, le premier tome de la saga Nefilims, va bientôt être publié. Il travaille déjà sur les quatre suivants, un travail titanesque car d’une extrême complexité à préparer. Il conseille d’ailleurs aux primo-auteurs de commencer avec un seul héros dans un seul roman. Et surtout d’être patient, car arriver à vivre de sa plume est un long parcours, mais pas un rêve inaccessible. Et ça vaut le coup ? «  C’est le plus beau métier du monde, celui où on peut être véritablement libre de faire ce qu’on veut… à travers ses personnages. »

©Hughes Belin, journaliste freelance et auteur de Divin quotidien

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