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Détachement des travailleurs d’ETA : l’aubaine et la peine

20 octobre 2021
par  Louis Van Ginneken
( Tout... sauf le virus ! )

Face aux impératifs de rentabilité, les Entreprises de travail adapté (ETA) n’ont d’autre choix que la diversification de leurs activités. Parmi les moyens pour garder la tête hors de l’eau : les contrats d’entreprise. Jusqu’à la dérive du dumping salarial ?

Dans les Entreprises de Travail Adapté (ETA), les personnes en situation de handicap trouvent des emplois, des postes de travail, des outils et des cadences ajustées à leur handicap. Et accèdent ainsi à un marché du travail excluant partout ailleurs. Les 54 structures à finalité sociale que compte la Wallonie emploient près de 8 500 travailleurs et travailleuses. Cette généreuse politique sociale d’insertion en matière de handicap, propre à la Belgique, se construit et se transforme depuis 1963.

Pourtant, chaque acteur ou actrice du secteur le dira : suite à la réforme du modèle d’”ateliers protégés” en 1995, les ETA ont eu à se professionnaliser. Aujourd’hui, les ETA sont amenées à fonctionner comme des entreprises tout à fait classiques et leurs subsides sont en fait une compensation financière sur la “perte de rendement individuel” des travailleurs en situation de handicap, par rapport à un travailleur valide. Cette évolution implique donc que les ETA ont à se frotter à la concurrence du marché, à ses critères de qualité et ses courts délais de production, tout en assurant leur mission sociale.

La question de la viabilité économique de l’entreprise est devenue centrale au modèle ETA. Comment assurer celle-ci ?

Politique de diversification

La majeure partie de la survie des ETA tient à leur positionnement de “sous-traitantes des secteurs d’activités classiques” explique Stéphane Emmanuelidis, président de la Fédération wallonne des entreprises de travail adapté (Eweta). Emballage, conditionnement alimentaire ou horticulture, les ETA ont le monopole de ces secteurs spécifiques mais développent des compétences volontairement larges, tant pour “limiter les risques économiques liés à la dépendance exclusive vis-à-vis d’un seul client” que pour procurer à chaque travailleur “une tâche adaptée à ses capacités”, indique sur son site l’Agence pour une vie de qualité (AVIQ). 90% des travailleurs d’ETA ont un statut d’ouvrier et effectuent des tâches que l’AVIQ elle-même qualifie d’“élémentaires et peu valorisantes”.

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Dans cette politique de diversification, le détachement des travailleurs en situation de handicap dans des entreprises extérieures, via ce qu’on appelle un “contrat d’entreprise”, s’est particulièrement développé. Deux tiers des entreprises y ont aujourd’hui recours et 20% des travailleurs d’ETA exercent dans une entreprise tierce, selon Arnaud Levêque, secrétaire fédéral FGTB. Il ne s’agit pas là de mise à disposition de travailleurs puisque le personnel détaché reste employé par l’ETA, qui le rémunère et le supervise.

Vers le travail ordinaire

“Pour les travailleurs handicapés, les prestations en entreprises extérieures sont parfois susceptibles de représenter une occasion de se familiariser avec le milieu de travail ordinaire (sortie de l’environnement de l’ETA) tout en continuant à bénéficier de l’encadrement nécessaire, puisque l’ETA a l’obligation de superviser ses propres travailleurs occupés à l’extérieur”, écrit l’AVIQ dans son Analyse sociale des entreprises de travail adapté de 2011-2012.

Le même rapport précise plus loin que “contrairement à ce qu’on pouvait initialement imaginer, cela n’a pas favorisé le passage des travailleurs handicapés du travail adapté vers le travail ordinaire” et s’appuie, pour l’affirmer, sur une analyse réalisée en collaboration avec la Direction des Dispositifs ordinaires Emploi-Formation.

“Tout bénef”

Au-delà des bons sentiments affichés et de l’inefficacité de la mesure en termes d’accès à l’emploi, il y a surtout… l’intérêt économique de ces contrats d’entreprises. Détacher des travailleurs auprès d’autres entreprises représente des juteux contrats, qui “sont devenus un réel moyen de survie pour les ETA” témoigne Astrid (nom d’emprunt), qui travaille dans les ressources humaines au sein d’une ETA hainuyère. Et pour cause, la sous-commission paritaire du secteur indique que le prix facturé par les ETA doit “au moins permettre de financer la rémunération du travailleur au salaire horaire minimum de la catégorie 1, majoré de 18 %”.

“C’est tout bénef pour l’entreprise” explique Astrid. “Le travailleur ne coûte rien, puisqu’il est détaché, mais l’entreprise empoche les subsides et la majoration”. Les travailleurs, eux, restent payés à leur barème ETA. La souplesse et la rapidité avec laquelle les contrats d’entreprise peuvent se conclure les rapproche de l’intérim, conclut Astrid.

Dumping salarial

De son côté, la FGTB craint que cette pratique ne dérive vers une forme de dumping salarial. “Une sorte de concurrence déloyale puisque les travailleurs des entreprises classiques sont remplacés par les travailleurs des ETA” est-il écrit dans un article de 2017, publié sur leur site. “Quant aux travailleurs des ETA, le caractère social disparaît complètement et ils ne bénéficient plus de l’encadrement et des postes de travail adaptés pourtant essentiels pour bon nombre d’entre eux”.

Est-elle possible lorsque les personnes sont détachées dans une entreprise tierce ? La dernière étude de satisfaction du personnel d’ETA en date, menée par l’AVIQ, remonte à 2007. Elle révèle cependant que 38% des travailleurs jugeaient le détachement par contrat d’entreprise “peu” ou “pas du tout” facile à vivre. Les délégués syndicaux soulèvent régulièrement le non-respect des règlements de travail, d’horaires, de jours de prestation voire des lieux de travail qui surviennent dans le cadre de ces contrats.

Louis Van Ginneken

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