Du virus à la poule, et retour
De nombreux Belges ont acquis des poules durant le confinement. Pour beaucoup, y compris dans les campagnes, cette nouvelle cohabitation a parfois suscité quelques incompréhensions. Ainsi cet habitant qui a vu surgir 16 poussins identiques derrière une poule. Il a cru pouvoir profiter de sa sidération pour résoudre le dilemme de l’œuf et de la poule. Cependant une vétérinaire a trouvé une explication plus rationnelle à cette maternité multiple. Mais que faire lorsque la cohabitation avec le nouveau venu est si radicale que les experts restent indécis ?
M. Jean-Christophe Colot nous reçoit devant le poulailler de son amie Nicole Collet, dans un joli jardin à Mettet, en Province de Namur. L’homme est encore sous le choc de sa découverte : il a assisté à un événement si incroyable, à ses yeux, qu’il en a été sidéré. Après moultes réflexions, il prétend pouvoir à présent résoudre le très vieux paradoxe de l’œuf et de la poule. Son aventure a commencé quinze jours plus tôt mais il s’en souvient comme si c’était hier : « Une poule avait disparu depuis 21 jours et un beau matin elle est réapparue suivie de 16 poussins. » Le regard empli d’un doute profond, M. Colot s’exclame : « Les seize poussins étaient identiques ! Ils avaient tous la même taille. Comment cela est-il possible ? La poule aurait-elle pondu 16 œufs le même jour ? Ou bien y aurait-il eu 16 poussins dans le même œuf ? Ce n’est pas possible ! ».
Inquiet, M. Colot avoue ne plus dormir depuis quatre jours. Pour tenter de résoudre ce mystère, il a consulté internet et les réseaux sociaux. Mais malgré ses efforts, il n’a rien trouvé de probant à part, peut-être, un site qui affirme qu’un œuf peut contenir deux poussins. Certes le problème est coupé en deux mais… « … Cela impose encore la ponte de 8 œufs le même jour ! Ce n’est pas possible non plus ! ». Le chercheur de vérité n’abandonne pas sa quête pour autant : « J’ai réfléchi...et j’ai fini par trouver ! ».
La poule originelle
Accroupi dans l’herbe, en essayant de rassembler pour notre photo les poussins qui piaillent joyeusement, il livre sa thèse : « A cause de la canicule je pense que les œufs n’ont pas eu le temps de se former et que les poussins sont sortis directement du chapelet, sans coquille ». Dès que l’on accepte cette prémisse, la suite prend une allure somme toute logique et permet même de résoudre un mystère insondable : « Donc, évidemment, si le poussin peut naître sans œuf, alors il devient facile de savoir qui est à l’origine de la poule et de l’œuf, c’est la poule ! ».
Entouré des poussins qui ont effectivement la même taille, jalousement gardés par la poule Cocotte, le nouveau philosophe s’émerveille de sa démonstration et pare aux critiques potentielles : « On a aussi traité Einstein de fou, pourtant il avait raison ! ». Plus pragmatique et restée un peu l’écart jusque là, la propriétaire des lieux, Mme Nicole Collet, nous livre quelques indices supplémentaires : « En fouillant le site pour tenter de comprendre, j’ai trouvé un nid dans un endroit discret de la propriété. Il y avait quelques écailles et aussi deux œufs durs, mais rien d’autre. »
Quatre mètres plus loin, depuis le poulailler, le seul coq des lieux nous toise, goguenard et fier de son hexadécacuple coup resté secret. Autour de lui, les quelques autres poules vaquent à leurs occupations et ne semblent pas concernées par l’affaire. Dans un caquètement hautin, elles préfèrent même nous tourner leurs plumes de derrière.
Expertise
Devant l’importance déclarée de l’affaire, comme il est de rigueur en cette période de coronavirus, le recours à une experte s’impose. A l’arrière de son cabinet, dans ce qui ressemble bien à une Arche de Noé, la vétérinaire, Mme Isabelle Doneux, accepte le rôle et coupe court immédiatement aux spéculations métaphysiques échafaudées par M. Colot : « Toute cette histoire est parfaitement normale ! La poule en question a rassemblé les œufs dans un nid et puis elle les a couvés tous en même temps durant 21 jours. » Dans un abri de fortune, elle nous montre un nid et dérange un instant une poule couveuse. Cette dernière glousse et, en se reculant, laisse apparaître une dizaine d’œufs de tailles et couleurs différentes. La vétérinaire est catégorique : « C’est la température générée par la poule qui va enclencher le processus qui conduira à l’éclosion simultanée et donc aux poussins d’une taille identique. Lorsqu’une poule entame ce processus naturel elle ne pond pas durant trois semaines. »
Quant à l’hypothèse d’un chapelet qui générerait des poussins, l’expertise scientifique est sans appel : « Je ne vois vraiment pas comment un coq pourrait féconder 16 ovules le même jour dans la poule ! A moins que d’imaginer une génération spontanée. »
Il faut se rendre à l’évidence de la science, le Einstein de Mettet n’avait pas raison et la question de l’œuf et de la poule n’est pas réglée.
Cette quête anecdotique peut se lire comme une métaphore. On y voit en effet une personne confrontée à un événement inconnu. S’ensuivent l’étonnement, la sidération même et le passage par les réseaux sociaux pour « s’informer ». Poussé par un besoin de comprendre, le chercheur élabore une théorie qui finit par le convaincre que la seule explication logique est de nature métaphysique. L’appel est alors lancé à la presse qui pourrait valider l’essai. Les experts entrent dans la danse et sifflent la fin de la récréation. La vie de la poule est bien connue ; la réponse est claire et sans appel.
Mais comment réagir quand les éléments de solution sont flous voire contradictoires ?